À 38 ans, Teodor Milev est aujourd’hui une pointure parmi les tatoueurs spécialisés dans le réalisme en France. À l’hyper-réalisme, le Lyonnais d’origine bulgare privilégie toutefois une approche pragmatique, moins portée sur la performance que sur les enseignements tirés de ses vingt ans d’expérience. Résultat : des pièces détaillées inspirées des grands courants de l’histoire de la peinture qui vieillissent bien et durent longtemps. Tatoueur - dans son studio 681 Tattoos à Lyon - mais aussi organisateur de la convention de tatouage Inkfactory dans la cité des Gônes, dont la prochaine édition se tiendra en avril prochain, Teo nous donne un avant-goût de ce qui attend le public pour ce rassemblement devenu un incontournable du calendrier.
Salut Teo, ça commence comment le tattoo pour toi ?
Ça commence en Bulgarie dans les années 2000, entouré par des clients des frères tatoueurs Stilian et Kaloyan Smokov. J’étais encore un gamin, j’avais15 ans et j’ai été complètement subjugué par la vision des grosses pièces japonaises qu’ils portaient. Je dessinais, je prenais même des cours (je voulais faire les Beaux-Arts) et voir les tatouages de Stilian et Kaloyan m’a motivé et donné l’envie de me lancer dans cette direction. J’ai donc commencé à apprendre le métier à Sofia et fais mon chemin à partir de là.
Quand sais-tu que tu as envie d’en faire ton métier ?
Dès mes premiers tattoos j’ai su que je voulais continuer à en faire.
Tu as tout de suite fait du réalisme ou tu as décidé de t’y consacrer à un moment ?
Non, j’ai passé plus de dix ans à faire des tatouages dans tous les styles, en démarrant par des petits tattoos puis beaucoup dans le style tribal et un peu de old school, de new school, etc. Je n’avais pas vraiment le choix, à cette époque il fallait être polyvalent pour répondre à la demande des clients. C’est ensuite que je me suis d’avantage tourné vers le réalisme. Je trouvais ce style plus intéressant et plus difficile à réaliser.
Pourquoi ?
Faire du réalisme aujourd’hui donne une impression de facilité car les outils à disposition ont évolué mais, quand j’ai débuté, nous n’avions que des photos de magazines et des photocopies pourries en guise de références. C’était beaucoup plus compliqué de faire un beau portrait. Je ne dis pas qu’il y a un style plus facile qu’un autre mais à mes yeux, le réalisme me paraissait plus compliqué et j’ai naturellement choisi de m’y consacrer.
Se spécialiser c’est indispensable quand on veut s’améliorer ?
Se spécialiser est une bonne chose mais si l’on reste dans sa zone de confort on stagne, on ne progresse pas. De mon point de vue, c’est important de se mettre constamment des challenges. Une fois atteint un certain niveau, il faut aller chercher quelque chose de plus compliqué, de nouveau pour se remettre en question et progresser encore et encore.
Tu nous parles de ta culture graphique ?
Elle est plutôt classique. J’ai toujours été inspiré par la peinture classique, surréaliste, Renaissance…Depuis mes débuts, j’ai toujours admiré les grands peintres et j’y reviens régulièrement puiser mon inspiration.
Tu travailles presque exclusivement en noir et gris, pourquoi ?
En réalité, je travaille aussi en couleur mais je le mets moins en avant. J’aime beaucoup le tatouage Japonais que je réalise très souvent en couleur. Pour ce qui est du noir et gris, j’ai passé énormément d’années à approfondir mes compétences et j’aime le fait de pouvoir réaliser un maximum de nuances et de textures avec une seule couleur.
Peut-on tout faire en réalisme ?
Je ne peux pas parler au nom de tout le monde mais je pense qu’on peut faire énormément de choses oui. Pour autant, cela ne veut pas dire que tout tiendra bien dans le temps. J’aurais ainsi plutôt tendance à dire qu’il faut simplifier certains motifs.
Tes compositions sont pourtant très détaillées.
C’est vrai, je fais des grosses compositions avec beaucoup de détails mais j’essaye malgré tout de simplifier, d’épurer le motif pour assurer une meilleure cicatrisation à la peau ou pour que le tattoo vieillisse mieux. Au fil des années, je me suis rendu compte que beaucoup d’éléments finissent par disparaître progressivement. Aujourd’hui, je pense ma composition de façon à ce qu’elle soit lisible de loin et qu’elle tienne dans la durée, à l’image du tatouage japonais. Pour cela, je privilégie les aplats, avec beaucoup de noir et de la ligne. Je garde ainsi mes distances avec l’hyper réalisme et je privilégie une composition reposant sur des bases solides.
Plus de détails c’est aussi plus de temps et de douleur pour le client. C’est un paramètre que tu prends en compte ?
Détails ou pas, tout le monde sait que ce n’est pas le tatouage qui fait mal mais le sopalin! (Rires)
Où est l’équilibre entre l’envie de repousser les limites et la réalité du vieillissement d’un tatouage ?
Je pense avoir atteint cet équilibre. Auparavant, je cherchais à faire des tatouages impressionnants à la réalisation et j’ai commis des erreurs en cherchant à coller à la photo au détail près, sans me rendre compte qu’avec le temps la moitié de l’information disparaitrait. Avec l’expérience, je me suis rendu compte qu’aller à l’essentiel participe à la réussite du tattoo. La composition doit conserver la force de son impact après cicatrisation. Que l’on parle d’un, deux, trois ans et au-delà. Si après tout ce temps le tatouage est aussi percutant, alors je considère qu’il est réussi ! Avec aujourd’hui un peu plus de vingt ans d’expérience, je sais qu’on peut faire du réalisme qui dure.
Pourtant, certains considèrent que le réalisme vieillit moins bien que d’autres styles, qu’en penses-tu ?
Effectivement un tribal épais et épuré vieillira mieux qu’un tatouage plein de détails, mais c’est le traitement et la structure de chaque tatouage - et cela quel que soit le style - qui défini son vieillissement et sa tenue dans le temps.
Quelles sont les règles à respecter pour qu’un tattoo réaliste dure ?
Selon moi les règles sont simples : il faut du noir, une demi teinte et la peau. Il faut réussir les contrastes de la pièce avec ces trois nuances. Encore une fois, c’est la technique et la structure du dessin qui comptent, et avec seulement du noir pur il est possible de faire des merveilles. Mes tatouages peuvent paraitre plus bruts, moins léchés lorsqu’ils viennent d’être réalisés mais, une fois la cicatrisation terminée, il est possible d’admirer un rendu final impeccable.
Les visages, qu’ils soient sous forme de crâne ou de sculpture reviennent souvent, peut-on parler de sujets fétiches pour toi ?
Je n’ai aucun sujet fétiche. J’aime me diversifier et c’est la beauté de ce métier. Hier je tatouais une vache, aujourd’hui une sculpture. Ensuite, il y a effectivement des sujets récurrents mais même si je devais tatouer des lions trois jours d’affilés, ça ne me dérangerait pas. La question n’est pas la répétition du motif mais de l’aborder et de le traiter différemment.
Plutôt petites ou grandes pièces ?
Plutôt grandes pièces… Toujours !
Tu organises la convention de Lyon, comment s’est passée la reprise l’année dernière ?
Après trois annulations liées au Covid, la reprise à été pour nous très stressante. Malgré une situation compliquée et de nouvelles restrictions, nous avons constaté avec beaucoup de plaisir que le public était au rendez-vous (14 000 visiteurs). Les tatoueurs avaient besoin de se retrouver et l’ambiance en a témoigné ! Nous avons eu de très bons retours de la part des artistes et des visiteurs et c’est notre plus grande satisfaction.
Comment se présente la prochaine qui aura lieu les 21, 22 et 23 avril 2023 ?
Elle se tiendra comme la précédente aux Anciennes Usines Fagor. Nous aurons cette année un peu plus de 250 artistes internationaux et plein de nouvelles surprises. Nous espérons donc que cette édition soit aussi bien si ce n’est mieux que la précédente. + IG : @teomilev 681 Tattoos 158, rue Vendôme 69003 Lyon https://www.681tattoos.com/ https://www.theinkfactory.fr/