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El Patman

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Interview EL PATMAN

@pascalbagot

Tatoueur depuis plus de vingt ans, spécialisé dans le dotwork, style dont il est l’un des pionniers en France, El Patman revient pour Inkers sur son parcours riche en expériences. Depuis la réalisation de son rêve de devenir tatoueur à la poursuite de l’exploration d’un style aux possibilités infinies, ce grand bavard nous raconte dans cet entretien fleuve son immense satisfaction à exercer un métier passion.

Tu nous racontes un peu ton parcours jusqu’au tatouage? Il me semble que tu as été formé par Yann Black. Quel impact cette rencontre a-t-elle eu à l’époque ?

J'ai 13/14 ans, je suis au Collège et un jour, dans la cour, il y a deux gars en train de se tatouer avec de l'encre de stylo et un compas. Magique ! C’est mon premier « contact » avec le tattoo et ça m'a scotché, j’ai tout de suite été fasciné. Quelques années passent, il faut dire qu’au début des années 1980 il était assez rare de croiser des studios de tattoo et encore moins d'y rentrer si tu n’avais pas l’âge. Les publications, elles, étaient rangées dans les librairies entre les revues de fesse et de moto. Et encore, quand il y en avait… Donc, à l’exception des opportunités d’en voir dans la rue ou d’admirer les photos sur les pochettes des disques que j’écoutais, c'était compliqué et « fermé » comme culture ! Je n'ai pas ce truc de : « Mon grand-père, mon oncle, ma tante avaient des tattoos, etc.. ». Dans ma famille, personne ne l’était, jusqu’à ce que je m'y mette, en fait !

Comment y viens-tu ?

Depuis ces deux gars au collège, j’étais resté sur : « Qu'est-ce-que c'est que ce machin ? D'où ça vient ? Comment ça marche ? ». Tout ça dans un coin de ma tête ronronnait doucement… Puis, un peu après mes 18 ans, je suis arrivé à Paris ; j’aimais cette ville. J’ai tout de suite pris un annuaire et cherché les studios de tattoo dans la capitale pour atterrir chez Bruno à Pigalle. C’était parti, LE truc que j’attendais depuis mes 15 piges se réalisait. Bien que très déçu par la séance, j’en avais un. L’année suivante, à Toulouse, il y avait un shop à côté de chez moi : « Fantasy Land », tenu par Raymond et Betty (Raymond est toujours en activité, Betty je ne sais pas !). À l’intérieur, l’ambiance était très différente : une bière avant de commencer, les Ramones à fond. Je me suis dit : « Hé, je crois bien que cela me plairait de faire ça ». Mais devenir tatoueur à ce moment-là était compliqué. Je n’étais pas spécialement fan par ailleurs des bateaux pirates et des têtes de tigre. Et puis je n'estimais pas avoir le niveau nécessaire en dessin. À bien y réfléchir, il n’était pas dingue à l’époque et j’aurais certainement pu m'en sortir… Mais bref.

Quels styles t’attiraient ?

Les tatouages ethniques, les trucs graphiques, noirs, celui des « Modern Primitives », ce courant auquel ont été assimilés les tatoueurs Leo Zuluetta, Curly, Alex Binnie, Xed Le Head. Les années ont passé et je dessinais des flashs pour des potes qui se les faisaient ensuite piquer par des tatoueurs. De mon côté je cherchais quelqu’un pour me faire du blackwork et là, coup de chance, je tombe sur un gars qui arrivait de Bruxelles : Yann Black. Il était chez Tribal Act, la boutique en face de chez moi. Wow ! Mais la claque que j'ai pris ! J’ai réalisé que OUI, on pouvait faire ce genre de tattoo en noir et dans un style graphique . Très vite, je suis devenu un de ses clients, un pote aussi. Un jour je me suis interrogé : « Mon gars, tu as 30 ans, qu'est-ce-que tu aimes vraiment ? ». La réponse s’imposait d’elle-même : «  Le tattoo, évidemment ! »

Tu lui as proposé de travailler avec lui ?

Oui, et fidèle à lui-même, sans même voir mon book, il a répondu : « Ok ! ». J’ai débuté alors un apprentissage disons « classique », sauf qu'il n’a jamais voulu que je lui prépare son poste, que je lui fasse son ménage - en revanche, je sais souder des aiguilles, hé ouais ! -. Je passais mes journées à le regarder bosser. Si j'avais des questions, on en parlait après qu’il ait terminé. La meilleure façon d’apprendre ce n’est pas de poser 10000 questions, mais d’observer et de laisser tes yeux et ton cerveau faire le reste. Deux années ou presque se sont écoulées et en 2003, j’étais « prêt ». On m’a dit : « Il faut y aller ». Et là, j’ai eu ce sentiment d'être en bas de la montagne, au début d’une longue ascension, que j’avais l’intention de faire à mon rythme. Je savais que j’allais apprendre, encore et encore. Ce n’est jamais fini et c’est ce qui me plait ! Personne n'a la science infuse et il y aura toujours quelqu'un pour te montrer une autre façon de faire.

C’est le début d’une longue aventure.

Qui se poursuit encore aujourd’hui (pour les forts en maths, ça fera 20 ans cette année !!! Sköll !!! ). C’est fou. La première fois que j'ai tenu une machine j'ai su que c'était vraiment ça qu'il me fallait. Je l’ai senti intérieurement, je ne sais pas comment l'expliquer ! Je m‘y intéressais depuis tellement d’années et là, enfin, je tatouais. Après toutes ces années, je me sens aujourd’hui ni blasé, ni fatigué. Il y a encore beaucoup de choses à découvrir et à essayer. Mais il faut rester humble. Si tu tu penses tout savoir et te reposer sur tes lauriers, c'est mort.

Le studio Into You, à Londres, a aussi joué un rôle important dans ton parcours ?

Haaa « Into You »... C'est comme Tribal Act (dans le domaine de la bodmod, et du tattoo avec ce qu'ont apporté Yann, puis Lionel…), ce sont des studios qui ont mis la barre très très haut, qui ont expérimenté et fait avancer les choses. Avant même de tatouer, j'avais un œil sur ce qui sortait de chez eux grâce aux rares publications sur lesquelles je pouvais tomber. Et puis là-bas, c'était la seule adresse que je connaissais où se pratiquait le « dotwork ». Par Xed le Head puis Tomas Tomas. J’affectionnais déjà cette technique, son rendu, complètement different, les formes géométriques. Et donc, un jour en 2004, j’ai pris le train pour Londres dans l'idée d'aller les rencontrer, avec mon book de dix photos. J’étais dans mes petits souliers. Je partais voir des Maharadjas du tattoo ! Alex Binnie n’était pas là, j'ai cependant rencontré Duncan X (très impressionné par mes tattoos de Yann dont il avait entendu parler ) mais surtout Xed le Head et Tomas. Je voulais aussi leur demander si cela ne les gênait pas que je leur pique leur technique de dot et que j'en fasse en France. Ce genre de démarche, motivée par le respect, se faisait encore au XXIe siècle ! J'ai été super bien accueilli. J’y ai passé la journée, à papoter, à les regarder bosser, à boire du thé (normal, pas aux champis), à prendre un tas de conseils sur les tattoos (« Fais-les plus grands !»).

Tu t’y mets dès ton retour à Paris ?

Oui, dès le lendemain ! Quelques essais ont été nécessaires avant de comprendre les subtilités, mais comme je les faisais sur moi ce n’était pas grave. Et le plus important à mes yeux était d’avoir, en quelque sorte, leur « aval » pour utiliser cette technique. Au début des années 2000 à ma connaissance, on était peu à la proposer en France : Alexis Calvié, Sky (à Bruxelles) et moi. Autant dire que personne n'en avait absolument rien à faire les premières années, à l’exception de quelques aventurièrEs (oui, Messieurs, les femmes sont bien plus aventurières que vous ! ). Cela a donc été un peu long à démarrer mais voilà, 20 ans après, on en voit partout. Il y a du très bon comme du très mauvais et c'est tant mieux. Cela fait évoluer le style.

Tu as longtemps travaillé au studio ArtCorpus à Paris, ouvert par Roberto Dardini, tu en as même été le manager. Quel regard portes-tu sur cette expérience aujourd’hui ?

Artcorpus continue de tourner avec une toute autre équipe, mais toujours avec Yannick à la tête du studio. Mon expérience a commencé par un poste en guest, puis comme résident et j'ai repris le studio avec Yannick, pierceur et bras droit de Roberto. Sincèrement, je n’avais pas réalisé l'ampleur de la tache que représentait celle de faire vivre un studio de neuf personnes. Toutes salariées d’ailleurs. C’est rare dans le tattoo, mais on l'a fait, et c'était pas plus mal. Il fallait gérer les guests, les événements, les conventions, et ma clientèle… La vie d'un studio, quoi ! Ce furent d'excellentes années et je ne regrette pas d'être passé « de l'autre côté du miroir », d’avoir vu et participé à l’évolution de ce studio pendant cinq ans. Aujourd’hui, si je devais le refaire, l'équipe serait plus réduite, mais sinon c’était génial.

Tu es aujourd'hui chez Les Derniers Trappeurs, un studio parisien lancé après l’aventure ArtCorpus par Roberto. Entre vous deux c’est une longue amitié.

Oui, ça commence à faire quelques années maintenant. Cela débute en 2005, quand il me propose de venir au Tattoo Art Fest et d'enchaîner en guest chez ArtCorpus. Plus tard, après une longue convalescence et ma reprise du travail, Adrien, Lionel et lui - les fondateurs des Derniers Trappeurs - m'ont proposé de prendre un poste chez eux. Je ne pouvais pas refuser. Roberto a toujours eu cette envie de faire sa route à lui, ponctuée d'idées assez folles : La création d'ArtCorpus, des Derniers Trappeurs, le Tattoo Art Fest (dont il faut se souvenir parce que depuis 1999 il n’y avait pas eu de conventions de cette envergure à Paris ). Des projets dans lesquels la porte a toujours été ouverte. Roberto fait sa route, mais il t’emmène avec lui si tu en as envie. C'est quelqu'un de généreux, de solide, sur qui tu peux compter, avec une volonté à toute épreuve. En somme, quelqu’un d’unique. Une personne très importante pour moi. Personnellement mais aussi professionnellement.

Tu as été graphiste avant de devenir tatoueur. Tu dirais que le dotwork et ton univers graphique sont un héritage de ce chapitre de ta vie professionnelle où sont-ils le résultat d’autres influences comme la free party, l’art psychédélique, l’art optique… ?

Mon expérience comme graphiste a eu peu d’influence. Je faisais de la presse interne, du packaging ou du catalogue (détourer de la semoule ou du chocolat en poudre avec photoshop 3.0, ça vous parle?). En revanche, je m’intéressais depuis longtemps à l'art optique et cinétique des années 1960, aux visuels associés au psychédélisme, puis bien plus tard à Myoshka et aux boulots de Tomas Tomas. C’est vrai aussi que l'émergence de la Techno au début des années 1990, des Raves, visuellement et musicalement, a eu une énorme influence sur moi. J'ai d’ailleurs eu un jour l'honneur d'avoir un bouquin dédié à ma pomme grâce à Artitude qui avait pour titre : Mydriasis (je vous laisse le soin de chercher ce que cela veut dire ).

Ton travail s’articule autour de patterns que l’on retrouve dans les cultures orientales, notamment les mandalas. Ce côté ethnique c’est quelque chose que tu revendiques ?

J'aime le mandala et le côté répétitif parce que pour moi cela représente aussi le mouvement perpétuel de la Vie, de l'Univers, de l'Histoire même. Ce côté ethnique rend hommage aux civilisations où le tatouage puise son origine. Évidemment, les designs ont évolué, ils se sont adaptés au temps, à l’Histoire, mais la base reste ethnique. Et c'est aussi parce que visuellement, cela me parle, bien plus que d'autres choses. En revanche, je ne suis pas du tout dans la dimension « spirituelle » des motifs. Je reste attaché à l’idée qu'un tattoo doit être unique et personnel.

La ligne est une succession de points, cela veut-il dire qu’on peut tout faire en dotwork?

OUI !!!:) Le dotwork apporte un rendu different, une autre façon de traiter l'ombre et la lumière. Et puis c’est une technique ancestrale, que l’on retrouve sur de très vieilles illustrations, utilisée dans le tattoo il y a fort, fort longtemps. Que ce soit pour de la couleur, du traditionnel, du géométrique, cela s'adapte à tout.

Le dotwork c’est un travail précis et minutieux. Ça va les yeux ?

Hahaha, oui presque. Maintenant, je fais des pauses plus régulièrement, histoire de les reposer ! C'est effectivement très minutieux, d'autant que je bosse vraiment en « point par point », pas en whip. C’est aussi rapide qu'une autre technique et c'est moins douloureux, Des années plus tard, le point est toujours là. Je bosse avec des rotatives « direct-drive » très silencieuses. Avec cette régularité qu'impose le dotwork, j’oublie le reste du monde quand je bosse.

Quelles sont les difficultés que l’on rencontre quand on aime comme toi enchevêtrer les motifs fins à la géométrie complexe pour créer de grandes pièces comme des bras ?

La plus grosse difficulté, c'est la pose des stencils. Il faut faire des raccords qui ne se voient pas sur le même motif ; en poser un sur un autre sans qu’ils se chevauchent ; gérer le volume du corps alors que les motifs sont en 2D, etc. Je n'utilise pas de logiciels (de patronage par exemple) qui permettent d'avoir les bonne mesures, je m’en tiens à mes stencils dans tous les sens. Pour le tatouage en lui-même, je suis assez rapide par contre.

Combien de temps te prend la préparation de pièce comme celles-ci ?

J'ai une bibliothèque de patterns qui me permet de proposer des motifs uniques dédiés à chaque projet. Les rosaces et les mandalas par exemple, je ne fais jamais deux fois les mêmes. Le temps de préparation est de l'ordre d'une dizaine d’heures. Hormis ces quelques dessins, je ne prépare jamais à l'avance le projet définitif. Dans 90 % des cas, avant le rendez-vous je regarde le truc et je me dis : « Nan, j'aime pas ». Et je refais tout. Donc, on se voit avec le ou la client.e, lors du premier rv et on fait les choix des motifs, des placements. Je nous laisse aussi la liberté de faire évoluer le projet en cours de route. C’est un travail à deux, constamment. Le tattoo, c'est beaucoup d’échanges avec la personne afin d’arriver à un compromis, entre ce que tu aimes et ce que la personne veut porter. Et je travaille tous les formats.

Tu nous expliques un peu comment tu procèdes ? Tu fais tout à l’aide d’un logiciel avant de sortir les stencils?

NON ! C'est un secret jalousement gardé ! Bon, je travaille beaucoup avec Illustrator et depuis peu avec ProCreate (qui m'a ouvert d’autres horizons). Illustrator (et donc le dessin vectoriel) a cet avantage de te permettre de passer d'un dessin de 20cm à 60cm, sans perte de définition. C'est un logiciel que j'utilise depuis ses débuts et que je connais très bien. Les premières années je faisais tout sur papier : les patterns, les mandalas, c’était galère. Et un jour je suis repassé sur Illustrator ! Beaucoup de tatoueurs utilisent Procreate, Geometrica, actuellement, et je reconnais que c'est super pratique et rapide. On peut le critiquer mais il ne faut pas oublier que les idées sont dans ton cerveau, pas dans celui de ta tablette ou de ton ordinateur !

Tu parlais récemment de sortir de sa zone de confort. Aujourd’hui après 20 ans carrière, où se trouvent ces nouveaux challenges ?

C’est nécessaire. Si tu ne le fais pas d’une tu t’ennuies et de deux les jeunes tatoueurs et tatoueuses qui arrivent avec un niveau de dingue vont te faire disparaître. On peut se sentir perdu avec tout ce qui se passe (l’explosion des studios privés, l’achat de matos sur Mamazone, ceux qui se lancent sans formation), mais à chacun de s’ intéresser, d'échanger, d'avoir toujours un œil sur ce qui arrive.

Tu as d’autres moyens d’expressions artistiques ? Il me semble que tu as travaillé avec des marques de fringues et tu as récemment collaboré avec l’App Inkers ?

La collaboration avec Inkers était vraiment géniale. Même si je n'avais pas toutes les notions techniques derrière, j'ai appris, et je suis très content de ce qui en est sorti ! J'espère que ça plaira aussi bien sûr et que ça peut aider. J'ai aussi travaillé avec une petite marque de fringues, Black Hurricane, plus orientée « metal », sur des illustrations qui n'ont rien à voir avec ce que je fais. J'aimerais développer une autre collaboration comme celle-ci, mais c'est plus long à mettre en place, donc pour le moment je n'en dirai pas plus ! J'ai aussi une vraie passion pour la musique depuis gamin. Je ne compose plus mais j'ai toujours aimé mixer. J’ai encore mes bonnes vieilles MKII. Certains jouent de la guitare, démontent des moteurs, moi, ce sont mes platines. Du coup, j’ai quelques mixtapes en ligne, que j'aimerais distribuer. À bon entendeur ! Enfin, je me consacre à la serigraphie, à la linogravure, pyrogravure, etc.. c'est tout nouveau et ça progresse ! + IG : @elpatman.ttt Les Derniers Trappeurs 6 passage de Ménilmontant, 75 011 Paris