Inkers MAGAZINE - Yutaro

>MAGAZINE>Portraits>Yutaro

Yutaro

Partager

INTERVIEW YUTARO

@pascalbagot

Originaire de Chiba au Japon, Yutaro a fait un long chemin avant de revenir à la culture de l’horimono – le tatouage figuratif japonais. Formé dans un premier temps aux États-Unis aux côtés du tatoueur Grime - expérience dont il ramène son pseudo de guerrier du tatouage ‘Warriorism’ -, Yutaro officie depuis 2016 en Europe. À Londres, il ouvre le studio Red Point Tatto avec sa femme Claudia de Sabe - elle aussi tatoueuse -. C’est là qu’il se consacre, dans une certaine éthique, à une interprétation du style classique et intemporelle.

Tu as commencé à tatouer professionnellement aux États-Unis. Quelle importance a eu cette expérience dans ton parcours ?

Oui, c'est exact, j'ai fait mon premier tatouage de façon professionnelle en Californie, en 1997. Mon véritable premier tatouage remonte cependant à la fin 1995, au Japon. En Californie, ce que je voyais était différent et tellement avancé en comparaison avec ce que j'avais vu au Japon à l'époque. Il était très important d'apprendre comment les gens en Amérique tatouaient et comment ils se faisaient aussi tatouer. Ils ont tellement plus de liberté, en terme de mentalité à ce niveau. Venant d'un pays très conservateur, c'était pour moi comme une bouffée d'air frais.

Tu faisais-tu déjà du style japonais ?

Je faisais plutôt des tatouages de style motard (crânes noirs et gris, etc.) et façon "walk in" (brassards tribaux et motifs floraux dans le bas du dos, etc.), mais comme j'avais l'air asiatique, les clients ont commencé à demander du style japonais. C'est alors que je me suis mis à étudier les motifs traditionnels, tellement je me sentais gêné lorsque les clients me posaient des questions et que je ne connaissais pas les réponses.

Quels contacts avais-tu avec le tatouage au Japon avant de partir à l'étranger ?

Pas beaucoup. J'en ai vu pour la première fois lorsque j'ai commencé à fréquenter des tatoueurs mais, avant cela, je n'avais pratiquement rien vu en ville. Seulement peut-être quelques tatouages traditionnels japonais dans des émissions de télévision. Ce n'étaient pas cependant de vrais tatouages, ils étaient peints sur les acteurs. En fin de compte, les tatouages étaient presque traités comme une sorte de chose mythologique, que l'on ne voyait pas dans la vie réelle en grandissant.

Qu'est-ce qui t’a attiré vers le tatouage à l'époque ?

Je pense que c'était surtout la musique. Beaucoup de musiciens que j'aimais en avaient un et je trouvais ça différent, cool. Et puis il y avait un côté dur. Cette idée que les gens autour de moi ne pourraient jamais avoir quelque chose comme ça m’attirait aussi beaucoup.

Tu dessinais ?

Non, j'ai toujours aimé dessiner mais seulement de temps en temps. J'avais d'autres intérêts, comme jouer de la musique dans un groupe et me battre. J'ai aussi fait mon service militaire au Japon pendant deux ans.

Aujourd'hui ton style tend vers un certain classicisme. Comment es-tu passé d'un tatouage custom aux couleurs flashy inspiré de la culture américaine à la culture japonaise classique ?

Progressivement, j'ai commencé à penser à mes clients qui vieilliraient en portant mes tatouages. Je voulais qu’ils en soient fiers en atteignant l’âge de 60-80 ans et je n'arrivais pas à les imaginer heureux avec les pièces personnalisées que je faisais à l'époque. Il fallait quelque chose de plus classique. Pendant le processus de réflexion, j'ai eu la chance de visiter le Japon et d'y rester quelques mois, de passer du temps avec les tatoueurs Ichibay et Mitomo Horihiro. Ils m'ont appris l'importance et la puissance des designs classiques et intemporels.

Quels sont les artistes japonais en particulier qui t’inspirent ?

J'en ai beaucoup : Hokusai, Kuniyoshi, Yoshitsuya, Ito Jakuchu, Kanō Hogai, Nagasawa Rosetsu, Soga Shohaku, etc. Pour le tatouage : Horitoshi 1, Akilla Horiyamato, Horizakura, Horimitsu, Horiuno I, Horiuno II, Horigorō, Horiyoshi II, Horitsune II, Horitsune III, Horishige, Horikyo, Horimomo, Bunshin Horitoshi, etc.

Tu préfères les petites pièces ou les body-suits ?

Des body-suits toute la journée, tous les jours, s'il vous plaît.

Tes peintures sont magnifiques. Quelle est l'importance de ce medium dans ta pratique artistique ?

Je te remercie beaucoup. Il est très important d'explorer les idées, les compositions et les autres aspects des dessins. Quand je m'assois et que j'ai des moments d'ouverture, de nouvelles idées viennent et j'essaie de les mettre sur papier.

Comment la peinture aide-t-elle à améliorer ton tatouage ?

Principalement en comprenant les compositions et les structures des dessins. Parfois, j'apprends aussi à être efficace.

Dans une interview avec le tatoueur italien Crez, tu évoquais le travail du peintre du 18e siècle Jakuchu Ito en disant qu'il peignait dans un "état d'amour inconditionnel". À cela, tu avais ajouté : "Peindre dans des états universels d'amour inconditionnel est mon but ultime". Que voulais-tu dire par là ?

L'amour inconditionnel n'a pas d'ordre du jour. C'est la force qui anime la nature. Je pense que c'est l'énergie la plus non filtrée que l'on puisse expérimenter sur la planète. À mon avis, le travail de Jakuchu transcende les ordres du jour et les conditions. J'aime cet état de flux lorsque je peins. Je ne pense pas à ce que les gens vont penser, à l'argent que je vais gagner avec ça, au nombre d'appréciations et de commentaires, etc. Je crée simplement et cela se crée tout seul. Quand la galaxie crée des étoiles, j'imagine qu'il n'y a pas d'ordre du jour. Ce genre de création pure se produit. L'image a une qualité naturelle. Et cela me rend heureux et calme de la voir. Cela n'arrive pas très souvent.

Tu vis maintenant à Londres, après avoir voyagé dans de nombreux endroits du monde en dehors du Japon. Comment vois-tu la culture du tatouage au Japon aujourd'hui ?

C'est difficile à dire, car je n'y suis pas allé depuis trois ou quatre ans. J'ai l'impression que ça change tout le temps. J'imagine que c'est toujours en retrait et moins libre. Je vois tellement de jugements sur internet. Les gens ne les aiment vraiment pas. J'ai l'impression qu'ils ont du mal à s'ouvrir à de nouvelles idées.

Depuis plusieurs années pourtant, les associations de tatoueurs tentent de faire adopter un cadre sanitaire pour la profession au Japon, n'est-ce pas ?

Je n'en ai aucune idée. Je sais seulement que les artistes ont gagné les procès (référence au procès gagné en 2020 par Masuda Taiki, le tatoueur d’Osaka, ndr). Mais oui, ce serait formidable d'organiser un cadre sanitaire là-bas et de réglementer l'industrie.

Le pseudo que tu emploies, Warriorism, est lié à ton histoire avec les arts martiaux. Peux-tu nous en parler et comment caractériserais-tu cet '"esprit guerrier" ?

Cela vient de mon mentor, le tatoueur américain Grime et de mon ami Civ. Ils avaient un truc appelé "tattoo warrior" (guerrier du tatouage) qui consacre sa vie au tatouage et se bat mentalement contre les tatoueurs non sérieux. Quand j'ai commencé à travailler avec Grime, il m'a appris que nous devions être des guerriers du tatouage et cela m'a donné beaucoup de courage pour continuer. Nous parlions de notre état d'esprit comme celui d'un "guerrier". Quand Instagram est apparu, j'ai choisi ce pseudo et c'est comme ça depuis. J'ai pratiqué les arts martiaux et j'ai été militaire, mais je ne suis pas un vrai guerrier. J'aimerais pourtant vraiment en être un ! Le ‘warriorism’ est donc une éthique dans mon cœur, qui me pousse toujours à devenir un guerrier.

Le tatouage est-il si difficile qu'il est comparable à un combat ?

Je trouve que les combats sont plus difficiles. Mais peut-être parce que je tatoue depuis longtemps et que c'est devenu une seconde nature. Mais il est certain que dans les deux métiers, il y a une quantité infinie de choses auxquelles il faut faire attention. Je ne m'ennuierai jamais en pensant à l'une ou l'autre de ces choses. + IG : @warriorism Red Point Tattoo 9 Penton Street N1 9PT Londres Tel : (0207) 689 2460 Redpointtattoo.com