Qui ne connaît pas encore Yann Black ? Véritable pionnier du style graphique en France, il a inspiré bon nombre d’artistes de sa génération et permis à un nouveau style minimaliste et novateur de se développer. A l’époque où le traditionnel, le japonais ou le tribal étaient légion sur les peaux, Yann Black a imposé sa façon de dessiner et sa propre vision du tatouage. De prime abord très sombre ou au contraire enfantin, ce spécialiste des lignes et aplats noirs, des croix et d’animaux épurés a cassé les codes et fait sortir le tatouage des carcans traditionnels.De son parcours entre Bourges, Paris et Bruxelles avant son expatriation à Montréal, il nous raconte les déboires des débuts, l’accueil pas toujours enthousiaste et les rencontres décisives.Rendez-vous à ne pas manquer à Paris à l’automne pour une exposition unique !
Salut Yann, raconte-moi un peu ton premier tatouage.
Je suis né à Bourges donc une petite ville au milieu de la France. J'étais à l'école de dessin animé à Roubaix et je revenais aux vacances scolaires. Avec mon meilleur ami on est allés se faire tatouer, je suis arrivé avec mon dessin avec des petits carrés noirs et le gars m'a tatoué. J’étais fasciné, ça m’angoissait pour lui, quel métier de fou ! Je ne je sais pas pourquoi j'avais envie de ça parce que chez moi personne n’était tatoué. Les seuls que j’avais vu avec des tattoos c'était les punks qui descendaient pour le Printemps de Bourges chaque année.
Et le dernier ?
C’était par Val la mère de mes enfants. Émile ma plus jeune fille avait dessiné des yeux avec des larmes avec écrit « chagrin » et « tristesse » que je lui avais demandé pour un design de t-shirt. Val m'avait tatoué les deux yeux de chaque côté sur les épaules mais on n’avait pas encore ajouté les mots. Je me fais tatouer beaucoup et souvent. Je trouve qu’en tant que tatoueur, on oublie un peu la douleur et quand un client a mal et n’en peut plus, on a envie de finir notre séance. Mais le tatouage ça fait mal et un client de Kostek avait dit « je traverse un grand moment de solitude ».
Pour parler de tes débuts, comment as-tu appris à à dessiner ?
Moi je sais pas vraiment dessiner, dans le sens où si tu me demandes de faire une rose , je vais trouver le moyen de le faire à ma façon. J'ai fait une école de dessin animé mais quand j'étais jeune entre 15 et 18 ans à Roubaix. J'ai appris à dessiner là-bas. J’ai passé mon enfance dans les expos à regarder les peintures. J'ai toujours beaucoup dessiné mais j'ai toujours dessiné à ma façon. J’ai fait la formation académique mais ce n’était pas ça qui m’intéressait. J’ai un sens de la composition, les gens viennent me voir pour ça.
Raconte moi tes débuts dans le tatouage.
Le début du parcours c’était à Bourges. Je suis revenu montrer mes dessins au gars qui m’avait tatoué. Il avait réussi à me procurer du matériel à Orléans et je me suis tatoué un petit tribal que j’ai recouvert depuis. A l’époque c’était très marginal en France de tatouer. J’ai tatoué mon père et mon meilleur ami puis j’ai tatoué mes potes à Roubaix. Je n’ai pas gagné d’argent pendant des années. Après à Bruxelles ça a changé et on m’a montré comment souder les aiguilles et contacté pour venir travailler à Paris chez Tribal Act. Moi j'arrivais avec un classeur déjà bien garni de trucs bizarres, de dessins d’enfants, des carrés noirs et des formes abstraites. Je suis resté quelques mois et j'ai gagné de l'argent pour la première fois de ma vie ce qui était assez incroyable. J'étais le seul tatoueur, c'était que du piercing. Je suis resté 8 ans à Paris.
Et la rencontre avec l’équipe de la Boucherie Moderne ?
J’ai rencontré Jeff, on a commencé à tatouer la même année, il tatouait dans un bar de bikers. Puis on s’est recroisés quelques années après au festival de Dour en Belgique avec Kostek qui était sérigraphe. On a sympathisé. Puis quand ils ont ouvert la Boucherie Moderne, ils m’ont proposé de venir tatouer en guest.
Comment as-tu atterri ensuite à Montréal ?
En fait j’ai rencontré Olivier Julliand dans l'une des rares conventions que j'ai fait de ma vie à Rennes. Il avait une boutique à Toulouse et m’invitait très régulièrement. Il était allé plusieurs fois à la convention de Montréal et était tombé amoureux du Québec donc il a eu l'envie de s’expatrier avec sa femme et ses enfants. Il m’a proposé de venir. J'ai fait tous les papiers, ça a pris 2 ans puis j'ai rejoint Olivier qui avait déjà ouvert sa boutique. Personne ne connaissait mon travail, je suis un peu reparti de zéro. Puis j'ai commencé à tatouer la communauté française expatriée.
Tu as su repousser les limites du tatouage traditionnel et devenir un pionnier du style graphique en France. Est-ce que t'avais conscience de ça au moment où tu as commencé à à tatouer ?
Pour être honnête, non, parce qu’au final ce que je fais en tattoo, c'est ce que je faisais déjà en dessin à l'époque. Je n’ai pas cherché à faire un truc incroyable et différent, c'est arrivé à moi. C'était nouveau. Il y a toute une clientèle, l'idée du tattoo leur plaisait mais graphiquement rien ne les avait touchés. Quand ils ont vu des dessins d'enfants, ça n’existait pas. Les gens ne savaient pas qu'on pouvait faire autre chose.
Est-ce que cela a été mal accueilli au début ?
Quand Lionel a envoyé des photos de mes tatouages à un magazine américain, j'ai reçu une lettre manuscrite d’un gars du Texas me disant que c'était dégueulasse, que c'était une honte pour le tattoo. Même encore maintenant après 30 ans de tattoo, je suis encore toujours plein de doutes. C'est quand même dur de marquer les gens à vie, c'est une responsabilité .
Tu fais beaucoup de crânes, de croix, de feu, toujours très noir. Comment est-ce que tu définis ton univers ?
J’ai toujours dessiné des croix. Quand j'ai vu le film « Jésus de Nazareth » j'ai adoré. La crucifixion m'a fasciné. J’adore l'imagerie religieuse et puis la mort ça me fait tellement peur . Déjà petit je faisais des rêves super dark sur la mort, je sais pas d'où ça vient. Mais la mort, j’y pense tout le temps. Le Memento Mori, je n’ai pas besoin de me le tatouer. Je ne m’inspire pas d'autres artistes, c'est vraiment mes émotions .
On retrouve aussi des motifs plus enfantins, en apparence assez simplistes, parfois des animaux. As-tu adapté le tatouage au dessin ou le contraire ?
J'ai beaucoup dessiné à l'époque où je faisais des BD et des fanzines. Mon dessin a changé avec les années, et puis c'est faiten harmonie avec le corps, forcément il y a des contraintes. En fait ce que ce que je fais maintenant, je le faisais déjà avant. C'est un truc que j’avais déjà en moi et que j’ai développé et fait évoluer mais c'était déjà là.
Tu ne fais jamais de flashs, tu fonctionnes uniquement sur commande. Est-ce un désir de raconter une histoire unique à chaque fois ?
Oui. Les gens viennent le matin, je n'ai aucune idée de ce que je vais tatouer. J’aime ça car il y a cette rencontre. C’est toute la journée. On fait le tri ensemble, on discute puis on dessine sur la peau directement. Je ne fais que du free hand car si je fais un dessin sur un papier puis je le pose sur un volume, ça ne va pas fonctionner.
Tu es vegan, activiste. Comment tes convictions nourrissent ta créativité ? Est-ce que tu utilises ton art pour faire passer ton message ?
Le truc chouette de la séance de tattoo c'est que justement c’est un moment très intime où tu vas parler avec les gens. Quand ils prennent rendez-vous avec moi, c’est marqué dans ma signature, de ne pas ramener de produits d'origine animale. @yannblacktattoo