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Andrey Kolbasin

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INTERVIEW Andrey Kolbasin

@pascalbagot

Fraîchement arrivé à Los Angeles, aux Etats-Unis, après avoir bourlingué aux quatre coins de la planète, le tatoueur Russe Andrey Kolbasin nous raconte son amour de l’art. En peinture comme en tatouage, il fait preuve d’un talent peu commun ainsi que d’un investissement total. Nourri aux oeuvres des grands peintres, amoureux de l’imagerie religieuse, Andrey associe aujourd’hui à ses influences des références à la culture traditionnelle du tatouage russe, faisant ainsi la synthèse entre deux époques de son parcours.

Tu es un artiste polyvalent, à l'aise dans différents genres. As-tu suivi une formation artistique ?

Effectivement, mon travail comporte toujours plusieurs images et styles et cela s’explique par le fait que je travaille depuis longtemps et que tous les deux-trois ans, j'ai besoin d'essayer quelque chose de nouveau, de moderniser ce que je sais déjà faire. C’est important pour moi de ne pas rester immobile, d'aller constamment de l'avant. Même si je n'ai jamais obtenu mon diplôme j'ai étudié pour être un artiste, de manière indépendante et avec des professeurs dans différentes villes et différents pays. J'ai beaucoup aimé les professeurs de l'Académie des Beaux-Arts de Saint-Pétersbourg et de l'Académie John Angel. Là-bas, j'ai touché du doigt les connaissances techniques du Caravaggio. J'étudie encore et cela m'intéresse toujours. Je compte essayer d'entrer à l'Académie des Arts de Los Angeles, en tant que dessinateur et animateur.

C’est cette curiosité pour l’art qui te mène au tatouage ?

Le tatouage m'a trouvé tout seul. À l'âge de 12 ans, mes amis sont venus me voir et m'ont demandé de les tatouer. Ils m'ont montré le fonctionnement de la machine (l'appareil fait à la main était très laid, rouillé, mais très fonctionnel). À partir de ce moment-là, je suis devenu tatoueur. Tous les jours ou presque, je faisais un tatouage ou je consacrais du temps à l’étude de l'art du tatouage. Je ne comprenais pas ce que je faisais, mais c'était très intéressant. Bien sûr, je savais dessiner et il m'était facile de comprendre ce que l'on attendait de moi mais, comprendre le fonctionnement de l'appareil et le support de la peau fut une autre paire de manches.

La Russie possède sa culture du tatouage, quel regard portais-tu dessus ?

La culture du tatouage traditionnel russe trouve son origine à l'époque de la révolution de 1917. Les incarcérations en masse ont alors donné naissance à la constitution de divers groupes à l'intérieur des prisons qui se désignaient par des symboles et des abréviations. Le tatouage né en Russie est un langage carcéral, voire un cryptogramme, qui est toujours utilisé, bien que de manière moins systématique. J'ai commencé ma carrière avec des tatouages similaires et aujourd'hui ce sujet m’intéresse à nouveau. J'ai ainsi décidé de combiner la peinture classique de la Renaissance et le débuts du tatouage traditionnel, car il s'agit pour moi de deux époques importantes. Ces tatouages ont de nombreux symboles et il me semble que ma créativité allie enfin la beauté à une signification profonde. Maintenant, j'essaie activement d'étudier le réalisme social.

Comment abordes-tu le réalisme, en copiant?

Oui. Mon enfance a été pauvre et cela m'a poussé à faire des copies exactes. Je copiais des affiches de magazines, des couvertures de cassettes audio et de CDs, toutes sortes d'images intéressantes. Un jour, j'ai fait un grand dossier comprenant 52 pages d'illustrations et cela s'est avéré être une bande dessinée. Chaque année, ma passion pour le dessin est devenue plus forte et j'ai commencé à étudier l'anatomie, les couleurs et la composition. Puis j'ai étudié avec les maîtres et j'ai accepté leurs connaissances. J'ai lu beaucoup de livres et de manuels et, bien sûr, j'ai dessiné une tonne d'images. Lorsque j'ai commencé à tatouer, le culte du tatouage réaliste n'existait pas encore, mais dès 2006-2007, j'ai fait mes premières tentatives de transfert d’images réalistes sur la peau. J'ai obtenu de meilleurs résultats lorsque j'ai acheté du bon matériel professionnel.

Quelle place occupe la peinture dans ton activité artistique ?

Elle est à la première place. Ma femme est souvent jalouse du chevalet. Quand j'ai du temps libre, je cours pour dessiner. C'est mon seul amour, le reste viendra plus tard.

En peinture, quelles sont les périodes picturales spécifiques qui t’intéressent ?

Je suis très inspiré par les œuvres de Caravage, Rembrandt, Velasquez, Van Dyck, De Vinci et autres. Cette époque est très proche de moi. Tout est tellement anatomique, réaliste et correct. Tout est élégant à sa manière. Les compositions sont fortes et les intrigues sont intéressantes. Mes sujets préférés sont la religion et la mythologie. L'école classique des peintures italienne, allemande, hollandaise et française est respectée en Russie. C'est ce que nous apprécions et chérissons, le savoir. Dans le tatouage, j'ai aussi introduit les connaissances que j'ai reçues dans les écoles.

Où se trouve l’équilibre, entre la toile de la peinture et la peau d’un client?

Le tatouage fait partie des beaux-arts, mais avec ses propres règles et canons. En peinture et en tatouage, deux choses sont importantes : le talent et un bon équipement. Dans le cas du tatouage, l'équipement n'est pas encore parfait. Il faudra encore investir beaucoup d'efforts pour qu’il bénéficie de toutes les possibilités de la peinture. Certaines des techniques peuvent bien sûr être réalisées sur la peau. J'aime beaucoup jouer avec l'ombre et la lumière, la texture, travailler avec une perspective aérienne. Mon atout est l'anatomie. J'aime vraiment faire des portraits ou des mains, le corps, car il y a toujours la possibilité d'entrer dans l'image et de sentir les os, les muscles et les volumes supplémentaires sous la peau. Il faut aussi jouer avec la couleur. Tout ce que je sais dessiner, je le fais en tatouage. La seule différence est que je peux peindre une toile pendant vingt séances et que j’en ai une seule pour les tatouages. Cela ne laisse pas de place à l'erreur. Pour ce faire, je dessine souvent, afin de toujours savoir ce que je fais et d'être sûr du résultat.

Une autre des limites encore à dépasser est la perte d’intensité des couleurs. Bien sûr, je dirais que tout cela dépend du type de peau. La cicatrisation est excellente sur une peau jeune mais elle vieillit aussi plus vite, car elle est plus épaisse et se renouvelle plus souvent. La peau âgée est fine et la couleur y reste mieux. Techniquement, une peau jeune et blanche est plus facile à tatouer et il est plus facile d'immerger le pigment dans la couche intermédiaire de la peau. Avec une peau âgée et bronzée, tout est plus compliqué. Pour faire face aux difficultés de la cicatrisation, il est nécessaire de comprendre comment travailler avec le support et comment configurer le matériel. Pour faire simple, le pigment n'est pas homogène et la peau n'a pas non plus toujours la même forme et la même structure. Il faut sentir au toucher ce que l’on fait. J'essaie de ne pas caresser doucement la peau et de ne pas m'apitoyer sur le client. J'essaie de mettre beaucoup d’encre pour qu'elle puisse rester une centaine d’années. Je donne des recommandations pour les soins ; j’interdis les bains de soleil et les changements brusques de température. Tout cela détruit le pigment et le tatouage s'estompe. Dans le futur, il y aura des encres sûres avec un pigment résistant à la lumière - alors les clients pourront prendre des bains de soleil en toute sécurité, mais il n'y a pas encore de telles couleurs.

L'art religieux est revenu en force dans ton travail, comment l’expliques-tu ?

Mes tatouages religieux sont ce que j'aime. Je suis moi-même un fan des icônes et des fresques d'église. J'aime beaucoup le thème en lui-même et j'aimerais continuer à évoluer dans cette direction. Les tatouages de prison sont également consacrés à la religion. Tout cela est étroitement lié et j'essaie de le faire magnifiquement, d'une manière originale et unique. Les images naissent de différents côtés. Parfois, je pense à un sujet et je crée une esquisse, comme la Vierge à l'Enfant ou l'icône des sept Flèches. Parfois, je vois une belle photo d'une fille et cela m’inspire. Les images naissent de manière autonomes. C'est la créativité libre.

Le tatoueur réalise une prestation de service, son travail consiste à refléter ce que le client souhaite dans le tatouage. Comment trouves-tu l’équilibre entre ta satisfaction artistique et le respect de la commande ?

Oh, c'est une lutte éternelle. Je fais ce que j'aime. Si les gens paient, alors je suis heureux, sinon, je cherche une toile sur laquelle expérimenter. J'ai une seule vie et je ne veux pas la passer à servir des clients. J'ai beaucoup de fans, ils me disent : "Andrey, j'aime tes dessins, fais ce que tu veux". Si un client a des souhaits et veut changer quelque chose, je l'écoute toujours attentivement et ensuite nous prenons une décision, ensemble. Si cela nous convient à tous les deux, je modifie l'esquisse, sinon, elle reste dans sa forme originale. J'ai un catalogue de croquis où chacun peut trouver quelque chose d'intéressant pour soi. J'ai cessé de faire des tatouages commerciaux en 2011. Si cela ne convient pas, je recommande de bons artistes que je connais personnellement.

Tu utilises des outils numériques ?

Non, faute de temps pour les étudier.

Quels sont les tatoueurs que tu considères comme des maîtres ?

C’est simple, il y a deux maîtres du tatouage pour moi : Dmitry Samohin et Guy Atchinson. L'un a une excellente technique, l'autre possède un excellent sens de la composition. Voici mon père et ma mère. + IG: @andrey_kolbasin