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Apro Lee

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Apro Lee – Folklore Coréen

Texte & photographies : Tiphaine Deraison / Visuels : ©Apro Lee

Avec le stigma social en Corée, qui associe le tatouage au milieu gangster et criminel, tatouer là-bas est un challenge qu'Apro a dû surmonter lorsqu'il commence à tatouer en 2005 à Séoul. Il est devenu un des tatoueurs Sud Coréens les plus connus au monde, invité dans tous les meilleurs évènements, conventions et art shows.

Quand il débute, en 2005 et jusqu'à aujourd'hui, se faire tatouer est interdit par la loi Coréenne. La pratique est uniquement tolérée pour certaines professions autorisées, et comme au Japon ce sont les praticiens du milieu médical. Ce qui conduit les artistes à opérer en cachette ou uniquement sous couvert de studios privés.

Cependant, si la Corée du Sud n'a pas d'histoire ou de culture du tatouage, il était tout de même déjà pratiqué dans l'Antiquité. "Le tatouage était comme une punition pour marquer les criminels et les esclaves" confirme l'artiste. Dès le IVe siècle, les pêcheurs des régions côtières du pays utilisaient les tatouages comme amulette pour éloigner les mauvais esprits et leur porter chance. Puis, au cours de la dynastie Josean et au 19ème siècle, il a été associé au crime mais aussi aux méfaits, y compris l'adultère. Les esclaves étaient marqués du nom de leur maître. Ensuite, globalement le tatouage est considéré comme allant à l'encontre des valeurs de Confucius puis, au 20ème siècle, il devient associé aux bandes criminelles.

Passionné par le dessin, il y a 15 ans, il commence en autodidacte, sans Youtube ou Instagram. “À l'époque, je n'avais pas de maître d'apprentissage et personne pour m'enseigner. J'ai dû être autodidacte et apprendre en regardant des photos pour visualiser comment ils font puis essayer de copier et de m'entrainer sur mes amis.” Initiateur d'un tatouage en gris, détaillé, reprenant des motifs Minwah issus de l'art populaire Coréen, il redéfinit une nouvelle culture du tatouage moderne Coréen. Après 10 années de voyages formateurs, le tatoueur s'est finalement posé chez lui, à Séoul, où 80 % de ses clients viennent de l'étranger pour se faire encrer par ses soins.

“J'ai su que je voulais dessiner et peindre toute ma vie et ça depuis que je suis tout jeune”. Son trait qu'il développe depuis 6 ans, s'encre profondément dans sa culture, et reprend une forme unique d'architecture mêlée aux peintures populaires, anonymes et traditionnelles. Pourtant, Apro grandit avec une influence moderne provenant de la bande dessinée, de la culture animée et manga comme Dragon Ball. "J'ai toujours voulu être dessinateur, alors je lis beaucoup de bandes dessinées, je regarde des films d'animation, des mangas et je dessine, probablement depuis l'âge de 6 ans”.

A l'époque, devenir tatoueur , n'est pas tendance. Apro ne voit pas de tatouage avant l'âge de 25 ans, “ Ça ne faisait pas du tout partie de ma vie. A 23 ans, j'ai vu une information dans un journal d'actualité sur Internet où ils utilisaient des photos de tatouages pour l'article comme références. J'étais absolument choqué car c'était un portrait de Kurt Cobain et je ne savais pas que le portrait de quelqu'un pouvait être tatoué !” Le tatoueur n'ayant pas fait d'études après son “Major Duty” (études supérieures), il n'a pas vraiment de perspectives. Alors le tatouage, pourquoi ne pas essayer. “Mais la réalité, c'est que je n'avais rien d'autre à faire”.

Pendant ses 7 ou 8 premières années de tatouage, Apro pense ruiner la peau et la vie des gens. “Les gens qui créent n'importe quelle forme d'art, doivent certainement passer par ce même processus. Ils savent ou pensent savoir quoi faire mais parfois ils ne savent pas. J'étais cette personne.” Depuis qu'il a un répertoire singulier ; sa signature, Apro peut réellement s'avouer confiant dans son métier.

Sa pratique évolue peu en Corée du Sud, il travaille dans sa chambre et en fait son propre studio. Le tatouage est toujours “illégal” là- bas et il y a 15 ans, ce n'était même pas à la mode. “Ce n'était pas du tout une culture à l'époque, c'était beaucoup plus underground et ghetto. J'avais vraiment du mal à me faire de l'argent pour payer le loyer, je devais survivre et je ne savais pas comment. Je pensais qu'il n'y avait pas d'avenir pour moi, je me démenais vraiment pour m'en sortir. J'en suis arrivé à un point où la pression était vraiment extrème.”

Les difficultés pèsent et Apro a du mal à trouver de l'argent. Il décide alors de devenir moine. “Je suis allé rencontrer un moine et je lui ai demandé si je pouvais devenir moine. Il m'a répondu : "Oh non, parce que tu es tatoué." J'ai répondu : "Vous devriez vous soucier davantage de ce qu'il y a à l'intérieur de l'âme que de son extérieur et de l'esthétique de notre peau". Il m'a répondu : "c'est la règle". Donc je ne pouvais pas non plus être moine.”

Il réalise que son seul moyen de poursuivre sa voie est de partir du pays. “C'était la première fois que je quittais mon pays depuis longtemps. J'ai donc imprimé une carte du monde, j'ai fermé les yeux, j'ai pointé des endroits au hasard sur cette carte et j'y suis allé !”

Il pointe Brisbane, en Australie. Un vol de 12 heures plus tard, il arrive et démarche plusieurs salons de tatouage qui avaient de la place. Il se fait tatouer dans un salon et le propriétaire et l'artiste qui s'y trouvait est devenu son mentor. A Westside Tattoo de Matthew Cunnington, son expérience de 3 ou 4 ans compte et il tatoue tout de suite. La ville lui plait, entourée par la nature. Il y reste 1 an et demi et pratique de tous styles, mais surtout le noir et le gris, le portrait, le réalisme et beaucoup de tatouages “tout venant” comme la Southern Cross, les lettrages et étoiles. Mais toujours en noir et pas de couleur.

“J'aime surtout le noir. J'ai compris que c'est la plus belle couleur pour moi. Depuis peu, j'aime le rose et je pense que le rose est le maître des couleurs très haut de gamme. Il semble que le rose soit une couleur posée et stable. Elle installe son environnement. Après avoir tout essayé, j'ai découvert que c'est une couleur qui te calme. Le rose est une couleur à la fois forte et froide que j'aime plus que d'autres.” Naturellement, sa sensibilité pour les couleurs sombres persiste mais aussi pour celles extrêmement lumineuses mais toujours tranchées à gauche ou à droite, sans entre-deux.

Pendant la dynastie Joseon et bien avant; les tatoués étaient considérés comme des criminels. En tant que tatoueur coréen, lorsqu'il parle à d'autres tatoueurs, ce sont les styles traditionnels, Old School, l'Irezumi ou même le tatouage indien ou thaïlandais, qui sont abordés mais il ne pouvait jamais parler du style sud-coréen car il n'y en avait pas. “Je voulais vraiment parler de l'art sud-coréen en tant qu'artiste de là-bas. J'ai essayé d'utiliser des peintures folkloriques sud-coréennes dans mon processus et je m'en suis servies pour mes tatouages. C'est comme ça que j'ai commencé, en mettant mes idées en pratique puis en tatouage, il y a environ 6 ans.” Son premier tigre ? Une peinture, qui devient le fer de lance de son trait. L'effet boule de neige prend, il tatoue ses tigres d'abord occasionnellement, puis en temps partiel et tout doucement fait de plus en plus de motifs de ce genre. Et par là même, naturellement, il creuse un peu plus son intérêt pour l'art traditionnel sud-coréen. “Maintenant, j'en ai fait ma principale activité dans mon métier et mon style prédominant.”

Ces images, typiques de l'identité coréenne, réunissent animaux, nature, fleurs et gravures anciennes, avec un esprit de peinture sur soie chinoise datant d'avant notre ère. Le félin surtout, les chats et tigres y sont prédominants mais on y retrouve des thèmes liés aux croyances populaires ou à la religion. Le tigre dans les peintures Kkachi Horangi est représenté intentionnellement stupide ou idiot. Il représente l'aristocratie. Un style caricatural qui associé à la pie, représentant le peuple, devient une satyre de la société féodale de la période Joseon (ou Chosun). La période dont s'inspire tout particulièrement Apro.

“Je me suis inspiré de temples et de palais en Corée du Sud. Mais aussi de divers livres comme des livres de peintures traditionnelles et de musées. Mon intérêt a été particulièrement marqué par la dynastie Joseon, qui est ma période artistique préférée.”

A cette époque les dessins sont influencés par la chasse au tigre et la façon dont ils dessinent ou peignent les motifs l'intrigue. Sur les temples, on les appelle “Tan Chung”. Il représente en général tout ce qui concerne les temples. L'artiste se penche sur ces dessins du Tan Chung et repense le palais dans toute son architecture en l'imaginant comme un corps humain. Le toit devient la tête humaine, puis les parties du palais, il les transpose suivant les parties du corps humain. Il utilise les peintures des piliers pour les bras ou mains et les murs pour créer un arrière plan ou une pièce type chest.

Tout comme un architecte, il recréé le Tan Chung sur le corps de quelqu'un et passe beaucoup de temps à faire des recherches et à trouver la signification de ces peintures. “Mais je ne l'utilise qu'à titre de référence et je ne le copie pas. Je le modifie en suivant mon style et je redessine mes propres motifs.”

Alors que le tatouage est une véritable communauté, très liée partout en Europe ou aux Etats-Unis, en Corée du Sud, les rapports sont plus complexes et Apro ne fréquente pas tant d'autres tatoueurs et préfère se concentrer sur son travail. Il faut dire que si le tatouage est mieux accepté et les gens dénoncent moins les tatoueurs ces derniers agissent de la sorte entre eux. “C'est une compétition pour un territoire. Et c'est aussi le cas avec les fournisseurs qui ne s'en privent pas: ils appellent la police dénonçant un autre fournisseur. C'est une des raisons pour laquelle je ne rencontre pas d'autres tatoueurs en Corée du Sud, mais c'est surtout que je n'en connais aucun et pendant tout mon temps libre, je préfère me focaliser sur mon travail.” @apro_lee aprotattoo@gmail.com