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GLAMORT, MONTREAL, QUEBEC

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GLAMORT, MONTREAL, QUEBEC

Interview, photos et archives: P-modTravaux fournis par Glamort

45. C’est le nombre d’années d’expérience que cumulent Olivier Julliand et Vincent Bizzaroïd. ATC a suivi avec intérêt le parcours des deux comparses depuis les prémisses de la création de Glamort. Et le moins qu’on puisse dire c’est que la boutique Montréalaise a vu passer du beau monde dans ses boxs. Une identité forte, et surtout une ligne de conduite intacte qui a traversé le bon (et le moins bon) qu’a apporté la démocratisation du tatouage. Du début de leurs parcours personnels à l’état des lieux du tatouage québécois en 2019, en passant par les remises en questions sur leurs métiers, l'intransigeance du lien aux personnes qui passent par leurs aiguilles, Géraldine, Vincent et Olivier nous livrent sans filtre leurs visions croisées du tatouage dans leur locaux au sein du Château St-Ambroise.

Olivier, tu as fondé Glamort avec ta femme Géraldine en 2007. 20 ans de tatouage au compteur dont l’histoire commence avec ton frère Patrick qui t’a appris à tatouer à Toulouse, tu peux nous en dire plus?

Olivier Julliand: Mon frère m’a montré ce qu’il savait. Mais j’ai beaucoup appris tout seul. J’ai toujours dessiné, mais je n’avais jamais pensé à faire du tattoo mon métier. Il y a 20 ans, le tattoo était quelque chose d’underground et je ne pensais pas forcément y faire carrière.

Et toi Vincent?

Vincent Bizzaroïd: 27 ans ! J’ai commencé à tatouer tout seul chez moi, j’avais acheté des machines à Riton.

Tu l’avais rencontré il y a longtemps? Qui ?

VB: Je l’avais rencontré quand j’avais 14 ans, et on se revoit régulièrement. C’était ça ma révélation: Riton venait chez moi tatouer mon frère, je dessinais, et je me suis dit que je voulais faire ça.

Vous avez ça en commun: avoir démarré le dessin avant le tatouage?

OJ: Oui, sauf que Vincent avait fait des études dans le dessin. Je dessinais pour moi parce que j’aimais ça, j’ai fait une école agricole, j’ai beaucoup travaillé dans les travaux publics mais le seul truc artistique que j’ai fait c’est une école de maquillage. VB: J’avais commencé un BAC A3 mais j’ai arrêté en première année. Je voulais faire de la BD, jusqu’à ce que je trouve le tatouage. Pour la BD je n’étais pas assez discipliné.

Vincent, tu as donc intégré la BD au tattoo?

VB: Oui ça se ressent quand même. C’est pas cartoon comme Olivier, plus d’inspiration comics.

Avec beaucoup de codes traditionnels?

VB: De toute façon le tattoo japonais c’est de la bande dessinée. Les estampes c’est des histoires, c’est les premières BD.

Et votre rencontre?

OJ: Je connaissais Vincent des magazines et de son travail que j’avais vu à droite à gauche. Je l’ai vu en live la première fois qu’on a fait la convention de Rennes organisée par Sam Shoker dans un théâtre, salle de la cité près de la rue de la soif... Vincent tatouait beaucoup de tatoueurs, son travail était visible. VB: C’est vrai que cette convention c’était un peu mon moment de gloire (rires). J’étais à Nantes depuis deux ans et plein de tattoos que j’y ai fait étaient sur place. OJ: C’est là que j’ai rencontré Yann aussi [NDLR: Yann Black - Your meat is mine, MTL QC] C’était une belle convention qui m’a amené plein de trucs. Et la rencontre s’est faite ici à Montréal. VB: J’avais mis une heure à comprendre que c’était toi Olivier ! (rires) OJ: Vincent travaillait chez Tattoomania à l’époque, et moi j’étais avec Yann à la boutique. Quand Vincent a quitté TattooMania, il a appelé pour savoir s’il pouvait bosser chez nous.

Glamort, c’est quelque chose qui devait se faire ici, à Montréal?

OJ: J’avais rencontré Yann à Rennes et il était venu faire des guest à la boutique de Toulouse. On avait discuté d’ouvrir un truc ensemble sans avoir pensé spécialement où. Entretemps, on est venu faire la convention de tattoo de Montréal en 2005, quand on est rentrés on s’est dit: “Viens, on se casse à Montréal!” GJ: On est finalement arrivés en avril 2007, on a trouvé la boutique, on a fait les travaux et juin on a ouvert, donc ça a quand même roulé.

La culture du tatouage nord-américaine est très différente et avait une certaine avance Comment vous vous êtes sentis là-dedans à l’ouverture de la boutique?

OJ: On a fait la convention en 2006 et on est arrivés en 2007. J’avais identifié qu’il y avait un intérêt pour le cartoon, une certaine ouverture d’esprit et que le style était peu représenté ici. Et ça ne l’est toujours pas. Tout ce qui est new-school/cartoon, en Europe c’est en train de revenir sur le devant de la scène, mais c’est longtemps resté has-been. Maintenant ça fait 20 ans que je fais ça, mais tu reviens dix ans en arrière: les mecs qui font du cartoon n’avaient pas la côte.

Aux prémisses du graphique, du new-school ou du cartoon, ça a mal été compris en Europe?

GJ: C’était peu représenté, mais peu importe les jugements qu’il y avait par rapport à ça, je pense qu’Olivier a trouvé quelque chose qu’il aimait faire et où il était bon. Il n’a jamais dévié malgré les modes. Peut-être que certains voient les lumières en se disant ne pas avoir la reconnaissance de leurs pairs dans le cartoon et en bifurquant sur d’autres styles. Il a quand même une sorte de légitimité. Ça fait 20 ans qu’Olivier se dit “Moi je fais ça, je m’améliore là-dedans”, il fait partie des gens qui ont gardé une ligne de conduite et qui ont évolué dans leur style. OJ: Je pense que beaucoup switchent vers des trucs un peu plus “sérieux”. Pour les anciens du tattoo quand tu leur dis que tu fais du cartoon, c’est rigolo pour eux, mais t’es pas pris au sérieux techniquement. Yann c’est la même affaire: il est toujours resté fidèle à son truc malgré les difficultés rencontrées. GJ: Le cartoon permet de traiter des sujets lourds sans que les gens soient horrifiés. OJ: Quand tu fais plus quelque chose tourné vers l’illustration/comics, c’est de suite plus “réaliste”. Tu peux traiter des sujets plus difficiles dans le cartoon parce que visuellement c’est plus lisse, ça s’adapte dans l’ère du temps parce que les gens sont moins trash que ce que c’était au début. VB: Le tattoo est devenu un objet de grande consommation. Et tu vois beaucoup de gens moins sérieux. Les gens qui commencent des bras et qui ne viennent pas les finir, c’est devenu légion. Ils achètent ça comme on achète une paire de chaussures, et quand ils se rendent compte que ça demande une démarche personnelle, ça ne va plus. OJ: Ça ne touche qu’une petite proportion des clients, heureusement.

Plus de 160 shops à Montréal dont beaucoup qui regroupent une dizaine d’artistes, comment vous avez vécu cette démocratisation?

OJ: C’était exponentiel, que des noms dont je n’ai jamais entendu parler. Mais bizarrement, on a passé une annonce pour chercher quelqu’un pour bosser avec nous, pas un seul retour. Parce que c’est pour beaucoup des personnes inexpérimentées. Si tu leur dis: “nous on a pas pignon sur rue, il faut venir avec une clientèle”, il n’y aura personne. VB: On a eu quelques touches avec des vieux qui sont dans le même cas que moi, ça galère un peu, y’a pas assez de clientèle régulière, ici y’a pas de passage. Ils cherchent des boutiques où il y a du walk-in. OJ: Les “vieux” tatoueurs qui ont de la clientèle sont bien là où ils sont. Les nouveaux tatoueurs ne fidélisent pas la clientèle, donc ils ne peuvent pas se permettre d’aller ailleurs que dans un street shop où il y a du passage.

Le schéma classique du passage en street shop pour générer et fidéliser une clientèle en vue d’ouvrir un studio privé n’est donc plus d’actualité?

OJ: Au bout d’un an, maintenant les gens ouvrent leur boutique et prennent un apprenti, qui lui même reste six mois, ouvre sa boutique et prend un apprenti (rires). GJ: Récemment en banlieue, une personne a ouvert sa boutique avant de savoir tatouer. VB: Les mecs ouvrent une boutique, ils ne sont pas du tout dans le tattoo, ils prennent cinq tatoueurs qu’ils payent à l’heure avec un but lucratif. OJ: Le tatouage est un apprentissage de longue haleine. Deux ans de tattoo: t’as aucun recul sur ton travail pour savoir comment tes tattoos vieillissent. Quand tu vois certaines photos sur Instagram, tu sais direct que ça ne marchera pas dans le temps. Si tu as moins de dix ans de tattoo, tu ne sais pas comment ton travail vieillira.

A quel moment dans votre parcours vous vous êtes sentis dans le juste dans votre approche?

VB: Au bout de six ans sur la technique, j’ai senti que j’étais moins dans l’apprentissage. Après c’est le dessin qui évolue derrière, quand t’es plus à te prendre la tête sur l’aspect technique.

Et c’est plutôt une bonne chose, sans remise en question pas d’évolution, non?

OJ: Oui ! Actuellement je suis en pleine remise en question sur mon travail, sur mon dessin et aussi ma technique. On est encore en train de se demander quelles couleurs utiliser, au bout de 20 ans. Parce que tu as vu des boulots que tu as fait plus de dix ans, et que tu vois que les couleurs n’évoluent pas de la même manière selon les marques. Tu vois tellement de trucs où tu te dis “mais quelles couleurs ils ont utilisé, tabernacle?”. VB: Les photos que tu vois partout sur Instagram, faut les voir un an après. OJ: Et pourtant je sais qu’il n’y a pas de marques magiques. Je reste toujours étonné de voir la qualité de ce qu’il se fait aujourd’hui. GJ: Le pendant de ça, c’est que ça amène des clients qui te demandent des choses complètement irréalistes. On deale avec une clientèle qui a été biberonnée avec des “fausses images”, et qui ont ces exigences. On a des clients qui nous demandent des couleurs fluos. Je leur répond que si ça existait, je n’en voudrais pas dans mon corps et que que si c’était le cas, je ne pourrais pas garantir que dans quelques années ça ne tournerait pas au vinaigre.

Montréal semble pourtant être dotée d’une clientèle éduquée au tatouage? Comment vous avez vu bouger ces exigences?

OJ: J’ai pas tant de gens qui sont super exigeants. Les gens viennent en général par rapport à ce que je dessine. C’est vrai que j’ai des gens qui veulent des couleurs flashy qui pètent, j’ai une marque d’encre et ma technique pour tout le monde. C’est ta peau qui va faire la différence. Les gens s’attendent à avoir un truc qui ne bouge pas. Le seul truc qu’on ne maîtrise pas c’est l’évolution et la guérison. Des fois les gens pensent le tattoo terminé que c’est bon.

Techniquement, l’arrivée des rotatives ça a été un bouleversement?

VB: Je n’ai rien contre les rotatives, mais s’il y a autant de gens qui se mettent dans le tattoo c’est aussi parce que ça simplifie la chose, y’a aucun réglage. Quand tu vois les lignes épaissent sur le bout, le boulot graphique est beaucoup moins beau quand tout est boursouflé. Mais ça, ça se voit pas sur les photos Instagram. OJ: Ce qui a beaucoup changé les choses, c’est les pré-soudées. Si aujourd’hui on devait souder ses aiguilles, nettoyer ses buses et acheter un autoclave, il y aurait beaucoup moins de shops de tattoo. Tout ça, ça a beaucoup changé la donne. VB: Techniquement, il n’y a pas eu d’évolution significative en dehors des encres. Mais même ça encore ça date d’il y a 20 ans.

Tous les deux fidèles à la Coil?

OJ: Je n’ai jamais essayé de rotative. VB: J’ai essayé un an puis je suis revenu à la Coil. Ce ne sont pas des mauvais outils, mais ça reste des marteaux. Ça dépend de ton travail, mais tu as intérêt à faire attention, tu ne t’amuses pas à faire des petits dégradés. OJ: Ça dépend, quand tu vois en convention que 70% des tatoueurs bossent à la rotative, c’est quand même qu’il doit y avoir quelque chose. Personnellement, je n’en ai ni trouvé la nécessité ni l’envie, parce que ça marche comme ça avec mes machines. Tu ne peux pas dire à quelqu’un: “je vais essayer sur toi et voir ce que ça donne” Tu vois? Ça me ferait tellement angoisser. Et même si c’est des copains, comment tu sais comment ton tattoo va évoluer? C’est toujours sur du long terme le tattoo. Si tout ce que tu fais c’est pas planté et que ça part, toute l’année qui vient ce sera de la merde.

Vous n’avez pas le sentiment que ce besoin de pérennité revient?

OJ: J’espère, mais j’ai pas l’impression. Les gens sont sur l’instant. Si quand la personne sort et que son dégradé n’est pas nikel, elle va faire la gueule, même si tu lui lui dit que ça va se poser. J’ai de la chance de travailler avec des personnes qui me suivent et qui me demandent des grosses pièces. Donc, des gens ont une vision de mon travail dans le temps. Ils n’ont pas vraiment d’appréhension sur le travail qu’ils vont se faire faire. Ce n’est pas qu’une chance, parce que c’est du travail de fidéliser une clientèle, techniquement et socialement.

Dans cette offre croissante et hors qualité du travail, le client semble également plus exigeant sur le rapport avec son tatoueur?

GJ: Absolument, l’offre a du bon aussi. Ça oblige les gens à se rendre compte qu’il faut être correct, sérieux, que c’est un vrai boulot. Que même si tu ne tatoues pas le relationnel est hyper important.

Et dans la balance du bon et du mauvais qu’a apporté cette démocratisation, vous vous y retrouvez?

OJ: Moi je m’y retrouve, Vincent c’est une autre histoire. VB: Avec cette clientèle qui s’est démultipliée, c’est monsieur et madame tout-le-monde qui veut tout pareil que son voisin. Tout passe par les réseaux sociaux: c’est un bel outil mais ça fait également beaucoup de mal. T’as l’impression que tous les tattoos se ressemblent. OJ: On est pas de cette génération des réseaux sociaux, c’est plus difficile pour nous d’être à la pointe là-dedans, et même de s’y intéresser. Les nouvelles générations sont dedans depuis le début. VB: Mes potes de ces nouvelles générations me donnent des conseils, mais c’est juste que j’ai pas envie. Je fais l’effort d’avoir des réseaux sociaux et de publier des trucs.

Exister en tant qu’artiste en 2019 sans réseaux sociaux, ça vous semble difficile?

VB: Oui c’est clair. Au début t’avais ton site internet, les gens voyaient ton boulot, t’écrivaient pour bosser avec toi, c’était royal. Maintenant un site Internet ça ne sert à plus rien, plus personne ne passe par mail. Facebook et Instagram, c’est la boite e-mail du boulot. GJ: J’ai toujours plus ou moins géré le contact avec les clients en ligne, mais j’ai compris depuis longtemps que cela fait partie du jeu. On s’était posé la question de refaire le site internet, mais pour ce qu’on fait, les réseaux sociaux ça suffit. OJ: Quand tu vas sur des convs, y’a même plus de cartes de visite ou de books. Il y a des dessins exposés, mais la qualité de leurs tattoos, tu ne la connais pas.

Le changement de studio en privé il y a sept ans, qu’est ce que ça a changé?

OJ: Personnellement, pas grand chose. Au niveau du shop, l’un des changement a été l’arrivée de Reb [NDLR: Rebecca Guignard], une copine de Vincent de longue date. C’est une chouette fille, très consciencieuse dans son travail, avec une très bonne clientèle. On a un système de fonctionnement où chacun fait son boulot, y’a pas de système de pourcentage. On fait un partage des charges, et chacun fait son business. C’est aussi quelque chose chose que les gens ont du mal à intégrer. Quand une nouvelle personne arrive et que tu lui dis un peu de se démerder, les gens sont surpris parce qu’ils n’ont pas l’habitude que ce ne soit pas cadré. Les gens préfèrent payer un pourcentage et ne s’occuper de rien. Quand on a lancé ce système, ça a été beaucoup décrié. VB: Mais ça a créé des vocations depuis, y’a des shops qui ouvrent en appliquant ce système. OJ: Les gens dépendaient aussi beaucoup de la réputation du shop: une boutique qui tournait, tu n'avais pas envie de la quitter. Maintenant, quand les mecs se sont un peu fait une clientèle au bout de six mois, ils s’en fichent. Mais il ne faut pas généraliser, il y a beaucoup de gens qui font les choses bien. C’est comme tout, quand ça se démocratise, il y a des branquignoles qui profitent du système... VB: ...mais il y a un paquet de gens qui sont très forts et qui ont la bonne mentalité. OJ: En revanche ce qui a beaucoup changé c’est la féminisation du tattoo. A la dernière convention de Montréal, il y avait une grande majorité de filles.

Cette féminisation de la profession a ramené beaucoup plus de femmes dans les boutiques de tattoo, vous le ressentez ici aussi?

VB: On le voit clairement avec Rebecca: 70% de sa clientèle c’est des nanas. Ça se comprend aussi, t’as pas forcément envie de te foutre à poil devant le premier mec venu. OJ: Le milieu s’est beaucoup plus ouvert aux femmes. A l’époque si tu voulais te lancer dans le tattoo en tant que fille, il fallait avoir un putain de motivation et un sacré caractère. VB: Je me rappelle d’un article d’Ed Hardy au sujet de la place des femmes dans le milieu du tatouage, il rappelait comme les femmes devaient s’imposer dans ce milieu de bikers. A l’époque, ces mecs c’était pas toujours les crayons les plus aiguisés de la boîte.

2019...malgré tout il subsiste une certaine nostalgie de la culture un peu masculiniste que certains confondent avec certaines “valeurs”?

OJ: Oui, mais il y a toujours certaines valeurs qui restent présentes et qui ressurgissent de temps en temps.

Lesquelles ont été préservées pour vous? Ou qui sont à préserver?

VB: Question mystère…(rires). Si, le côté artisanal. Depuis quelques années, ils se prennent tous pour des artistes. Dans le sens tu exprimes tes affaires sur les autres. C'est pas la base du tattoo ça. Tu fais un tattoo, c’est pas pour exprimer tes idées sur la peau de quelqu’un. Et je ne comprends pas que la clientèle se prête à ce jeu là. GJ: Ce qui fait le tri, c’est l’humilité. VB: C’est ça, et tu dois mettre ton savoir-faire au service des gens. OJ: Le respect des anciens aussi, et la culture du tattoo surtout ! Je me suis pris la tête avec un apprenti rencontré en convention. Il m’a sorti un discours à la mort-moi-le-noeud, qu’il fallait “désapprendre” à dessiner, déconstruire, qu’on s’en fout des anciens: qu’est ce que tu me racontes mec? Prends un mec comme Safwan [NDLR: Imago, Montréal], il peut te parler des tatoueurs américains depuis les années 60 en te citant les dates, les noms, tout ! Cette culture, je m’y intéresse, tu ne peux pas te dire passionné de foot si tu ne connais pas un Platini, Maradona, Pelé...Tu peux être techniquement bon sans avoir une culture du tattoo qui remonte aux 40 dernières années, mais c’est quand même intriguant des gens qui se disent passionnés de tattoo et qui n’ont pas d'intérêt pour les gens qui ont ouvert la voie et qui ont travaillé pour ça. Je suis d'accord que ce n’est pas quelque chose d’indispensable pour être? d’être un bon tatoueur. Personnellement, je travaille tous les jours et c’est pour moi l’essentiel. Que j’ai 100, 1000, 100.000 personnes sur Instagram, ça change pas ma vie quotidienne. J’aime le tattoo, il faut que je rentre de l’argent pour faire vivre ma famille, le reste est accessoire. VB: De ce que je retiens de mes 27 ans de boulot, c’est qu’avec ma clientèle, j’ai côtoyé tous les milieux sociaux, et j’en retire une grande richesse. Maintenant ça me permet aussi d'évoluer dans plein de milieux. Tu apprends plein de choses sur plein de gens, que ce soit des mecs dans la construction, des flics, des bandits... OJ: Pour avoir ça il faut avoir ce contact et cette envie d’échanger. On parlait des valeurs qui se perdent, ça c’est important, l’échange. VB: Un de mes clients m’a fait une petite infidélité avec un russe qui lui a tatoué le crâne avec ses écouteurs sur le crâne tout le long de la séance, il avait envie de le tuer ! (rires)

Certains tatoueur.se.s justifient ça par un besoin de concentration, ça ne vous paraît pas défendable?

VB: Quand tu es en train de faire mal à quelqu’un, tu peux quand même lui demander si ça va, un minimum de considération ! OJ: C’est pas non plus un métier qui demande une concentration extrême, on est pas en train de faire une opération à coeur ouvert. Si tu ne parle pas, c’est juste que t’as pas envie de le faire. GJ: Pour un client ça se justifie parce que chacun a sa façon de gérer la douleur. Tu marques une personne jusqu’à sa mort et elle va certainement se rappeler de toi toute sa vie, la plupart du temps ça va aussi lui coûter un beau billet, et on ne te demande pas si tout se passe bien ou si tu veux faire une pause? Non. OJ: Ça peut arriver d’avoir des clients avec qui ça ne passe pas, tu te mettrais bien des écouteurs sur la gueule pendant six heures, mais ça fait partie du job. VB: Et quand ton client est moins tendu par la douleur, tu travailles beaucoup plus facilement.

Ça a toujours été une constante de privilégier ce rapport au client chez vous…

OJ: Ce rapport humain, c’est au moins 50% du travail. Du fait que ça va faciliter ton travail, et ça va t’amener une fidélisation parce que la personne aura eu une bonne expérience et elle va en parler autour d’elle. GJ: Tu vas aussi découvrir des personnes hyper intéressantes, comme le disait Vincent: quel métier te donne accès à un panel aussi large de la société? Ce n’est pas donné à tout le monde. VB: Et d’un autre côté, tu te confrontes des fois, en plus de la douleur, à des histoires assez lourdes…

...aussi parce que dans la majorité des cas, l’acte de marquer son corps n’est jamais anodin, spécialement pour un premier tattoo non?

VB: Ça fait 20 ans que je vois des clients qui arrivent pour un premier tattoo et qui veulent une manche, avec une démarche réfléchie. Ils savent quel motif, ils savent pourquoi ils le font. Des gens pas forcément bien dans leur peau et ils savent que ça va les aider à aller mieux. GJ: Et qui ont quelque chose à raconter, de traumatique ou pas. OJ: Je fais beaucoup de tattoos de représentation familiale, de gens qui veulent représenter leurs enfants sous forme d'animaux ou cartoon par exemple, c’est pas forcément des gens qui sont décédés mais il y a souvent une histoire derrière.

Vous avez des styles différents, ça veut dire une clientèle différente?

VB/OJ: Carrément. VB: Moi j’ai quand même pas mal de marginaux, mais ils sont moins nombreux maintenant, c’est pour ça que je galère un peu plus (rires). J’ai une dizaine de clients très fidèles que je vais finir par remplir intégralement. OJ: Moi c’est plus ouvert, graphiquement ça touche plus les gens.

Qu’est ce qu’on peut vous souhaiter pour la suite?

VB: Moi j’aimerais bien mon petit bout de plage au Nicaragua (rires) OJ: De ne plus avoir de calculs au reins (rires) J’espère que ce côté graphique et l'importance du dessin va revenir sur le devant de la scène. https://www.facebook.com/glamorttattoo https://www.instagram.com/olivierjulliand https://www.instagram.com/vincentbizzaroid/ https://www.instagram.com/reb80