Inkers MAGAZINE - Stencil 3.0 in Benares

>MAGAZINE>Tattoopedia>Stencil 3.0 in Benares

Stencil 3.0 in Benares

Partager

Stencil 3.0 à Bénarès

Textes et photos par Stephane Guillerme

« La vie a plus d'imagination que n'en portent nos rêves » écrivait Christophe Colomb. J'ai souvent fait le constat que : « L'Inde a plus d'imagination que n'en portent nos rêves » fonctionnait également super bien. Connaissez-vous le « Stencil 3.0 » ? Non ? Alors suivez-moi jusqu'au bord du Gange, à un jet de pierre, une fumée de chillum de Dasaswamedh ghât, le principal accès de Bénarès sur le Gange, où de nombreux dévots et pèlerins crédules et incrédules atterrissent au terme d'un long voyage sur les routes chaotiques, poussiéreuses et encombrées de Mother India. Une fois à Dasaswamedh ghât, à quelques mètres du fleuve divin, la moksha (libération du cycle des réincarnations) n'est plus qu'à une gorgée d'eau douteuse mais sacrée du Gange, l'idéal étant de mourir le corps immergé dans l'eau du fleuve, et en en avalant une gorgée. Quel challenge ! Ça peut prendre des jours pour pépé et mémé. Life is (sometimes) a bitch … and then ...

Si il ne devait rester qu'une ville dédiée à Shiva en Inde et au monde ce serait inévitablement Bénarès (également appelée Varanasi ou Kashi). Le souffle de vie insufflé par le dieu Shiva anime cette ville millénaire où, au-delà du chaos apparent, règne un ordonnancement réglé comme du papier à musique, chacun à sa place. Encore faut-il le percevoir. Pour un occidental, et depuis des lustres, Bénarès se résumerait plutôt aux écrits d'André Chevrillon qui, dans son ouvrage de 1891 s'intitulant « Dans l'Inde », écrivit : « La première idée quand on arrive à Bénarès, c’est que le délire y est normal. » MDR

Première rue parallèle au Gange, à deux minutes de Dasaswamedh ghât, se rencontre parfois un tatoueur de rue, parfois deux, parfois aucun. Encore faut-il le remarquer dans l'agitation populaire qui règne dans les rues et ruelles grouillantes de la vieille ville shivaïte. Mais mon œil de faucon des plaines ne se laisse pas abuser si facilement et ce fut avec grand plaisir que j'en repérai un, sur le bord de la chaussée sans trottoir ni caniveau apparent. Quelques personnes accroupies sur le bas-côté de la chaussée, quelques oscillations humaines qui passèrent sous mes radars.

Sur le côté de la chaussée quelque peu défoncée, un tatoueur de rue discutait en compagnie de trois personnes. Comme à mon habitude je me tapais l'incruste, gentillement, mine de rien bien évidemment. L'artisan était un gars des campagnes environnantes profitant de la manne touristique (indienne) pour tirer quelques revenus de la situation. Deux trois conseils prodigués par son cousin ayant tatoué une fois dans ses rêves, suffit à mettre en confiance ce gars plein de bonne volonté. Le catalogue de son offre graphico-tatouagique se résumait à quelques feuilles de designs pompés sur internet, et qui semblaient hors d'atteinte artistique de notre tatoueur en culotte courte. Mais les seules limites existantes sont celles que nous nous infligeons … et le gars des campagnes de Bénarès, n'ayant pas connaissance de ce précepte, en tirait inconsciemment et innocemment une force d'action. No limit brother. Et puis après tout qu'est-ce que le tatouage sinon notre pensée et nos croyances du moment sur le sujet. Il m'est arrivé plus d'une fois en Inde de devoir demander à une personne ce que représentait son tatouage qui, de prime abord, ressemblait absolument à rien. Que ce soit des Shiva, des Hanuman ou quelconque dieux méconnaissables les tatoués semblaient néanmoins toujours réjouis. Lorsqu'un tatoueur t'affirme t'avoir tatoué un Shiva (ou autres), pour le tatoué, quoique puisse être le résultat visuel final, il n'y verra jamais que le dieu qu'on lui aura dit avoir tatoué. Conception bien éloignée de nos préoccupations esthétiques et « stylish ». La puissance de l'imagination indienne est sans limite.

Notre tatoueur avait disposé sur le sol son petit matériel portatif : machines, encres, huile, stylos, piles, film alimentaire et quelques feuilles de flashs. Nous étions début-mars 2020. L'Inde avait déjà commencé à restreindre l'arrivée des étrangers sur son territoire. Personne ne portait encore de masque, et les tatoueurs de rue remettaient encore l'hygiène entre les mains des dieux. La machine, le gun, la roulette russe sauce masala.

Une première jeune fille se fit rapidement tatouer au poignet. Puis ce fut au tour d'un jeune homme (« Serge de Nîmes » selon ce qui était imprimé sur son sweat shirt) venu pour faire une déclaration d'amour filial à sa maman, maman que l'on dit « Maa » en hindi. Venu les mains dans les poches, il se retrouvait sans design particulier. Il choisit alors parmi les planches de flashs un motif qui convenait à la situation. Un joli « Maa » à l'esthétisme bien léché. Et c'est là, à ce moment précis que je découvrais le « Stencil 3.0 ». Sans plus attendre, en voici la recette : 1) Choisir un motif, dessiné ou bien photographié. 2) Le prendre en photo avec votre smartphone (ou le chopper directement sur le net si votre smartphone est connecté)

3) Définir l'endroit où le tatouer 4) Sur l'écran du smartphone, repasser au marker pointe fine les contours du dessin à tatouer

5) Appliquer un corps gras à l'endroit où doit se faire le tatouage

6) Transférer sur la peau le motif dessiné à même l'écran du smartphone

7) Grâce à la rétrovision du smartphone, le client pourra contrôler le bon positionnement du motif

8) Ensuite c'est « let's go with the ink ».

Notez tous ces petits points noirs sur la main gauche du tatoueur. C'est le résultat de tuning de machine sur lui-même.» Cool ce « Stencil 3.0 », non ? Stephane Guillerme www.godispop.com www.gavriniz.com