Inkers MAGAZINE - Emma de Burgh

>MAGAZINE>Tattoopedia>Emma de Burgh

Emma de Burgh

Partager

Emma de Burgh : sur les traces d’un phénomène

par Jeanne Barnicaud

C’est en mai 1887 que commence l’épopée européenne de deux tatoués : les époux Emma et Frank de Burgh se produisent à l’Albert Palace de Londres. Leur carrière est alors encore toute jeune : elle a été inaugurée en grande pompe aux États-Unis en 1885 par leur mariage à Burlington, Iowa, alors qu’ils appartenaient au Sells Brothers Circus. Frank aurait été tatoué en Birmanie, puis aux États-Unis : le journal britannique The Era note l’existence d’une spectaculaire crucifixion dans son dos. Emma n’est pas nommée, mais le journal fait quand même l’éloge de la Cène de de Vinci reproduite entre ses épaules. Retour sur la carrière de deux maîtres de la mise en scène.

1887, c’est l’année du Jubilé d’or de la reine Victoria. En apparence, cet évènement n’a pas grand-chose à voir avec l’exhibition de deux phénomènes. Pourtant, Emma et Frank de Burgh en profitent pour faire une entrée fracassante sur la scène britannique. The Era souligne les origines de Frank, né à Bristol, et précise que son séjour en Birmanie est dû à son passage dans l’armée britannique. Emma, purement américaine, se serait fait tatouer à l’occasion du Jubilé — c’est faux, mais voilà de quoi s’arroger les bonnes grâces d’un pays en fête. Lors de leur spectacle, l’origine de leurs tatouages est contée par un ancien membre du régiment des 11e hussards, un survivant de la bataille de Balaclava lors de la guerre de Crimée. Le succès est immédiat. Après l’Albert Palace, on retrouve Emma de Burgh seule au Royal Aquarium de Westminster, peut-être y est-elle présentée par son mari. Début 1888, ils se trouvent à Birmingham. En mai, ils franchissent la Manche pour apparaître à l’Alcazar d’Été parisien. En 1890, c’est Norwich, puis Berlin en 1891, Glasgow et Liverpool en 1892, Dublin, Cologne, Bruxelles et Cardiff en 1893… Et sûrement d’autres scènes européennes dont je n’ai pas encore retrouvé la trace.

Il faut dire qu’Emma et Frank de Burgh savent se vendre. Si le journal The Era était à très généraliste à sa création en 1838, c’est devenu, à la fin du siècle, une publication quasi consacrée au théâtre. Les de Burgh y font souvent paraître des annonces quand ils sont en quête de nouvelles scènes où se produire. Dès le 11 juin 1887, alors qu’ils étaient à peine arrivés en Angleterre et se trouvaient encore à l’Albert Palace, ils y signalent que tout promoteur intéressé peut se rapprocher de leurs agents chez R. Warner and Co.… Les tatouages du couple sont aussi d’une très grande beauté, régulièrement soulignée et illustrée par la presse européenne. Il y a de quoi : ils sont essentiellement signés de la main de maître de l’américain Samuel O’Reilly. Enfin, leur traversée de l’Atlantique leur permet de s’installer sur un marché encore jeune, où leurs tatouages, patriotiques ou religieux, suffisent à faire leur succès. Contrairement à la plupart des phénomènes de l’époque, ils n’ont pas jugé utile de s’inventer une histoire de captivité et de tatouages forcés pour plaire au public.

Malgré tout, après 1893, le vent commence à tourner pour les tatoués. Quand les de Burgh se trouvent à Cardiff, l’heure n’est plus à la célébration d’un tatouage admirable et patriotique. Un article les présente plutôt comme les représentants d’une espèce à part, dont la vision presque monstrueuse suffirait à dissuader toute personne « intéressée par l’idée du tatouage ». À la fin de l’année, le couple apparaît à Dublin puis cesse brutalement son activité pour quelques mois. Saison creuse ou perte d’intérêt ? Difficile à dire. Mais les de Burgh ne se débinent pas. Quelques annonces dans The Era, parues entre janvier et avril 1894, nous apprennent qu’Emma a ouvert des chambres d’hôtes à Cardiff, à destination des professionnels du cirque et des foires en itinérance. En mai, le couple retrouve le chemin de la scène au Royal Aquarium de Westminster.

Mais c’est bientôt la fin des grandes heures des de Burgh. En mars 1895, Emma de Burgh est atteinte d’une congestion pulmonaire qui l’empêche de tenir ses engagements. Si le couple annonce se produire au Jardin de Paris à partir du 2 juin, je n’ai pas pu retrouver leur trace dans la presse française. À partir de 1897, son mari voyage seul en Europe. Il fait paraître une triste annonce dans The Era, selon laquelle il « acceptera tout engagement », de « portier dans un musée de cire » à membre d’un spectacle d’un « showman itinérant »… Il erre de pays en pays jusqu’à 1900. Le 20 mai 1898, Emma de Burgh, qui se trouve alors à Leipzig, remplit quant à elle une demande de passeport américain, peut-être pour rentrer au pays. Elle s’y déclare née le 14 novembre 1860 à Oswego, dans l’État de New York, et résidant à plein temps à Chicago, Illinois, où elle exerce l’activité de « Tattooed Lady ». Pour l’historienne Amelia K. Osterund, le couple de Burgh s’est séparé vers l’année 1898… Dans sa demande de passeport, Emma écrit qu’elle a quitté son pays natal en mai 1887. 11 années de tournée européenne ont fait d’elle une icône du tatouage. Il nous reste d’Emma de nombreuses images de son corps tatoué, photographié, croqué par le peintre préraphaélite Walter Burnes-Jones, esquissé sur des affiches… Et puis quelques lignes dans des journaux qui nous permettent, étonnamment, de la suivre à la trace et d’imaginer sa vie.

Sources des illustrations

Imprimerie Charles Lévy, « Alcazar d’été. L’homme et la femme tattooed », Paris, Musée Carnavalet, 1888. Gambier Bolton, « Pictures on the Human Skin », Strand Magazine, vol. 13, 1897, p. 432, via Internet Archive. Hughes Le Roux et Jules Garnier (illustrateur), Les Jeux du cirque et la vie foraine, Paris, Librairie Plon, 1889, via Internet Archive. Sources et articles contemporains « The Risks of Entertainers », The Era, 23 avril 1887. « Tattooing Extraordinary », Birmingham Daily Post, 28 mai 1887. « Advertisements and Notice », The Era, 11 juin 1887. « Albert Palace », The Morning Post, 31 mai 1887. « Public Amusement », Western Mail, 10 octobre 1893. « Music Hall Gossip », The Era, 16 mars 1895. « Advertisement and Notices », The Era, 1er juillet 1895. “Advertisement and Notices”, The Era, 10 juillet 1897. United States Passport Applications, 1795-1925, Washington, National Archives and Records Administration, USM1834 37-0985. Pour aller plus loin Sunny Buick, “Emma de Burgh”, Sunny Buik, 2 juin 2020. Jane Caplan (dir.), Written on the Body. The Tattoo in European and American History, Londres, Reaktion Books, 2000. Amelia K. Osterud, The Tattooed Lady. A History, Lanham, Boulder, New York et Londres, Taylor Trade Publishing, 2014.