DOROTHY PURPLE, ATELIER DE LA LUNE NOIRE, AIX-EN-PROVENCE, FRANCE.C’est dans une petite impasse du centre ville d’Aix-en-Provence que se trouve l’Atelier Lune Noire, et, cachée tout au fond de sa grotte, loin du tumulte et des spotlights, Dorothy y pratique son art depuis plus d’une décennie. Un style puissant et sombre, mais aussi subtil et raffiné, en accord avec la personnalité originale de Dorothy. Son travail reflète au mieux sa singularité, hybride d’ésotérisme et de beauté graphique. Soyez les bienvenus dans l’antre de Dorothy Purple.
Salut Dorothy, en quelques mots, peux tu nous donner un aperçu de ton parcours, d’où tu viens, ce que tu faisais avant de tatouer…?
J'ai grandi à Aix en Provence, où je vis et où se trouve mon atelier actuel, l'Atelier Lune Noire. J'ai un master en école d'art, j'ai travaillé brièvement comme illustratrice en agence et je tattoo depuis une dizaine d'années en shop, anciennement en équipe et seule depuis 2 ans, dans ma petite crypte adorée.
Dans ton travail, on trouve quelques touches très fortement inspirées par Philippe Druillet, peux-tu nous dire pourquoi et d’où ça vient?
Gamine, j'étais plutôt solitaire et timide, je passais mon temps à écouter de la musique et à bouquiner. J'adorais les contes, la mythologie, et surtout lire les bd de mon père. J'ai été bercé à grands coups de Métal Hurlant, et autres Humanoïdes Associés. On peut dire que -entre autres- Druillet, Jodorowsky, et Patti Smith ont fait toute mon éducation.
Tu m’as dit avoir eu une adolescence plutôt chaotique, ou du moins, assez marginalisée, c'est-à dire?
J'avais soif d'aventures, j'étais et suis toujours de nature enthousiaste, à friser l'inconscience. J'avais envie de tout faire, de tout voir, très jeune je me suis mise à beaucoup sortir, à courir les concerts punk, métal, les rassemblements contestataires, les trucs en marge, extrêmes. J'avais lu Castaneda et voulais vivre les expériences hallucinantes dont il parlait. J'ai fait de très belles rencontres et j'ai surtout eu énormément de chances qu'il ne m'arrive rien avec toutes les conneries que j'ai pu faire. J'ai un grand amour pour tout ce qui est décalé, réfractaire, hors norme et je m'ennuie assez vite. À refaire, je referai tout, mais je me suis un peu calmée avec les années.
Dans ta famille, l’art était omni présent, que faisaient tes parents et qu’as tu gardé de cette période que tu utilises encore aujourd’hui?
J'ai grandi avec des parents soixante-huitards, très libres et indépendants, mère allemande artiste peintre et père breton prof de taï-chi qui a toujours un cahier de dessin dans sa poche. L'art était omniprésent, je communiquais avec mon père par dessin. J'en garde une certaine inadaptation au monde et un besoin de solitude, mais ça me va très bien.
Qu’est ce qui t’a plongé dans le tattoo? Quels ont été tes premiers pas?
Je me teignais les cheveux de toutes les couleurs, je découvrais le bodmod, quand vers l'âge de 14 ans je suis tombée sur des photos de l'artiste Jean Luc Verna, couvert de tattoo d'étoiles, de toutes les formes et couleurs. Une révélation. Je me suis fait mon premier tatouage. Puis un second, puis un troisième. C'est comme si j'étais enfin devenu moi. Pas la peine de parler, mes tattoos parlaient pour moi. J'étais fasciné par les corps modifiés, le travail d'artistes comme Orlan m'a énormément fait réfléchir à notre relation au corps. Quand j'ai eu ma première machine, une trad hyper bruyante, je n'y comprenais rien. On se faisait des bousilles entre copains. Et c'est après mon passage éclair dans le monde du salariat en tant qu'illustratrice que je suis entrée en apprentissage avec mon maître, Laurent Z, avec qui je suis restée travailler pendant de nombreuses années par la suite. A ces côtés, j'ai appris à travailler proprement, sans qu'il ne contraigne mes choix esthétiques.
À tes débuts, ce furent principalement des crânes, des crânes et encore des crânes… pourquoi?
Ca aussi c'est de famille. J'ai grandi au milieu des crânes que ramenait mon père de nos balades en forêt. Et je continue la collection. Uniquement ceux issus de mort naturelle, je ne supporte pas la chasse ni les trophées. Mon père m'a récemment ramené les crânes de mes chats que j'avais enfant. Ils me surveillent depuis ma bibliothèque. Je n'y vois absolument rien de morbide, au contraire, je trouve ça ultra poétique. Ils sont la dernière manifestation physique de ce qui a vécu. J'adore leurs formes, le contraste entre leur solidité et leur fragilité comme de la dentelle. Je ne m'en lasse pas.
Comment définirais tu ton univers artistique et graphique? Et ton univers lorsque tu es en mode autiste tout au fond de ta grotte d’ours?
Ahlala la grande question ! Aucune idée. Tu as dit "Tristesse et beauté" ? Ornemental, sombre, végétal, ésotérique, délicat, parfois agressif ? Un mélange de tout ça... ?? Ma grotte est cosy, calme, hors du temps, coupée de l'agitation du monde de dehors. C'est un espace de repli à l'abri, parfait pour créer.
Lorsque l’on regarde ton travail général, on voit bien sûr cet ensemble très dark, fait de créatures, d’animaux, de crânes… et emprunt d’une ambiance assez lourde, et pourtant, il s’en dégage beaucoup de douceur et de subtilité, est ce intentionnel ou tu te laisses guider par tes inspirations propres sans trop y réfléchir?
Je dessine exactement ce qui me vient sans jamais forcer, globalement les mêmes motifs depuis toujours. Ils se sont affinés avec le temps, mais les thèmes sont les mêmes. Je crois très fort en la puissance de ce qu'on appelle "être dans la zone" quand on crée. Se laisser partir et laisser venir les lignes comme elles doivent exister. Sans contrôle. J'adore les accidents dans ces courbes aussi, les cassures, les contrastes forts, les vides qui mettent en valeur les pleins. Le trop lisse m'ennuie, je préfère le mélange des textures.
Quelles sont, selon toi, tes plus fortes inspirations et influences assumées… ou secrètes?
La musique est omniprésente dans ma vie, les concerts. Me balader, la nature, observer la forme des choses. J'adore les bijoux, ils s'accumulent et m'inspirent beaucoup. Je n'ai aucune culture film, je passe pas mal de temps à bouquiner. Je suis aussi passionnée de tarot et d'ésotérisme. Et je (procrastine) cultive à fond la slow life...
Et la bande dessinée dans tout ça? Tu m’as dit avoir voulu devenir auteure de bande dessinée… un rêve d’enfant ou bien il est possible que ça se fasse un jour?
J'ai commencé plein de trucs qui pourrissent dans mes tiroirs, plusieurs débuts de séries avec seulement les trois premières pages. Va savoir, peut-être un jour ?
Expliques nous un peu ta façon de travailler, ta façon de procéder pour réaliser tes tatouages?
On me soumets une idée, parfois uniquement un emplacement sur le corps avec quelques directions. Parfois des paroles de chansons, ou bien une liste de mots. Je réalise ensuite un croquis sur papier plutôt sommaire pour fixer ce qu'on va faire, que je propose à la personne. J'exécute ensuite la pièce partiellement avec un carbone, et en free machine, pour laisser la magie opérer et les lignes emprunter la trajectoire qu'elles doivent suivre pour s'adapter parfaitement au corps.
Quels sont les tatouages que tu as réalisé et dont tu es la plus satisfaite, et pourquoi?
Impossible d'en dresser une liste, il y a eu tellement de moments mémorables, de rencontres qui m'ont touchées, bluffées. Chaque projet, chaque personne me marque d'une certaine façon. C'est tout ce que j'aime dans ce que je fais et qui rend le fait de dessiner pour du tatouage : la rencontre, l'échange. Je marque quelqu'un qui me marque également avec son bout de vie qu'il partage avec moi dans ce moment un peu particulier. Mais je dirais que les projets où je me suis particulièrement régalé sont les grands formats. Les pièces fonctionnent tellement mieux quand elles ont la place de s'étaler.
Quel serait pour toi le tatouage idéal à créer et à réaliser?
Un full body ! On arrive à la fin de cette interview, si tu as des choses à rajouter, n’hésites pas, c’est à toi! C'était un grand plaisir d'échanger avec toi, merci ! Insta: dorothy_purple