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En voyage, se faire tatouer ou non ???

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En voyage, se faire tatouer ou non ???

Heiko Gantenberg et son tour du mondeSylvain « Shivam » et son tour de grand 8

Nous retrouvons Stephane Guillerme pour la suite de ses aventures en IndePour tout tatoué voyageant un tant soit peu en dehors de ses frontières, la question vient un jour à se poser … ou non.Pour ma part, j’ai un peu tout essayé. Outre mes quelques tatouages machine et hand-poke « Made in France », j’ai eu quelques expériences au-delà de mes frontières nationales. Tatouage au Guatemala en 1989 par un ancien marin de commerce guathémaltèque tatouant avec une machine basique à 1 aiguille. L’hygiène et la qualité de réalisation ... t’oublies !! À Los Angeles - Venice beach en 1993 par un Argentin exerçant dans un salon au standard 2C : Cool & Clean. Puis à Antigua, ancienne capitale du Guatemala, en 1996, dans un salon également 2C tenu par un Coréen du Sud. Puis trois tatouages en Inde. Deux avec critères d’hygiène plutôt bonnes sinon très bonnes. Et un tattoo tribal Baiga en hand-poke dans la poussière d’une campagne reculée du Madhya Pradesh. Pendant quelques jours j’ai cru qu’on allait devoir m’amputer le pied gauche (lire les deux articles sur le sujet Baiga, en anglais sur le site de Tattoo Life et en français sur le webzine Jeter l’Encre). Mais comme souvent niveau santé, je suis passé entre les grosses gouttes de la fatalité. Oui, se faire tatouer ou non en voyage est une question qui doit se poser. Beaucoup ne se la sont pas posée, dont moi-même. Pour le plus grand nombre tout s’est bien passé et l’on ne peut que s’en féliciter. Pour d’autres tout s’est déroulé d’une façon plus … huuummmm …. rock’n’roll.

Histoire d’avoir du grain à moudre, je ferai appel à deux personnes rencontrées lors de mes aventures indiennes : l’ami d’outre-Rhin Heiko Gantenberg, tatoueur ayant fait un incroyable tour du monde à moto et que j’ai rencontré à Delhi fin 2014, quelques semaines avant d’avoir croisé le français Sylvain, chercheur de plénitude et de vérité, accessoirement intéressé par le tatouage.

J’ai fait connaissance avec Sylvain à Orchha (Madhya Pradesh), fin 2014, alors que je me rendais dans ce charmant village pour assister à la Ram Raja mela, un gros festival religieux rassemblant pendant quelques jours des milliers de pèlerins, des centaines de commerçants ambulants et une grosse poignée de tatoueurs de rue. Je me trouvais un hôtel légèrement à l’extérieur de ce gros bourg. Une seule autre personne y était logée, Sylvain « Shivam », « Shivam » étant le nom que son gourou lui a attribué. On discuta aussitôt de tatouage, cela faisait déjà 6 ans que je m’intéressais au sujet indien. J’expliquais à Sylvain que je venais à la rencontre des tatoueurs de rue que ce festival était sensé attirer. Et à l’occasion lui glissait à l’oreille que je déconseillerai à quiconque au système immunitaire non-autochtone (et encore …) d’affronter ces mains sales et sans gant, ces aiguilles et ces encres traînant dans la poussière des bords de routes et de rues, et se partageant sans hésitation.

Le lendemain je fus de bonne heure sur le pont, dans les vapeurs d’une matinée qui s’annonçait chaude. Je me dirigeais vers la place centrale, au centre d’un triangle de monuments admirables : le temple de Ram Raja, le temple de Chaturbhuj et le palais de Jahangir hanté d’esprits du passé et dont les gardiens des airs sont d’énormes vautours (bien qu’ils se fassent de plus en plus rares). De beau matin les vieux tatoueurs de rue étalaient déjà à leurs pieds quelques vieux flashs, souvent bien usés. Les jeunes tatoueurs arriveront un peu plus tard dans la matinée mais veilleront dans la nuit agitée bien plus longtemps que certains anciens dont le vieux Ayodhya Prasad de 83 ans. J’en parle dans mon livre « L’Inde sous la peau ». Des tatoueurs de rue, j’en vis une douzaine, une quinzaine sur tout le festival et ses rues adjacentes. Certains, pour optimiser financièrement le déplacement gravaient également des bagues en laiton aux initiales des jeunes amoureux.

Au soir, rentré à l’hôtel je croisais Sylvain. Le plus posément du monde il avança sa main droite vers mon regard incrédule pour me montrer sa dernière inspiration : un AUM « pure indian style » qu’il venait de se faire encrer dans la rue car dans l’ashram où Sylvain avait ses habitudes tous les moines et swamis se le faisaient tatouer au moment de leur renoncement au monde. Aucun dieu de l’Inde n’allait néanmoins pouvoir l’empêcher de traverser l’enfer. De ces 10 roupies dépensés, il en fût pour ses frais. Et maintenant je lui laisse la parole pour que vous en sachiez un peu plus de sa formidable odyssée.

« C'était un moment particulier, la Ram Raja mela, la grosse fête religieuse où des milliers de pèlerins viennent célébrer en coeur le mariage du dieu Rama et de la déesse Sita. Depuis un certain temps je passais une partie de mes journées en compagnie d’un sadhu (un renonçant) très connu à Orchha. Il avait fait voeu de silence. Sa personnalité très calme et bienveillante m'avait touché, ainsi que la lumière de son regard. Il me faisait beaucoup penser à mon Guru Chandra Swami Udasin qui a conservé le silence pendant 33 ans. Le soir du Ram Raja festival, en sa compagnie, j'ai ressenti l'appel du Silence moi aussi, et donc commencé ce jour-là à ne plus parler. C’est à ce moment que nous nous sommes rencontrés à l’hôtel. Passant devant les tatoueurs de la mela, sans vraiment réfléchir, j'ai tendu la main à un jeune apprenti, les Indiens faisaient la queue, tatouage à la chaîne … même aiguille, même encre pour tout le monde, je n'ai même pas eu droit à la poudre antiseptique de curcuma. Bref, ce moment était inscrit sur ma main pour le reste de ma vie. Le lendemain j'ai commencé à avoir de la fièvre, mon système immunitaire n'a pas aimé ce vaccin bactériologique de l'Inde profonde ... Après quelques jours fiévreux et secoués à Orchha je suis parti à Khajuraho. En arrivant là-bas j'ai passé une nuit difficile. Honnêtement j'ai été malade en Inde à maintes reprises mais cette fois je sentais que mon corps se débattait sérieusement pour survivre. Après une très longue nuit, au matin le responsable de l' hôtel, vu mon état, m’a emmené directement à l'hôpital sur sa moto. À bout de force, je suis tombé à mi-chemin. En arrivant à l’hôpital on m’a fait des examens. Ils n'ont rien trouvé de spécial et ce n'est que beaucoup plus tard, par d'autres examens en France, que l'on ma dit que j'avais probablement été infecté par les virus de l’hépatite A, B, ainsi que par des amibes. Faute au tattoo ou pas, je ne sais pas. Je ne regrette en rien cette expérience de 15 jours environ car pour moi il marque un moment important dans ma vie, le moment où j'ai décidé de renoncer au monde matériel, le monde de consommation et de recherche de plaisirs futiles qui occultent l'essence même de la vie et des valeurs de l'âme humaine. Pour moi, c’était marquer le commencement d'une recherche intérieure profonde. »

À chacun d’estimer le prix qu’il est prêt à payer pour le frisson du tatouage. Mais dans ce genre de conditions, y penser à deux fois est fortement conseillé. Une autre personne, une autre histoire intéressante pour notre thème du jour. Heiko Gantenberg. À contrario de l’histoire de Sylvain j’ai souvent supposé que si le niveau d’hygiène d’un salon de Paris, London, Delhi, Tokyo, New-York etc .. semblait parfait, s’y faire tatouer ne représentait aucun problème. Mais je me souviens d’une discussion à ce sujet avec Heiko Gantenberg, tatoueur de Marl (Allemagne) et qui a fait un tour du monde à moto en deux ans et demi, empruntant une paire de fois des bateaux, lui et « The White Elephant », sa monture, sa Honda Africa Twin 750 cm³. Lors de son tour du monde il a observé le monde du tatouage et a tatoué dès qu’il était possible. Son appréhension du sujet est riche de maintes expériences, alors le mieux à présent est que je lui laisse la parole.

« De ma propre expérience et ayant observé diverses façons de tatouer un peu partout dans le monde, il est plutôt étonnant de voir le grand nombre de façons différentes de placer des pigments sous la peau. La plupart des cultures pratiquant le tatouage ont une tradition ininterrompue depuis des millénaires. Forgées de savoirs ancestraux, la plupart des méthodes de tatouage indigènes sont bien rodées. Même si ces méthodes peuvent parfois sembler rustiques pour l’oeil occidental, la plupart d'entre elles sont efficaces. Habituellement les artistes autochtones tatouent des communautés adaptées à leur environnement. Ils sont les héritiers d’un patrimoine culturel ancestral et sont habitués à toutes les vicissitudes qui accompagnent l'acte de tatouage. Rares sont les conséquences graves pour la santé dans ces mondes. Cela ne signifie pas non plus que n'importe quel visiteur de passage est apte à se faire encrer dans un tel environnement. Il y a plusieurs raisons à cela, et pas seulement hygiéniques, surtout en zones climatiques chaudes. Vous y serez confrontés à diverses bactéries dans l'eau, dans la nourriture, dans la vie quotidienne, généralement inoffensives pour les locaux. Prenez toujours en considération que vous n’êtes pas un local et ne pourrez probablement pas supporter ces défis imposés à votre système immunitaire, surtout sous les tropiques. Se faire tatouer là-bas comportera toujours un risque important pour votre santé, plus souvent dû aux circonstances naturelles qu’au processus tatouagique. J'ai assisté à la première convention des Samoa, organisée par Paulo Suluape. Presque tous les occidentaux qui s'y sont fait tatouer ont eu à souffrir de complications. Chaque fois que les Samoans ont assisté à la Convention de Berlin, organisée par Frank Weber en décembre, en plein hiver, ils ont rapidement eu à souffrir de symptômes de rhume quelques jours après leur arrivée. Cela explique tout le problème. Chaque fois que vous intégrez un environnement auquel votre système immunitaire est étranger, et qu’en plus vous rajoutez des expériences hasardeuses pour votre corps, ne vous attendez pas à repartir en bonne santé. Si vous avez l'opportunité d’obtenir votre tatouage « tribal » (ou non) désiré, par un artiste spécialiste du sujet et voyageant dans votre région, sautez sur l’opportunité. Vos chances de vivre une expérience pleinement satisfaisante seront bien plus élevées. »

Pas grand-chose à rajouter aux propos d’Heiko, mais quoiqu’il en soit, mon ultime conseil est que, quitte à se faire tatouer en voyage, plutôt le réaliser en toute fin de séjour.