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Chris Crooks The white dragon

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Chris Crooks & The White Dragon Tattoo Family

Interview & photographies : Tiphaine Deraison

Originaire de Belfast, Chris Crooks est parti de rien jusqu'à se forger un style japonais moderne, aux couleurs vibrantes influencé par les plus grands du genre. Ses pièces sont magistrales, tout comme son humilité. Alors qu'il a déjà passé plus de la moitié de sa vie à tatouer, il est propriétaire de deux salons privés dont le célèbre White Dragon, depuis ses 21 ans. Une charge qu'il avoue avoir pris très jeune. Il lui faudra alors apprendre de ses propres erreurs, prendre ses responsabilités, évoluer seul et s'améliorer vite et bien car “le tatouage n'est ni l'endroit ni le moment pour faire des erreurs”.

Tu as ouvert ta première boutique de tatouage à l'âge de 21 ans, à un stade plutôt précoce, comment s'est déroulée cette expérience ?

Dès le début, je voulais faire du tatouage japonais, même le nom White Dragon était préemptif, car tout ce que je voulais faire, c'était du japonais. Donc c'était fait exprès. J'ai ouvert White Dragon très jeune... peut – être trop jeune pour ouvrir ma propre boutique. Je n'avais que 21 ans et ce n'est surement pas quelque chose que je referai. Au fond, c'était trop rapide et ça incluait beaucoup de responsabilité. D'un côté, cela m'a permis d'apprendre vite et de m'améliorer de plus en plus. J'ai du être rapide car j'avais aussi toutes ces responsabilités qui pesaient sur mes épaules. D'un autre côté, je n'ai eu personne pour me donner la direction à prendre et ce, à un très jeune âge. Il y eut donc des bons et mauvais côtés. Tu dois apprendre de tes propres erreurs et le tatouage n'est ni l'endroit, ni le moment où tu peux te tromper...il faut apprendre vite et bien.

Peux-tu me parler de ton shop : White Dragon et qui y travaille actuellement avec toi ?

J'ai deux studios à Belfast, le shop principal est White Dragon où quelques uns de mes tatoueurs y viennent pour prendre le temps de travailler sur certaines pièces et dans l'autre shop il y a un groupe de tatoueurs dont un bon ami à moi, Barry, qui fait du travail noir, géométrique, réaliste, il est de Hongrie. Le nom du shop est White Dragon Family Tattoo parce que nous sommes avant tout amis. C'est super important d'avoir cette relation avec les gens avec qui tu travailles. C'était un walk-in shop mais après 6 mois, tout le monde était complet et ça a changé maintenant. Ce n'est plus vraiment walk-In mais sur rendez-vous car les gens utilisent les réseaux sociaux. Les clients arrivent avec déjà une idée en tête, il sont beaucoup plus éduqués d'une certaine manière mais comme tout ce que l'on voit sur Internet, tu peux aussi t'instruire mais avec de mauvaises informations. Le côté walk-in s'est donc arrêté mais le côté custom tattoo peut aussi être assez prenant.

As-tu toujours voulu faire du japonais ?

A l'époque, en Irlande, c'était très difficile de faire du style japonais. C'est un pays qui est tellement éloigné de cette culture et même si j'ai piqué quelques éléments simples dans le style au fil des ans, ça restait tout de même difficile. Mon travail en tant que tatoueur est de faire ce que le client demande alors j'ai dû influencer les gens et les amener vers mon genre favori. Je procède aussi de manière à ne pas vendre un tatouage japonais à des gens au hasard, mais j'essaie plutôt de les éclairer et de les emmener dans la meilleure direction. Je crois que si tu es passionné par ce métier et ce que tu fais, la plupart des gens et des clients, finissent par avoir l'esprit ouvert et se laisser tenter.

Comment cette passion pour les Japonais a-t-elle commencé ?

J'ai toujours aimé le tatouage japonais. J'ai toujours voulu en faire. J'apprécie d'observer d'autres styles de tatouages et l'art qui s'en dégage mais personnellement, je ne suis qu'un gars qui aime le tatouage japonais. J'ai toujours tout aimé dans l'art japonais, depuis mon plus jeune âge. Pourtant, je n'ai jamais été exposé au tatouage de manière générale, je n'y voyais que l'aspect artistique. Je me souviens que ma grand-mère collectionnait des antiquités et j'ai toujours aimé observer toute l'imagerie et cela n'avait rien à voir avec le tatouage, mais je ne réalisais pas à quel point les deux allaient être connectés dans le futur. Puis, tout a commencé quand j'ai pu m'acheter des magazines de tatouage. A l'époque, il n'y en avait pas en Irlande. Un type, dans un shop de tattoo, le commandait pour lui et le laissait là, à disponibilité. Lorsque j'y allais, je l'achetais. Les ressources étaient limitées... c'était il n'y a pas si longtemps que ça, en 2000. A cette époque, nous n'avions pas les réseaux sociaux peut-être juste myspace. Ce n'était vraiment pas aussi facile d'avoir accès à ce qui se faisait et de trouver des influences et des références. C'est comme ça que j'ai pu voir beaucoup de bodysuits de différents artistes japonais, évidemment l'un d'entre eux était Horiyoshi 3 parmi beaucoup de familles de tatoueurs japonais. J'ai aussi été influencé par certains américains, mais Filip Leu et Luke Atkinson, en Europe, étaient prédominants. Tout est arrivé naturellement, comme la plupart des choses dans la vie... Si tu les cherches, tu les trouves mais pour que ça vienne : ça peut être dur. Pour vraiment rentrer dans cet univers du tatouage japonais j'ai eu besoin de connaître l'art de très bons tatoueurs japonais, mais ce que je faisais était déjà très spécifique à mon pays d'origine : l'Irlande du Nord. Il y avait beaucoup de tatouages paramilitaires et je me disais : "Comment vais-je faire pour que les gens choisissent de faire du japonais, alors que quasiment personne ne demandait ça ». A cette époque, le plus en vogue était le flash traditionnel américain, mais typiquement influencé par l'Irlande du nord. L'Irlande du Nord de l'époque était tellement isolée que même en 1999-2000, l'industrie du tatouage en Irlande du Nord ressemblait plus pour être honnête, à ce qui se faisait dans les années 80. Il n'y avait pas de lien avec une communauté de tatoueurs plus expérimentés. Quelques gars plus âgés, ont voyagé, fait des conventions et ont pu rentrer en contact avec d'autres tatoueurs de renom par le biais de lettres, mais c'était compliqué de garder contact. Peu importe où tu es, il n' ya pas d'obstacles insurmontables. Bien sûr au départ, ce n'était pas facile de faire accepter ce que je voulais faire, surtout que les gens avaient l'habitude de choisir un flash affiché au mur. J'ai dû les encourager avec beaucoup de passion.

As-tu travaillé sur d'autres formes d'art comme la peinture ?

La responsabilité d'avoir une boutique et d'être marié, d'avoir des enfants jeunes, a eu un impact aussi. Je n'avais pas le temps de faire de la peinture. Je dessinais 100% du temps dans le domaine tattoo parce que je suis d'abord tatoueur. Cependant, j'ai beaucoup de respect pour les tatoueurs qui créent dans d'autres domaines. Je ne sais même pas si j'en suis capable... parce que mon attention est uniquement portée sur le tattoo.

Tu fais beaucoup de pièces larges, backpiece etc.. Sur quoi te concentres-tu dans ce processus artistique ?

J'ai beaucoup de chance, parce que les gens ne connaissaient rien au style japonais au début de ma carrière, j'ai pu faire... ce qu'ils savaient du japonais. En conclusion : ce que je voulais faire ! Il s'est avéré que cela m'a donné une grande liberté. S'ils venaient à moi avec de l' authentique japonais traditionnel, j'aurais dû plus me contenir. J'ai pu faire des tigres, des dragons... et tous les designs que je voulais, de la façon dont je voulais et avec les influences que j'aimais et aussi grands que possible. J'ai surtout été influencé par Filip Leu. C'est, à mon avis, pour chaque tatoueur qui fait du japonais, une grande influence. Il a fait un travail révolutionnaire, avec une telle énergie et à grande échelle dans les années 80. Horiyoshi 3 m'a également beaucoup apporté car c'est la véritable imagerie, la véritable et authentique maison mère, c'est une influence massive. C'est si authentique et traditionnel, qu'en tant qu'irlandais, je ne vais pas jouer avec, c'est comme au théâtre. Tu peux essayer de changer tout ce que tu veux pour que ça soit différent mais ça ne sera jamais aussi authentique. Pour être authentique, il faut vraiment essayer de t'y tenir le plus possible. Je ne fais pas du japonais traditionnel, mais j'utilise l'imagerie et j'en suis naturellement inspiré. Je suppose que pour être respecté, il faut apporter quelque chose et c'est ce que j'ai parfois fait mais ça me rend vraiment nerveux en tant qu'étranger. Je suis Irlandais, et ce que je fais, je l'interprète comme un élément faisant partie du style japonais mais je ne peux pas dire que je fais des tatouages japonais, ce ne serait pas vrai. Je voyage beaucoup, et je respecte beaucoup cette culture et je veux apporter le plus possible dans ce que je fais, mais je ne voudrais pas manquer de respect à cette culture en disant : "Je fais du tatouage japonais".

Tu as beaucoup voyagé... qu'est-ce que le voyage t'a apporté dans ton travail ?

J'ai voyagé au Japon à peu près 15 fois. Je me suis fait tatouer par Horiyoshi 3 et c'était une expérience extraordinaire même si j'ai juste fait une petite pièce, parce que j'ai tout mon dos tatoué par Filip Leu et que je n'ai plus la place de faire une pièce plus imposante. C'était un autre rêve que j'ai pu réaliser. Je me suis aussi fait tatouer par Shige (@shige_yellowblaze) de Yellowblaze. Avec Horiyoshi 3, j'ai eu une superbe expérience d'apprentissage. Il n'y a pas à dire, quand tu veux faire du japonais tu te dois d'aller au japon, c'est là-bas qu'est la véritable essence. Si ton approche est de tout emmagasiner lorsque tu piques un style pareil, ça ne marchera pas. Au contraire, tu dois y aller et t'entourer de cette imagerie et de cette culture. C'est pourquoi, à chaque fois que j'y vais, quand j'en reviens je me sens complètement revitalisé. Dans le tatouage japonais, il n'y a pas que l'imagerie, car c'est surtout une question de respect du corps et d'investissement sur des pièces très larges de bodysuits, qui ne sont pas non plus extrèmes. Si quelqu'un porte des vêtements, on n'aura aucune idée s'il est tatoué ou non et c'est ce qui en fait toute la beauté, car tu ne les vois pas tout le temps. Quand tu les vois ; ça fait cet effet : « wow ». C'est pourquoi les tatouages japonais sont toujours aussi impressionnants parce que tu ne les vois pas souvent. Il y a un certain type de personnes qui se font tatouer du japonais et qui veulent passer une centaine d'heures à faire quelque chose qui ne sera visible que par eux-mêmes et non un tatouage qui dure une heure et qui serait fait pour les autres. Ce sont des raisons de se faire tatouer, très différentes. Personnellement, je pense que cette particularité de le faire « juste pour soi » à son importance.

Comment tu as appréhendé ton tatouage avec Filip Leu ?

Je voulais inclure des éléments importants, reliés à ma famille, d'autres motifs reliés à mes opinions qui ont du sens. Je dirai que j'aime le tatouage... tout simplement et dans le cas de Filip, son approche surtout. Et je sais que c'est de cette façon qu'on obtient les meilleurs tatouages. Si tu as beaucoup de critères... tu mets le tatouage dans une boite et le tatoueur n'appréciera pas autant le processus.

Quel est ton mode de fonctionnement avec tes clients ?

Je ne planifie pas autant que je le devrais. Probablement parce que je l'ai fait pendant si longtemps. J'aime l'énergie du moment plutôt que de copier-coller une image complète sur un dos. J'aime ajouter des éléments en free hand, dans le second plan ce qui est assez commun au japonais. Ça permet de vraiment faire un tatouage custom, qui correspond à la forme du corps de la personne.

Les couleurs vibrantes ont-elles toujours fait partie intégrante de ton travail ?

Les couleurs ont toujours été importantes dans mon travail mais étrangement à chaque fois que j'essaie d'en faire des plus douces, pastel par exemple ou peinture à l'eau, ça finit toujours sur quelque chose de beaucoup plus intense. C'est aussi pourquoi je tatoue surtout des hommes, parce que ces motifs sont énervés, larges avec des couleurs extrêmes, donc j'attire le genre de personnes qui veulent ces images fortes et pas des images féminines et douces. Quand j'essaie de faire des motifs doux comme un phoenix, il finit toujours par paraître énervé ! (rires)

Tu es devenu aussi une influence dans le style...

Je crois qu'à partir du moment où tu penses être arrivé quelque part tu perds ce « momentum » d'aller de l'avant. On passe une bonne partie de sa vie à être influencé. Je n'ai pas spécialement confiance en ma position et je crois que si tu es trop confiant, il n'y a aucun moyen d'évoluer. Si j'influence des gens, c'est génial, j'espère juste être un bon exemple ; c'est-à-dire être respectueux de ce tatouage traditionnel et si je transmets quelque chose, j'espère que ce ne sont pas mes erreurs de parcours. Ça serait terrible (rires).

Quel est le motif que tu apprécies le plus ?

Probablement tout ce qui est le plus simple. Le fond en japonais comme les vagues, c'est vraiment là où on l'on peut voir la personnalité de chacun. Le jaune est jaune, le vert est vert mais le fond et sa densité est très importante, c'est pourquoi j'aime faire des carpes Koï, c'est simple, mais c'est quelque chose où tu peux vraiment amener autant d'énergie que possible. Un énorme dos de Samouraï est d'abord fun à faire par rapport aux nombreux détails mais c'est aussi là que tu dois vraiment « marcher au pas ». Parce que clairement en japonais tu ne peux pas ajouter ta touche dans un motif Samouraï. Le fond lui, à l'opposé, est là où je peux m'impliquer. Il n'y pas de bon ou mauvais mais il y a carrément plus de bonnes façons de le faire. J'y trouve une certaine liberté et c'est pourquoi j'aime les choses simples. Un dos doit être vraiment bien exécuté car c'est la pièce que l'on voit le mieux et tout ce que tu vois, c'est le mouvement, l'énergie et le flow.

C'est quelque chose que tu aimes à développer particulièrement ?

Il faut le développer. De tout temps les tatoueurs ont besoin de continuer à développer ce flow et la composition. Quand tu fais une carpe Koy ça peut paraître tellement posé sur une table quand il n' y a pas de flow. S'il y a une chose en laquelle j'ai confiance dans mes tatouages, c'est vraiment ça. J'ai l'impression de gagner en niveau de plus en plus avec mon encre parce que peu importe si c'est de la peinture ou de la sculpture ou autre... si on peut détecter l'énergie de l'artiste qui en est à l'origine. C'est tout ce qui importe. C'est de l'art. Ça peut être net et immaculé ce qui est très impressionnant... mais où est l'énergie au final?

Comment s'est déroulée ton tatouage avec Horyioshi 3 ?

C'était une expérience plutôt éprouvante pour mes nerfs. Se faire tatouer par Horiyoshi 3...il y a beaucoup de prescriptions, surtout dans la culture japonaise et quand tu es dans ce tatouage, tu ne veux pas échouer. Tu veux être au plus respectueux, spécialement avec Horiyoshi 3 parce qu'il est la racine de l'arbre et que tu es sûrement juste une feuille, tout en haut à tenter de faire du japonais. C'est très inspirant mais aussi stressant, de vivre cette expérience mais probablement la plus amusante que je n'ai jamais eu avec un être humain avec lequel tu ne peux pas communiquer. Quand tu voyages, tu veux apprendre, alors quand tu rencontres quelqu'un comme cette légende, tu es en demande mais tu réalises que la pièce déborde déjà d'énergie...Avec du recul, tu sais que tu fais déjà partie de quelque chose de fort. A chaque fois que tu as ce sentiment ça évoque la sensation de faire partie de quelque chose de spécial et c'était quasi pareil avec Filip parce qu'évidemment tu peux communiquer davantage avec lui et ça permet un niveau supplémentaire de spiritualité. J'ai trouvé cette énergie dans ces expériences et ce n'est pas si commun et même un peu perdu de nos jours. Mais avec certaines personnes, comme ces tatoueurs, on a l'impression d'entre r dans une sorte d’église.

Une histoire sympa à nous partager ?

C'est surtout que l'univers du tatouage est petit. Il y a quelques semaines, j'ai tatoué un mec d'origine asiatique venant de Vancouver et il s'est fait tatouer pendant deux jours. Le deuxième jour, mon prochain client arrive, pour parler de son dessin. Il venait aussi du Canada, de Vancouver. Je me suis tourné vers l'autre gars qui était en train de se faire tatouer, et je lui dis : " Hé, tu veux rencontrer ce gars, il est de Vancouver ". Il s'est avéré qu'ils se connaissaient et qu'ils jouaient au basket et faisaient du patin à glace ensemble ! Ils ne s'étaient pas vus depuis dix ans et ils se sont retrouvés dans mon shop et ils ont commencé à voyager ensemble. Pour moi, c'était assez bluffant en tant que tatoueur de réaliser qu'on a ce genre de relation intime avec les gens et à quel point on peut créer du lien. C'est aussi une partie importante du tatouage à considérer; car un tatouage est là pour toujours mais les circonstances et le moment où le client se fait tatouer et sa relation avec l'artiste est tout aussi importante. Si en tant que client, tu as une mauvaise expérience, peu importe comment le tatouage est fait... parce qu'il repart sans une réelle connexion. Lorsque tu passes 50 heures avec un étranger, à la fin, ce n'est plus un étranger, mais un ami proche. @chriscrookstattoo http://whitedragontattoostudio.com