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Lionel Monsieur Biz

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INTERVIEW LIONEL MONSIEUR BIZ

@pacsalbagot

Originaire de Marseille et installé à Aix en Provence, Lionel est à 41 ans un tatoueur accompli. Après plus de 20 ans dans le métier, il est même devenu l’une des références dans le style japonais en France. Une approche fortement influencée par le travail du suisse Filip Leu, comme il nous l’explique pour Inkers.

Tu es tatoueur depuis plus de vingt ans mais ça commence comment pour toi le tattoo Lionel ?

À 11 ou 12 ans avec le hard rock et les magazines de motos. Puis vers 14 ans, avec 3 aiguilles à coudre fines, du fil et un peu d'encre indienne - de la Pelican précisément - sur moi, et quelques amis. Au lycée, j'avais toujours des magazines de tatouage dans mon sac. On venait me voir au fond de la cour pour les consulter, pour que je fasse des croquis, voir du freehand, au feutre, de façon à avoir une idée à soumettre au tatoueur du coin. Puis en 1998, je rencontre V-lasco, le boss actuel de BSA (studio à Aix-en-Provence, ndlr), et Didier Ra qui fait mon premier tatouage. J’avais 18 ans. Quelques années plus tard, en 2003, c’est lui qui me propose un apprentissage. Je réalise chaque jour à quel point j'ai été chanceux d'avoir un tel tapis rouge.

Quand viens-tu au style japonais ?

Le style de Didier lui est vraiment propre, très inspiré de la japanimation. Au début j'ai marché dans ses pas et il m'a très vite incité à trouver mon style. Comment faire un choix quand on a peu d'expérience et l'envie de s'essayer à tout ? J'achetais tous les magazines possibles, je consultais avec attention les sites internet, je créais des banques de données. C'est "l'occizumi", cette libre interprétation occidentale du japonais traditionnel qui me parlait le plus. Ma rencontre avec Easysacha (tatoueur à Paris au Mystery Tattoo Club, ndlr) fut déterminante de ce côté là.

Étranger à cette culture, comment t’y es-tu pris pour l’appréhender ?

Très mal, justement ! J'y suis allé à tâtons, sans trop y comprendre grand chose. J'étais clairement fasciné par l'impact visuel du tatouage traditionnel mais je n'y avais aucun accès. Les adaptations occidentales étaient plus à ma portée. J'aimais les travaux de Filip, de Tin-tin, d'Easysacha, de Vincent Bizzaroïd, de Guicho, de Keuns, de Boss et par dessus tout, de Shige ! N'étant pas japonais, je n'avais - et je ne l'ai toujours pas - aucune prétention à en faire de manière juste.

Comment as-tu approfondi cette interprétation ?

Avec les années de pratique, les rencontres, les nombreux conseils, j'ai tenté de simplifier mon travail, d'être moins dans la démonstration et la surcharge, de "traditionnaliser" mon approche. Je suis toujours dans cette recherche, entre respect des codes auxquels j'ai accès et modernité. De toutes façons, mon travail sera toujours une interprétation, ma propre vision, à la hauteur de mes capacités.

Chez les maîtres japonais, qu’ils soient artistes, peintres ou tatoueurs, il y en a auxquels tu reviens régulièrement ?

Je consulte essentiellement les travaux de Kuniyoshi, de Kyosai, de Yoshitoshi et d'Ohara Koson, ainsi que la peinture chinoise et coréenne. Depuis peu Kanō Hōgai et Jakuchu. En ce qui concerne le tatouage, je m'intéresse à de nombreux artistes et finalement, la proportion de japonais est relativement faible. Je citerai en priorité Filip Leu, Horiyoshi III, Ivan Szazi, Ichibay, Luke Atkinson et Joël Ang.

En parlant de Filip Leu, quelle impact l’influence de son travail a-t-elle eue sur toi ?

On pourrait définir "l'occizumi" pas cette propension qu'on eu les occidentaux à s'approprier les codes japonais et à en proposer une libre interprétation. Il me semble que Filip a ouvert la voie en ce sens. Son influence sur moi est donc énorme.

Progressivement, depuis plusieurs années, l’idée de faire des body-suits, en tout cas des compositions plus complexes, avec des fonds, fait son chemin. Réaliser des body-suits c’est un objectif pour toi ?

La mode du tatouage a mené à une banalisation, pour le meilleur et pour le pire. Porter une grosse pièce visible, n'est plus vraiment un problème. Beaucoup de clients sautent le pas, se font plaisir, à tout âge. On y prend vite goût, et je trouve très satisfaisant de porter une œuvre couvrante et cohérente, harmonieuse. J'ai au final peu de clients souhaitant des body-suits, les choses se font lentement. Mais on avance !

En deux mots, le Japon qu’est-ce que cela représente pour toi ?

Un monde paradoxal, une combinaison improbable de futur et de traditions. Folie et sagesse.

L’érotisme est un domaine que tu aimes explorer, notamment en reprenant le thème du serpent associé aux pivoines, tu nous en parles ?

En effet, j'aime bien les shunga (estampes érotiques japonaises, ndlr). L'idée qu'une image clairement pornographique puisse être élégante, qu'un acte explicite puisse ne pas paraître vulgaire, c'est plutôt positif pour l'image de la sexualité ! Il y aussi des approches plus suggestives, la composition hebi to botan (serpent et pivoine, ndlr) en est un exemple. Les pivoines étant parmi d'autres, un symbole de félicité conjugale, d'amour et le serpent, de vigueur pour les garçons. En chine, on croyait qu'un serpent était capable de prendre forme humaine, d'une belle femme en particulier. Mais on lui attribuait alors un caractère trop fort, trop passionné. L'histoire (japonaise) de Dojoji (relatant le désir dévorant d’une femme pour un moine, ndlr) en est un exemple. Le lien avec notre vision occidentale du péché est facile !

Ton univers graphique ne s’arrête pas à la culture japonaise, il y a par exemple l’art nouveau ou la gravure. Peux-tu nous en parler de ta culture artistique et de la façon dont elle s’est construite ?

Je dessine, depuis petit, grâce à mon père qui m'y a donné goût. Les arts graphiques m'ont toujours intéressé. J'ai eu la chance de visiter quelques musées dans mon enfance et j'ai toujours écouté beaucoup de musique. L'artwork des 1970's est très inspiré de l' Art Nouveau, ça m'a donné envie de creuser un peu. C'est un style qui s'adapte très bien aux contraintes du Tatouage. J'aime aussi l'art médiéval et chrétien, les gravures de Dürer en particulier. J'ai découvert les travaux de Thomas Hooper il y a une quinzaine d'années et ses adaptations de gravures me parlaient énormément. Concrètement, je cherche toujours à adapter les attentes de mes clients de façon élégante et intemporelle. L'Art Nouveau et la gravure sont de bons moyens d'y parvenir, mais je reste aussi attentif à d'autres courants, comme l'illustration naturaliste par exemple et tout ce qui a trait à l'observation de la nature, du monde. Je suis curieux !

En-dehors du tatouage tu peints aussi beaucoup. Quelle place accordes-tu à cette discipline ?

J'ai mis très longtemps à m'y mettre (comme pour beaucoup de choses dans ma vie !) et de façon trop sporadique. La pandémie aura eu ça de bon, je m'y suis consacré sérieusement, et depuis, j'ai gardé la machine en route. J'ai toujours quinze idées en même temps, je n'en réalise pas le 10e, mais j'explore tranquillement. Ça me permet de travailler des sujets qu'on ne me demande pas forcément, d'avoir aussi des choses à proposer, même si je constate qu'il faut un flash bien défini, prêt à consommer avec un photomontage sur le corps pour que les gens puissent se projeter ! Je pense continuer dans cette voie, en parallèle du tatouage, au gré de mes envies et de mon temps libre.

Pour revenir au japonais, tu es allé te faire tatouer le dos par Filip Leu. Tu nous racontes un peu cette expérience ?

J'en rêvais depuis mes débuts dans le Tatouage et j'ai mis du temps à le concrétiser. J'ai rencontré Filip il y a dix ou onze ans à la convention de Londres. Malgré la foule de gens en permanence autour de lui, j'ai quand-même pu lui exposer mon idée. Il a été d'une gentillesse, d'une simplicité incroyables et m'a accordé beaucoup de temps, simplement. Ce qui s'est vérifié quelques années plus tard, le temps de faire du laser et d'oser dessiner les bases de mon projet. J'ai ensuite repris contact avec lui et chacune de mes visites a été une véritable leçon.

Quels enseignements en as-tu ramenés ?

Il ne s'est jamais placé "au dessus" de moi. Il considère ça comme un projet commun et partage son savoir, son expérience. Il n'est pas avare de conseils et pose aussi beaucoup de questions, on se raconte des blagues. C'est un temple dans lequel on se sent bien reçu, une véritable leçon d'humilité. Encore aujourd'hui je digère toutes ces informations, autant techniques (sur l'optimisation, la lisibilité, la composition, les placements), qu'humaines. J'en ai certainement oublié, mais des conseils me reviennent quelques fois spontanément, et avec mon ami Sylvain Calavera (tatoueur à Rennes chez Calavera Tattoo, ndlr) qui partage la même expérience, on se refait quelques mises à jour ! Le plus important - si j'ai un truc à transmettre - c'est que cet homme, qui est une légende vivante, qui a ouvert la voie à des dizaines de milliers de tatoueurs dont la plupart n'en sont même pas conscients, a su rester humble et petit. Son lieu de travail est un temple, pas une usine. Il n'est pas là pour le business, pour écraser les autres. Il a su conserver la passion, la Magie intacte. C'est ce qui manque le plus de nos jours à mon sens. + IG : @lionelmonsieurbiz