Alors que le Japon rouvrait ses frontières il y a seulement quelques mois, après les années de fermeture liée à la pandémie il était plus que temps de prendre des nouvelles de la légende Horiyoshi III. Les retrouvailles furent émouvantes, douloureuses même, une fois connues les difficultés rencontrées par le maître de Yokohama. Avec une franchise sans détour, celui-ci expose la réalité d’un état de santé qui s’est dégradé. Il nous parle aussi de ses projets à venir, en l’occurrence deux livres à paraître chez l’éditeur hollandais Kintaro.
Comment vous portez-vous Sensei ?
Depuis notre dernier rencontre (2019), j’ai fait deux AVC. Je suis aussi tombé une fois dans l’escalier. Je suis resté par terre pendant plusieurs heures, sans connaissance, et si personne ne m’avait trouvé je serais probablement mort. J’ai des rhumatismes qui se sont aussi aggravés. J’ai mal au dos et je dois aller une fois tous les 15 jours dans une clinique à Tokyo pour des injections. Et puis, je me suis fait opérer à l’intestin, m’obligeant à me faire hospitaliser un mois. Pendant tout ce temps, mes jambes se sont affaiblies et je ne peux plus marcher comme avant. Si je devais faire un combat de Sumo avec un petit écolier je pense que je le perdrais.
Les nouvelles ne sont pas bonnes.
En ce moment, il n’y a que des choses pénibles et malheureuses. Je pense que la vie n’est pas simple. Cela devient encore plus compliqué en prenant de l’âge. Mais je dois vivre jusqu’à ma mort, parce que ma mort je ne la décide pas. Je ne veux pas du suicide, c’est donc au ciel ou au dieu de choisir le moment de mon départ. Je dois vivre jusqu’à ce moment là. On dit que si dans la vie il se passe un moment de bonheur ou de joie, le reste est pénible ou malheureux. Mais on doit supporter ça.
Vous recevez de nombreuses visites, ce sont des moments de plaisir.
Oui, cela fait partie des joies de la vie. Le problème est que j’ai des problèmes de mémoire depuis mes AVC. Des personnes connues comme Horiuno ou Horigoro (tatoueurs japonais célèbres) bien sûr je m’en souviens, mais je peux oublier très facilement les noms de nouvelles personnes.
Vous continuez à prendre du plaisir en travaillant ou en peignant ?
Oui, j’apprends encore avec mon travail et mon métier. Parce que l’irezumi c’est ma vie et l’irezumi c’est moi-même. Mais, depuis mes AVC je maîtrise moins ma main. Cela devrait aller pour la peinture, un petit format, mais j’ai l’habitude de travailler sur kakejiku, sur grand format. Et cela me demanderait beaucoup d’énergie.
Vous avez des projets en cours ?
Un livre de peintures sortira bientôt. La peinture appartient à mon art de l’irezumi, cependant dans ce livre, il n’y aura pas seulement des peintures d’irezumi, mais aussi des représentations tirées de la culture zen, de Daruma par exemple, qui ne peuvent pas être des motifs de tatouage. Il y a aussi une peinture représentant une scène de l’assassinat du guerrier Oda Nobunaga. Le lecteur devra imaginer comment cette représentation pourrait être traduite en tatouage. Cet ouvrage sera quoi qu’il en soit publié par l’éditeur hollandais Kintaro, avant un troisième tome dans le futur.
Quel sera le sujet de cet autre livre ?
Il rassemblera mes peintures faites sur le thème du meurtre. J’ai essayé d’imaginer par moi-même comment tuer un adversaire, de manière logique et rationnelle, efficace. En maintenant par exemple avec mon pied sa main armée tout en essayant de tout mon poids avec mon katana de percer son corps. Ces peintures sont de style ukiyo-e mais les scènes sont plus rationnelles et correctes en terme de proportions. Si les maitres d’estampe comme Yoshitoshi ou Yoshihiku sont connus pour leur peintures sanglantes, j’ai l’impression que les miennes sont encore plus sanglantes.
Vous vous êtes aussi inspirés de l’histoire et de faits divers pour ces meurtres?
J’ai fait une peinture à partir d’un texte très simple racontant une scène. Celle-ci se déroule lors d’un banquet organisé pour des funérailles. Deux individus se retrouvent par hasard, déclenchent une bagarre et la lutte tourne à la boucherie. A l’époque de Yoshitoshi et Yoshihiku (deux grands artistes de l’ukiyo-e) il y avait des tueries ou des assassinats dans la vie quotidienne. Ces artistes avaient donc l’occasion d’y assister ou d’entendre ce genre d’histoires. Dans mon cas ce n’est pas possible et je dois faire travailler mon imagination. A la fin d’Edo, il y avait de nombreuses histoires sur la justice sociale. On ne sait pas si elles sont réelles ou non. Mais par exemple, l'une d’elles raconte le meurtre de cinq personnes à Kyoto. Les circonstances sont inconnues, donc moi j’ai imaginé que cela pourrait se passer dans une forêt de bambou, dans la chambre d’une maison. Cette part d’imagination fait partie du plaisir de mon métier. Je dois inventer mais aussi connaître des éléments rationnels pour rendre les scènes crédibles. Selon moi, le tatouage c’est la nécessité de rendre concret quelque chose d’irréel, ou l’inverse. Par exemple, dans le cas du motif de karajishi botan, la pivoine et le lion ne peuvent pas être représentés à l’échelle réelle. Il faut traduire et reprendre les formats. Mon maître Horiyoshi I me disait souvent : le tatouage c’est une fiction. Aujourd’hui je comprends mieux. + IG : horiyoshi_3