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LilB

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INTERVIEW LILB

@pascalbagot

Du talent, le jeune tatoueur français LilB n’en manque pas. Après s’être distingué dans le fine line black and grey, qu’il apprend en tatouant les membres de gangs chicano dans les quartiers chauds de Los Angeles en Californie, puis avoir évolué dans un registre plus proche des Beaux-Arts, il s’est lancé ces dernières années, avec un certain goût du challenge, dans le japonais. À 31 ans, le Bordelais excelle aujourd’hui dans les deux styles, pourtant aux antipodes l’un de l’autre, montrant ainsi toute l’étendue de sa technique impeccable.

Avant de te consacrer au tatouage japonais tu as passé beaucoup de temps à faire du fine line black and grey. Peux-tu nous raconter cette vie d’avant ?

C’était très différent. Pendant sept ans j’ai vécu dans le sud de la Californie, à Los Angeles, où j’ai appris à tatouer. A l'époque, mes amis faisait du “chicano” et donc de la fine line black and grey (tatouage à aiguille unique, en noir et gris, ndlr). Quand j’ai commencé, je faisais principalement des tatouages sur des membres de gangs mais progressivement ma situation s'est améliorée : j’ai changé de quartier et donc aussi de clientèle. C’est alors que j’ai pu commencer à faire des choses se rapprochant des Beaux-Arts, comme des représentations de statues, etc. Il s’agissait toujours de la même technique et de la même exécution mais le sujet avait changé. Ma situation aux États-Unis était malgré tout très précaire et je vivais au jour le jour en colocation avec mon bro Sergio. C’était tattoo matin, midi et soir !

Avant le tattoo que faisais-tu ?

Je dessine depuis tout petit. Je suis passé par une longue phase de tag et de graffiti avant d’arriver enfin au tatouage. J’ai toujours été très attiré par l’art en général, mais plutôt par ses marges et ses “subculture”. Auparavant je regardais les trains comme le support ultime car ils se déplaçaient mais, un jour, je me suis dit que les humains étaient encore plus puissants car… ils avaient non seulement la capacité de se déplacer, comme les trains, mais ils étaient en plus vivants ! (rires)

De quelle façon ton expérience aux États-Unis a-t-elle forgé le tatoueur que tu es aujourd’hui ?

C’est une bonne question, à laquelle il est cependant difficile de répondre. Il me semble que là-bas le niveau global des tatoueurs est plus élevé que dans le reste du monde. Quand j’ai commencé, il y avait aussi un engouement général très fort pour le tattoo qui ouvrait à plus d'opportunités pour qui voulait faire des grandes pièces. Les clients font plus confiance à leurs tatoueurs et la question de la douleur ne les effraie pas, bien au contraire. Je me suis retrouvé ainsi à faire beaucoup de gros projets mais dans des délais très courts ! Parce que les clients américains n'ont pas le temps. Et les tatoueurs non plus. Quel contraste lorsque je suis rentré en France… J’ai trouvé leurs homologues français très feignants ou lents, et les clients plus indécis, voulant des petits tattoos dans des styles plus conventionnels en comparaison avec les pièces vénères dans lesquelles les Américains se laissent plus facilement aller (rires). C’est ensuite que j’ai réalisé qu’il s’agissait, en fin de compte, d’une autre approche du métier, avec un autre rythme. Mais cette expérience aux US m'a formé à travailler vite et beaucoup. Les personnes avec qui j’ai appris fonctionnaient comme ça. Et puis, c’est aussi grâce à la volonté et à l’engagement de mes clients que j’ai pu me développer artistiquement.

Comment s’est passée la transition vers le style japonais et pourquoi ?

Je l’ai vécue comme une renaissance. Bien sûr, c’était un véritable challenge, mais c’est très enrichissant. J’ai toujours été fan de culture Japonaise en général et le tatouage japonais me fascinait. Cependant, comme je ne pouvais pas aller au Japon et qu’autour de moi je n’avais personne de suffisamment éveillé sur le sujet, j’ai préféré patienter. C’est quand j’ai quitté les US que je me suis documenté plus sérieusement sur le style nippon. Pendant quelques années, j’ai fait en sous-marin des allers retours dans l’archipel, pour acheter des livres, regarder le travail des tatoueurs japonais. Avant finalement de me lancer.

Tu es notamment parti vivre deux ans au Japon, qu’as-tu retiré de cette expérience ?

J’ai réalisé qu’habiter là-bas était très différent qu'y être pour les vacances ! (Rires). Aujourd’hui ma femme est moitié japonaise, j’ai donc un visa grâce auquel je peux m’y rendre et y vivre ; même aujourd’hui, dans cette période compliquée pendant laquelle les frontières du pays restent fermées. Ceci dit, j’ai beau adorer le Japon et y être très souvent, y vivre à plein temps est assez brutal. Quoi qu’il en soit, il me semble nécessaire pour un tatoueur occidental qui veut faire du tatouage japonais d’y aller le plus possible et même, si c’est réalisable, d’y vivre au moins quelques années. Cela permet vraiment de comprendre en profondeur l'esthétisme et la manière japonaise de faire. C’est au Japon que j’ai le plus appris et que je continue en ce sens. Des connaissances que j’applique quand je rentre en France.

En comparaison avec ton travail en fine line, très détaillé, tu privilégies une approche des compositions en style japonais simple et lisible. Comment s’est-elle développée ?

Ce que je vais dire risque de paraître bizarre mais, de mon point de vue, le tatouage japonais est une sorte de graffiti. J’aime quand c’est simple et direct. Pas de superflu ou de manière, tu le regardes et le motif se lit instantanément. Tu le comprends et cela provoque une émotion, un ressenti. Mais, il est possible que cette appréciation soit une réaction à ce que je fais en fine line, avec des compositions et des designs super complexes. Peut-être faut-il y voir la manifestation d’une envie à revenir aux sources d’un travail plus simple, plus “raw”.

Concernant ton inspiration, es-tu plutôt ukiyo-e ou folklore japonais (j’entends Otsu-e, cerfs-volants, etc.) ?

Je dirais les deux.

Passer au japonais t’as obligé à travailler les couleurs, comment as-tu constituer ta palette ?

Je n’avais jamais fait de couleur auparavant et, je tiens à le préciser, j’ai rencontré beaucoup de difficultés quand j’ai commencé pour appliquer correctement les couleurs. C’est un peu comme si j'avais dû repartir à zéro, réapprendre à tatouer. Mais, en ce qui concerne la palette, je souhaite qu’elle reste restreinte. Pour cela, je copie les couleurs de certains maîtres de tatouage japonais dont j’apprécie énormément le travail.

Lesquels ?

Il y en a beaucoup mais je reviens toujours à Horiyoshi II, Horitsune II, Horikyo, Bunshin Horitoshi, Bunshin Horiyen, Horimomo, Sandaime Hori Fuji, Horiken de Shibuya et Horiuno.

Et dans l’art japonais en général ?

Ill y en a trop pour que je puisse tous les citer mais je dirais que mes plus grosses influences sont Utagawa Kuniyoshi, Utagawa Yoshitsuya, Hokusai, Utagawa Kunisada et Yoshitoshi.

Dirais-tu que tu es en recherche d’authenticité ou plutôt d’interprétation ?

Les deux.

Tu nous disais que habitais au Japon, avec ta femme, j’imagine que c’est l’occasion pour toi d’approfondir tes connaissances du tatouage traditionnel. Comment t’y prends-tu ?

J'habite entre la France et le Japon, donc nous faisons souvent des allers et retours avec ma femme, et j’essaie toujours effectivement d'approfondir mes connaissances du tatouage traditionnel. Au Japon mais aussi en France, je me documente beaucoup. J’ai la chance immense d’avoir de très bonnes relations dans l’archipel et de me faire tatouer par certains maîtres japonais qui ont accepté de partager beaucoup de connaissances avec moi. Ensuite, je peins énormément donc je vais beaucoup dans les magasins d’art où je rencontre des artisans qui m'apprennent plein de choses sur la peinture japonaise, sur les outils, les papiers etc. Je suis toujours en train d’essayer de m'améliorer par la pratique. Qu’il s’agisse de tatouage ou de dessin et de peinture.

Tu étudies les histoires des images que tu tatoues ?

Oui, mais malheureusement je les oublie trop souvent bien vite ! (Rires)

Au Japon, comment la situation des tatoueurs a évolué ces dernières années, d’après ce que tu as pu observer ?

Hmm… Je ne me sens pas forcément bien placé pour parler de la situation des tatoueurs au Japon. Je me contente de travailler dans les studios de tatouage de mes amis.

Tu as d’ailleurs toujours travaillé en studio privé, une façon de faire dont les Japonais sont très familiers. Quels sont les avantages de fonctionner comme cela ?

Oui c’est vrai, toute ma carrière s'est faite en studio privé. J’ai cependant ouvert il y a un an mon premier studio avec un ami. J’y travaille de façon semi-privée, et j’ai ma pièce privative pour tatouer. Je vois le tatouage comme quelque chose d’intime. C’est une expérience qui va au-delà de l’acte de se faire tatouer (surtout quand les projets sont importants) et je me sens plus apaisé lorsque je travaille de façon confidentielle. Dans les avantages, je dirais qu’il y a moins de distractions et que cela est bénéfique à la concentration ; celle que j’accorde au travail mais aussi au client. C’est ainsi plus facile de préserver l’humeur du temps passé ensemble, étant donné qu'il n’y a personne d’autre susceptible de nuire à l’atmosphère. Dans les inconvénients, il y a par contre le fait de se retrouver un peu plus seul. Être entouré d'autres tatoueurs c’est motivant et en même temps enrichissant. On peut s’apprendre des choses mutuellement mais aussi partager des connaissances, des ressentis etc. Ainsi, travailler de façon semi privée est un bon compromis. Quand je ne tatoue pas, je vais peindre au studio, je passe du temps avec d’autres tatoueurs. Mais, pour le tattoo, je me barricade dans ma pièce et je m’isole avec mon client.

Tu poursuis ton travail en black & grey en parallèle, pourquoi ?

Je ne pense pas encore avoir atteint mon potentiel maximum dans cette branche du tatouage. Bizarrement, le tatouage japonais m’aide à être meilleur dans mes compositions en noir et gris et, en retour, celui-ci m’aide à être meilleur dans mon application du tatouage en général. Enfin, il y a aussi l’aspect financier. J’ai la grande chance d’être extrêmement bien payé quand il s'agit du tatouage black and grey. + IG japonais : @lilb_wabori IG fine line black & grey : @lilbtattoo Studio The Hive 36 cours Saint-Louis 33300 Bordeaux Tel : 05 54 79 88 32