Il est l’un des tatoueurs japonais les plus doués de sa génération et tous les amateurs le connaissent pour ses compositions complexes et très détaillées qui recouvrent des corps entiers.
Silkneedle est le nom de votre studio, d’où vient-il ?
On utilisait au Japon autrefois l’aiguille en soie pour la réalisation du tatouage au tebori. Une fois utilisées, elles étaient aiguisées et servaient à nouveau. C’est en quelque sorte pour moi un retour aux sources, au point de départ. L’idée est donc à travers ce nom de conserver la motivation des débuts.
Peut-on revenir sur votre parcours ?
Après le lycée je suis allé à l’école de Design à Niigata. Je voulais être dessinateur, mangaka ou alors illustrateur. Après avoir fini mes études, j’ai eu du mal à trouver du travail. Mais à 20 ans j’ai eu l’occasion de voir pour la première fois un tatouage sur un copain. Un tatouage de style japonais. J’étais impressionné, c’était un véritable choc culturel. Comme mes amis savaient que je dessinais bien, ils m’ont dit que ce serait une bonne idée d’en faire aussi.
Que s’est-il passé ?
J’avais beau cherché je ne trouvais pas les outils de tatouage chez les commerçants. Il y avait le magazine Burst, très underground. En le feuilletant j’ai vu des pages consacrées au tatouage et j’ai commencé à réfléchir sérieusement. Le premier tatouage que j’ai fait, je l’ai fait sur moi, avec mes propres outils. Dans le magazine il y avait un article sur les machines faites en prison par les prisonniers. J’ai compris que moi aussi je pouvais le faire moi-même. J’avais 21 ans.
Le tatouage était encore taboo. Comment avez-vous apprécié ce paramètre dans votre réflexion ?
Je n’ai eu aucune hésitation même si c’était hyper taboo. Mes parents ont essayé de me raisonner et de me dire que ce n’était pas possible que je devienne tatoueur. En plus, le tatouage c’est pour les yakuza. J’étais tellement impressionné par le tatouage vu sur mon pote que j’ai eu une sorte de révélation. Comme si j’ouvrais tout d’un coup les yeux.
Vous avez grandi dans une famille d’artistes ?
Mon père était artisan, il travaillait le fer, les métaux, il était ferronnier. Moi aussi je le faisais. Donc, en fait, après avoir fini mes études, comme c’était difficile de gagner sa vie je travaillais avec mon père.
D’où vient votre goût pour le dessin ?
Depuis que je suis tout petit c’est quelque chose que je faisais naturellement. Dans ma vie je pense que j’ai passé plus de temps à dessiner qu’à faire autre chose. Je voulais faire des affiches, des publicités. Quoi que ce soit je dessinais beaucoup de choses différentes. Je faisais des peintures à l’huile, je continue aujourd’hui. J’avais appris avant d’entrer dans l’école.
Comment ça se passe, vous faites vos outils et vous commencez à faire des tatouages ?
Oui sur moi. Ma mère a pleuré, elle a regretté que je sorte de la voie normale. Je me sentais un peu désolé pour ma mère mais c’était mon truc. Petit à petit j’ai eu encore plus de tatouages et progressivement ma mère a renoncé à dire quoi que ce soit. Aujourd’hui cela fait 20 ans que je fais ce métier et ma mère considère que je fais en fin de compte un métier comme un autre.
De quelle façon le métier ou la perception du métier a évolué au cours de ces 20 ans ?
Il y a bcp d’informations consultables et beaucoup de tatoueurs ont une très bonne technique (le portrait, etc). Même après seulement 2-3 trois ils peuvent faire des choses très technique. Mais c’est une sorte de copier-collé, une technique qui n’a pas beaucoup de fond. Pour être un véritable tatoueur il faut bien sûr la technique mais aussi connaître l’ukiyo-e et sa signification, l’histoire. Les gens qui peuvent bien dessiner ne connaissent pas les mouvements des muscles et de l’articulation. Les vrais tatoueurs doivent tenir compte de ce genre de paramètres. Les tatoueurs jeunes peuvent donc faire des erreurs de placement et ainsi brouiller l’image tatouée. Ce qui est sûr, on peut constater qu’il y a plein de jeunes qui peuvent progresser beaucoup plus vite en dessin. Mais le wabori c’est autre chose.
Votre studio est privé ou visible de la rue ?
Il est au 4e étage, il n’y a pas de publicité. C’est privé, pas très grand.
Des jeunes viennent vous voir pour apprendre ?
Non, il n’y en a pas. De toute façon je suis à la campagne. Des étrangers envoient des mails parfois.
Quelles sources d’inspiration quand vous avez commencé ?
J’aime bien les livres sur les peintures. Je lis beaucoup de livre d’art, de peinture japonaise, j’adore Alfons Mucha (la ligne de son dessin est très sophistiquée, les mouvements organiques des cheveux peuvent m’inspirer des vagues). J’ai une inspiration artistique japonaise et étrangère. Mon champs de curiosité est très large, je ne me limite pas du tout.
Même si vous vous intéressez à l’art occidental et l’art japonais, quel type de tatouage faites-vous ?
Je pourrais faire d’autres motifs mais mes clients me demandent tous des motifs de wabori, d’ukiyo-e, mais ce n’est pas mon choix. Je voudrais tout faire mais il n’y a pas de demande.
Quelles sont les qualités importantes pour un tatouage qu’un tatoueur doit respecter ?
Le dessin de base. Ca dépend des parties du corps. Les coudes, épaules, les muscles, il faut en tenir compte pour le dessin de base. C’est le placement qui est très intéressant. Comme je fais des tatouages très complexes, tous mes tatouages sont dessinés avant. Si c’est un petit tatouage je dessine en free-hand.
D’où vient ce goût pour le détail ?
Mon caractère peut-être. Puisque mes clients connaissent mon style, très détaillé, ils viennent spécifiquement pour ça. A vrai dire je voudrais changer et évoluer vers un dessin plus simple. Kuniyoshi nous a appris que le tatouage c’était quelque chose qui devait être lisible à distance. En me concentrant sur cet aspect là, je souhaiterais faire ressentir une certaine puissance à mon dessin. C’est un peu un retour à l’esprit du wabori en quelque sorte que j’aimerais faire, orienter mon style vers quelque chose de simplifié. C’est comme cela que l’on considérait un bon tatouage autrefois.
Le tatouage japonais représente la culture japonaise, quelle connaissance le tatoueur doit-il en avoir ?
La connaissance n’est pas officiellement nécessaire mais forcément, si tu t’intéresses à tel dessin, cela va desoi que tu fais des recheches et des détails d’une ukiyo-e, l’histoire, d’où ça vient. C’est important de connaître les sujets du tatouage.
Vous passez du temps à l’étudier ?
Oui, beaucoup. La recherche est ce qui prend le plus de temps. Pour effectuer un dos, il me faut beaucoup plus de temps que le tatouage en lui-même.
Plutôt artiste ou artisan ?
Artisan (shokunin). Je crois qu’un artiste exprime quelque chose qui vient de lui. Mais l’artisan répond à la demande d’un client.
Proportion de clients plutôt japonais ou étrangers ?
70% d’étrangers, ils viennent au Japon. Moitié-moitié sont des asiatiques et des Occidentaux. pour en voir un peu plus: https://silkneedletattoo.com Instagram :@tomo_silkneedletattoo FB : silkneedletattoo