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LYLE TUTTLE

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LYLE TUTTLE - TATOUEUR POUR DAMES- @pascalbagot

Légende du tatouage américain, Lyle Tuttle a tout juste fêté en septembre dernier ses 70 années d’exercice dans le métier. A cette occasion, organisée dans le prestigieux Palace of Fine Arts de San Francisco, une grande rétrospective est revenue sur les aventures de ce voyageur infatigable et pas-sionné acharné. L’événement était aussi l’occasion de rassembler des fonds pour la création d’un projet de musée qui hébergerait la collection privée de Lyle. Peut-être la plus importante du genre dans le monde.

A 88 ans, Lyle Tuttle est non seulement un conteur formidable, il est aussi un voyageur infatigable. Toujours entre deux avions depuis qu’il a raccroché les machines en 1990, il est sollicité aux quatre coins des Etats-Unis pour donner lectures, séminaires… dans les conventions de tatouage où il ne se prive pas de revenir sur les détails de son incroyable succès. Comme il aime à le rappeler, Lyle Tuttle était: « La bonne personne, au bon endroit, au bon moment ». A croire qu’il n’en revient toujours pas de la chance qui lui est tombée dessus dans les années 60, alors que la Californie connaît d’importants mouvements populaires. A San Francisco, où il est installé, la ville est le foyer de la contestation où s’organise la contre-culture hippie et où se produit, dans une Amérique puritaine, la libération des mœurs. Celle-ci, se traduisant par l’émancipation des femmes et des corps, le tatouage devient le symbole de cette liberté inconditionnelle revendiquée. Lyle Tuttle est alors en ville l’un des rares tatoueurs en activité. Peu importe qu’il soit un artiste médiocre, qu’il jure comme un charretier, il est choisi par les femmes et ce sont aussi elles qui vont lui offrir une exposition médiatique sans précédent. Dans le milieu conservateur et secret du tatouage de l’époque, cette starification soudaine lui vau-dra certaines inimitiés… et en premier lieu celle de Sailor Jerry.

Quand les femmes ont-elles commencé à se faire tatouer ?

Jusqu’aux mouvements de libération des femmes, vers 1965-66, le tatouage était une affaire d’hommes. Quand les femmes ont commencé à obtenir leurs droits, elles les ont réclamés tout de suite, et se faire tatouer était ainsi une façon pour elles de s’affirmer. Tout à coup, la moitié de l’humanité s’est ouverte à notre profes-sion. Et il y avait tellement peu de tatoueurs à l’époque… Mince ! J’ai eu le seul studio en ville pendant 20 ans. Mais je me trouvais dans la ville préférée du monde entier, j’étais tatoué de partout et accessible aux médias… Oh ! Quelle parfaite combinaison pour le succès ! (rires). Les femmes ont commencé à se faire tatouer des petites pièces : des papillons ou des boutons de rose. C’est tout ce que j’ai tatoué pendant 4 ou 5 ans. J’en ai même fait une blague : j’acceptais de tatouer un homme unqiuement s’il était recommandé par une femme. J’aime les tatouages et j’aime les femmes. En fait, je les adore, elles sont les plus belles choses sur terre. Tout a commencé avec ce tatouage que j’ai juste là (il dévoile celui qu’il a sur l’avant-bras, un cœur avec un ban-deau sur lequel est inscrit « Maman », ndr).

Qui se tatouait avant les années 60 ?

Les militaires. Ils étaient les meilleurs clients du monde. Ils se faisaient payer les 1er et 15 du mois avant de dépenser tout leur solde en à peine 5 jours. Ensuite il m’arrivait de tatouer des civils, des jeunes plein de vi-gueur ; très rarement des femmes. Une femme qui venait se faire tatouer était souvent sous l’influence d’un homme, celui-ci l’avait souvent convaincu de lui prouver son amour en se faisant inscrire son nom dans la peau.

Etait-ce confortable pour ces femmes de venir se faire tatouer par vous, un homme ?

Une femme sent quand elle est en danger avec quelqu’un. Je pense qu’elles ont compris qu’elles ne risquaient rien avec moi. Et je n’ai jamais abusé de ma position. Certains disent que je peux raconter les blagues les plus salées du monde sans pour autant les faire sonner comme telles. Les femmes ont pris l’avion de tous les coins des Etats-Unis pour venir se faire tatouer par moi vous savez.

Comment l’expliquez-vous ?

Grâce à la presse. Entre 1965 et 1975, ce sont mes plus belles années, ce que je considère comme mon âge d’or. Ainsi, en octobre 1970 vous faites la couverture du magazine Rolling Stone qui fait de vous une star. Comment cela s’est-il passé ? J’appelle cet épisode la « montée des marches jusqu’au paradis » ! (rires). Une jeune femme, jolie, est entrée un soir dans mon studio. Elle voulait un motif de bague autour du doigt. J’ai désespérément tenté de l’en dissua-der mais en vain. Si vous n’aimiez pas son tatouage, elle vous le montrait comme ça (Lyle renverse sa main le majeur tendu vers le ciel, ndlr). Donc, elle est là, regarde autour d’elle attentivement -mon studio ressemblait au cabinet d’un docteur- et me dit : « Vous savez, nous changeons d’ère astrologique, nous entrons dans celle du Verseau ; vous devriez détendre un peu l’atmoshpère. L’espace de travail peut très bien ressembler au ca-binet d’un médecin mais pas le reste du décor ». Je réponds : « A quoi cela devrait-il donc ressembler ? » Elle réfléchit un million de minutes et déclame, triomphante : «Mon dieu, et pourquoi pas un bordel de style victo-rien ! ». Elle tourne sur elle-même et ajoute : « Vous savez qu’il y a une histoire ici ? ». Curieux, je lui demande: « Une histoire ? Vous êtes écrivain ? ». Elle précise: « Pour Rolling Stone magazine ». Cette femme s’appelait Amie Hill et c’est elle qui a écrit un putain d’article sur moi . Plus tard, en 1972, l’une de ses amis publiera un autre article dans Life Magazine.

Vous gagnez aussi beaucoup en notoriété pour avoir tatoué la chanteuse Janis Joplin qui était déjà une célébrité à l’époque. Pouvez-vous nous en parler ?

Lyle fait la couverture le 1er octobre 1970 de Rolling Stone. L’article est intitulé : « Tattoo Renaissance ». Nous sommes en 1970. J’avais entendu parler de Janis, bien que je me foutais de sa musique. Je venais juste d’avoir ma première publicité. Alors voilà comment ça se passe. Je suis dans mon studio, au 2e étage, et sou-dain déboulent à ma porte deux énormes Samoyèdes (des chiens de traîneau, ndlr) avec cette fille derrière eux, portant de grands foulards autour du cou. C’était Janis. Elle avait lu un article sur moi et s’était convain-cue de vouloir un tatouage. Elle en a eu deux ce soir-là. Un cœur sur la poitrine ainsi qu’un bracelet. Elle vou-lait le cœur en premier, un tout petit truc. Mais moi, tatoueur plein de sagesse, je savais que je devais d’abord faire l’autre, le plus gros. Parce que, si la douleur lui était soudainement parue insupportable, elle aurait refu-sé de faire le second… Janis était une belle personne, nous sommes devenus très rapidement bons amis. Elle était chez moi cet après-midi, le jour où elle est décédée. Je vivais dans les hauteurs de Sausalito. Elle avait demandé un hélicoptère pour l’emmener à Los Angeles où elle est morte . Les gens me demandent souvent : « Avez-vous couché avec Janis Joplin ? ». Non, parce qu’elle ne me plaisait pas, je fonctionne avec les phéromones. Janis est retrouvée morte d’une overdose d’héroïne dans sa chambre d’hôtel le 4 octobre 1970. Elle avait 27 ans.

Quel rôle a-t-elle joué dans la popularisation du tatouage auprès des femmes ?

Elle a fait probablement plus pour le tatouage que n’importe qui d’autre. Dans ses concerts elle s’adressait ainsi au public en lui disant que quiconque se faisait tatouer aimait baiser. Tout à coup, les idiots du village se disaient : « Blablablablabla, oh mais j’aime le sexe, je dois me faire tatouer ! » J’ai toujours aidé les fans de Janis quand ils sont venus me voir. Deux jours après sa mort, une jeune femme m’attendait à l’entrée de mon studio, elle voulait que je lui fasse un petit cœur sur la poitrine, comme son idole. Je l’ai faite monter et je lui ai tatoué. J’ai du en faire plus d’un millier depuis.

Vous avez dit : « Je ne tatoue que les femmes dont la mère était tatouée ». Que vouliez-vous dire par là ?

Pour être un tatoueur il faut avoir une conscience. Je pourrais écrire sur ton visage n’importe quelle maxime populaire et bousiller ta vie pour le restant de tes jours. L’argent que j’aurais gagné aurait-il été suffisant pour justifier mon intervention? Je dirais plutôt : « Va voir ailleurs et tu trouveras surement un champion pour le faire, mais je ne l’aurai pas sur ma conscience ». Maintenant il y a le laser pour effacer ce genre de choses mais de tels moyens n’existaient pas à l’époque. Quand j’avais faim tu aurais pu avoir un drapeau américain en travers du front, mais je n’ai jamais eu aussi faim.

Vous avez aussi dit : « Les tatouages ne sont pas pour tout le monde ».

Se faire tatouer est la chose la plus personnelle, la plus égoïste, que chacun puisse se faire à soi-même. Ce sont des autocollants sur ta valise. Mais les tatouages sont aussi bons pour toi, ils te disent qui tu es. Un jour il se peut que tu te réveilles avec une petite note sur ton oreiller disant : « Je te quitte ». Tu sors alors le pied du lit et ton putain de chien le mord ; en regardant par la fenêtre tu t’aperçois que l’on t’a tiré ta caisse; tu t’assieds, prépare une tasse de café mais tu n’as plus ni crème ni sucre ; le journal du jour t’apprends enfin que toutes tes actions ont perdu de leur valeur. Tu perds tout quand tu perds aussi ton identité, mais les tatouages sont un bon moyen pour t’en souvenir. CONTACT: Website : http://www.lyletuttle.com Lyle’s studio in SF : 841 Colombus Ave. San Francisco, CA / Tel : 415-837-3287