Ancien cuisinier devenu tatoueur, le Français Yom revient pour Inkers sur son parcours, très tôt soumis aux influences des cultures du tatouage et du Japon. Elles l’ont naturellement amené à se spécialiser dans le style, devenant en une quinzaine d’années l’une des fines aiguilles du studio Mystery Tattoo Club à Paris. En recherche d’authenticité, Yom l’approfondit dans le respect des codes et de la tradition, tout en s’autorisant des expérimentations graphiques inédites, mêlant notamment l’ancien et le contemporain en associant la course moto à l’esthétique de l’estampe ukiyo-e.
Tu as toujours fait du japonais?
Oui, depuis le début, il y a maintenant 15 ans. Les premières grosses pièces faites sur mes amis et mes clients étaient déjà du japonais.
Où ça commence pour toi le tatouage?
Aussi loin que je me souvienne, cela remonte à mon enfance. Je devais avoir une dizaine d’années. Mon père avait quelques petits tattoos, rien de grandiose mais il avait tous ces magazines spécialisés qui trainaient chez lui et ils m’ont tout de suite fascinés. À chaque fois que j’allais chez lui, la première chose que je faisais c’était de les ouvrir. C’est à cet âge que j’ai su que je serai tatoué. J’ai attendu d’avoir 21 ans pour faire le premier et la rencontre avec le tatoueur m’a motivé à me lancer à mon tour. J’étais cuisinier depuis six ans et je n’en pouvais plus du rythme, il fallait que je change de vie!!
Le dessin c’est quelque chose que tu avais déjà développé ?
Oui, je dessinais beaucoup étant môme mais cela s’était arrêté là. Quand j’ai décidé de faire du tattoo, j’ai tout repris à zéro. Je ne pouvais pas démarcher d’apprentissage classique car j’avais besoin de payer mon loyer donc j’ai d’abord été perceur. Je le suis resté pendant un an de façon à intégrer le milieu. Ce n’était pas passionnant et j’ai eu la sensation de perdre mon temps, alors je suis reparti bosser en cuisine. Mais cette fois en journée, de façon à me dégager du temps le soir et pouvoir tatouer chez moi. Je travaillais dans les cantines scolaires le matin puis je dessinais et tatouais jusqu’à pas d’heures. J’ai fonctionné comme ça pendant un an, le temps d’avoir un petit book en main avec lequel j’ai ensuite pu démarcher un street shop, sur les conseils d’un ami. J’ai été embauché le lendemain ! Depuis ce jour, je vis de ma passion à fond !
Comment entres-tu en contact avec la culture japonaise?
Toujours grâce (ou à cause?) du paternel. Il était passionné d’arts martiaux et collectionnait les livres sur le sujet ainsi que sur le Japon en général. Et puis à l’époque, il y a eu les mangas à la télévision qui ont influencé indirectement toute une génération. De même pour les jeux vidéos, j’ai grandi avec les classiques du genre. Il faut aussi rappeler que tout le monde de la high-tech à cette époque était japonais donc nous avions tous un bout du Japon chez nous !
A quel moment décides-tu de t’y consacrer?
Dès le début de ma carrière j’ai su que mon objectif serait d’en faire ma spécialité. Mais comme c’est un style très complexe et très long à maîtriser je me suis d’abord fait la main sur tous les styles, de façon à acquérir un savoir-faire technique complet. Il était important pour moi de répondre aux demandes de mes clients, des plus simples aux plus farfelues, afin de progresser tous les jours. Comme je n’ai pas eu d’apprentissage, je devais dessiner. Cela fait sept/ huit ans que je me consacre aujourd’hui uniquement à ce style.
Comment s’y prend-on quand on veut comme toi, en tant qu’étranger, s’immerger dans une culture qui n’est pas la sienne?
Eh bien, on étudie, on étudie et on étudie encore. Comme un universitaire ! Mes parents auraient aimé que je me donne autant dans mes études scolaires ! Et surtout j’ai voyagé. Il fallait que je m’immerge totalement dans cette culture. Je suis allé au japon trois fois en un an. J’ai rencontré des grands noms du tatouage japonais dont Horiyoshi III qui est une de mes principales sources d’inspiration. Je me suis fait tatouer là-bas et j’ai essayé d’apprendre la langue – j’ai depuis arrêté faute de temps. Mais c’est ma façon de fonctionner, je suis monomaniaque et j’ai besoin d’apprendre pour me sentir investi. Ce qui est génial dans la culture japonaise c’est qu’elle regorge de choses fascinantes dans tous les domaines !
Quelle satisfaction te procures ce style de tatouage?
Il y en a tellement ! Je le trouve élégant, puissant, délicat et spirituel à la fois. Mes premières claques dans le tattoo je les ai prises en regardant des bodysuits japonais. J’arrivais à ressentir la dévotion et l’abnégation nécessaires pour comprendre ce style unique et ancestral, qui demande tellement de patience. De la patience, pour le client mais aussi pour le tatoueur. À mes yeux, c’est le style le plus pur et le plus abouti en terme d’harmonie entre le corps et l’esprit. J’aime ce rapport spirituel qu’il évoque et la beauté intrinsèque qui s’en dégage. Je prends un plaisir fou à essayer de retranscrire tout ça dans chacun de mes tatouages.
Entre interprétation et désir d’authenticité, comment trouves-tu ta place dans cette culture?
Très bonne question car c’est un combat de tous les jours, ma quête du graal ! Comment interpréter un style aussi profond et structuré, étranger, avec autant de codes et d’histoires sans pour autant dénaturer le message initial ? C’est là que ce style me fascine. Il faut trouver cet équilibre si délicat entre le respect de certains codes et l’expression de l’ego de l’artiste. Il y a de nombreuses façons d’interpréter le tatouage traditionnel japonais. J’essaie en ce qui me concerne de trouver ma voie, en fonction des écoles qui m’inspirent - je n’arrive pas à en suivre une seule. J’essaie de comprendre, d’analyser et de créer sans pour autant réinventer. C’est ce qu’ils appellent au japon ‘shu-ha-ri’, un concept que l’on retrouve dans las arts martiaux initialement mais qui s’applique à l’ensemble de la vie. On peut le traduire par : apprendre, déconstruire, créer. C’est un cycle naturel qui me motive tout les jours !
Comment s’est construite ton approche, par exemple entre une version européenne mise en forme par l’école Filip Leu et celle traditionnelle que l’on voit dans les livres?
Il m’a fallu du temps pour analyser ce qui me correspondait au plus profond de moi. Filip Leu a été ma première rencontre bouleversante, il y a 16 ans quand je suis allé le voir en Suisse. J’étais fasciné par son style. Il était le gaijin (l’étranger) qui justement réinventait le tatouage japonais à sa façon, avec une maîtrise et une compréhension du corps inédites. Ensuite, le tatoueur japonais Shige est arrivé et je trouvais son style neo-japonais - de même que celui de Filip - juste parfait. C’était le japonais que je voulais essayer de faire : très dynamique, détaillé, bien coloré. Mais, avec le temps, les rencontres et surtout les échanges avec d’autres artistes, je me suis rendu compte que ce qui me faisait vraiment vibrer était ailleurs. Il me manquait quelque chose, dans mon approche artistique mais aussi philosophique du tatouage japonais. J’avais envie d’authenticité. Petit a petit, j’ai donc commencé à étudier le style de l’horimono, en essayant de comprendre le fonctionnement, les règles, les codes, les compositions, etc… Ce sont les mêmes histoires mais racontées d’une autre manière.
Quels sont les critères importants à garder en tête quand on veut faire du japonais?
Oh, c’est une question pour un maître ça ! Haha… Je pense que chaque tatoueur a sa propre définition mais, en ce qui me concerne, les critères sont aussi bien techniques que philosophiques. Une des choses les plus importantes à mes yeux c’est l’âme que l’on met dans son tatouage, la connaissance et la passion que l’on porte à cette culture, l’envie de transmettre. Ensuite, il y a l’aspect technique du tatouage : beaucoup de noir, un contraste maximum entre noir et gris dans les gakus (les fonds) qui sont les fondations de la pièce. Enfin, il y a les beaux aplats de couleurs qui vont venir, comme une évidence, finaliser cet ensemble ! J’aime rajouter un peu de détails afin d’avoir une lecture en deux temps : de loin puis de près. Le tatouage doit être vivant et procurer une émotion, quelle que soit la distance à laquelle se trouve l’observateur. Forcement, il faut aussi prendre en compte le vieillissement et, en fin de compte, trouver cet équilibre parfait à chaque tatouage ! C’est ma quête.
Il y a des maîtres japonais auxquels tu te réfères invariablement ?
C’est une étape cruciale pour comprendre l’horimono bien sûr. Je me réfère à beaucoup de maîtres, aussi bien anciens que modernes. Comme je le disais, ma première référence est Horiyoshi III. C’est un monstre de créativité et de passion qui me fascine vraiment. Il y a aussi Horiyasu d’Asakusa que je suis beaucoup, pour son incroyable solidité technique et, enfin, le très grand Horitoshi I pour ses compositions très denses et si lisibles. Et puis, comment oublier Horikazu, Horiyoshi II ? Chez les jeunes, j’aime Tenten, Ichibay, Horitomo, Alex Reinke, Horigyn. J’aime beaucoup les écoles occidentales, les écoles espagnoles et brésiliennes en particulier !
Tu trouves de l’inspiration chez les tatoueurs mais aussi chez les artistes japonais, peux-tu nous en parler ?
Les plus grands forcément, ceux qui ont posé les bases graphiques du tattoo en estampe comme Hokusai, Kuniyoshi, Kunisada, Kunichika et tant d’autres, Mes principales références directes maintenant sont uniquement liées à l’estampe et à la sculpture japonaise. Les inspirations indirectes viennent elles du cinéma, celui de Kurosawa pour ses grands classiques, Kitano pour son côté loufoque et les films de la Toei entre 1960 et 2000. J’aime aussi me plonger dans la littérature japonaise et les mythes, laisser libre court à l’imagination, comme celle de Futaro Yamada avec ses manuscrits ninja ou l’adaptation de Bakin des « Huit Chiens des Satomi ». C’est une œuvre formidable mais assez méconnue. Et aussi Tanizaki, Eiji Yoshikawa, Akimitsu Takagi, Ueda Akinari et pleins d’autres. La lecture m’inspire beaucoup !
Quelles sont les raisons pour lesquelles ce style plait à tes client(e)s étrangers ?
Je ne sais pas exactement, je pense que c’est ça la magie du tattoo. C’est un langage universel iconographique qui, parfois, n’a pas besoin de mots… Il s’agit juste d’une émotion créée par une image et d’une envie très forte de la porter jusqu’à la mort ! Malgré tout, je pense que la culture japonaise est aimée partout dans le monde, précisément pour sa singularité. L’horimono, en ce sens, est la quintessence à mes yeux de ce que pourrait être l’héritage de cette culture qui réunit, encore une fois : élégance, puissance, délicatesse, intemporalité et violence ! Je pense que les clients se retrouvent au moins dans une des ces définitions.
Quelle évolution de ce style observes-tu depuis que tu tatoues? Les clients sont-ils plus ouverts aujourd’hui à l’idée de se faire un body-suit?
En effet, il y a eu une évolution dans les demandes depuis que j’ai commencé. Beaucoup de mes clients commencent aujourd’hui avec un bras complet ou un dos. Il y a 15 ans, c’était plus rare. Les réseaux sociaux y ont contribué et l’évolution de nos sociétés aussi ! La diffusion de l’horimono est aujourd’hui présente partout et les gens y ont plus facilement accès. Auparavant, il fallait en vouloir pour trouver des références solides ; il fallait voyager, sinon c’était compliqué. Aujourd’hui, on scroll sur ses toilettes ou dans le métro sans s’en rendre compte. Le point positif c’est que les démarches sont décomplexées et je fais des bodysuits sur des clients vierges, qui pour autant savent très bien ce qu’ils font !
Le tatouage japonais puise dans une culture particulièrement riche. Personnellement, quels sont les thèmes que tu préfères?
J’ai une petite préférences pour les personnages liés aux légendes: les divinités, les héros, les geishas, les magiciens, etc. J’aime beaucoup la symbolique et l’engagement qu’ils évoquent, mais aussi d’un point de vue esthétique les détails qu’ils permettent de faire - comme les kimonos ou les nijyubori (tattoo dans le tattoo). Mais, évidemment, j’adore les compositions florales ou les animaux. Je m’éclate aussi à faire des carpes très simples ou des serpents sinueux qui épousent les formes du corps.
En-dehors du tatouage tu peints aussi beaucoup. Quelle place accordes-tu à cette discipline ?
Oui, j’essaie de m’accorder du temps pour cela. J’aimerais en avoir un peu plus, c’est un moment de détente et d’étude, un laboratoire où je fais mes expériences. Par moment, je fais des bras, simples efficaces, afin d’orienter les clients et leur proposer un motif déjà prêt. Parfois aussi, j’ai besoin de sortir de ce cadre, alors j’expérimente, comme il y a quelques années avec cette série intitulée «Edo lullabies » dans laquelle j’essayais d’intégrer des plans d’architecture en fond. Plus récemment j’ai réalisé une série sur le thème de la moto intitulée « hashire » (roule vite). Elle sort complètement de l’univers du tatouage mais reste malgré tout liée à l’ukiyo-e.
Peux-tu nous parler un peu plus de cette série « hashire », il me semble que tu es toi-même motard?
J’ai besoin de sortir de temps à autres du cadre rigide de l’horimono et je le fais à travers la peinture, tout en gardant cependant ce lien avec le graphisme de l’ukiyoe. À vrai dire, j’ai découvert le travail de l’artiste japonais Masami Teraoka il y a quelques années et j’ai adoré ce mélange ancien/contemporain. Pouvoir aborder les thèmes d’aujourd’hui en utilisant un graphisme d’une autre époque, c’est ce qui m’a inspiré cette série. Je suis passionné de moto et notamment de course, je voulais ainsi mélanger mes deux passions à travers un seul medium ! Le monde de la course moto est dominé depuis 50 ans par les constructeurs japonais. Ils ont développé des vraies machines de guerre et encore aujourd’hui ils font leurs preuves. Je voulais rendre un hommage à ces pilotes fous, à ces guerriers des temps modernes qui chevauchent leurs montures pour affronter leurs adversaires, la hargne au ventre quitte à en mourir !
C’est effectivement très guerrier !
J’y vois comme une sorte de continuité (moins sanglante) de la période Sengoku Jidai, une période de guerre incessante pour l’unification du Japon au 16e siècle pendant laquelle les clans s’affrontaient et dont l’estampe a représenté quelques-uns de ces héros. Je m’en suis inspiré pour les pilotes, que j’ai habillés avec des combinaisons en cuir, semblables à des armures. C’était super intéressant de les travailler à la manière des kimonos, avec les sponsors de l’époque, etc. J’ai fait pas mal de recherches pour respecter, au mieux, chaque détail de chaque combinaison ainsi que les motos elles-mêmes. J’ai aussi réalisé quelques extras qui ne sont pas liés à la course mais plutôt à la culture de la moto au Japon, comme une adaptation de Kaneda dans le film culte Akira ou aussi de bosozoku (gangs de délinquants fans de tuning moto des années 1980 ) ou de Kintaro se battant contre sa moto en panne. Et j’ai encore pleins d’idées à poser pour la suite ! + IG : @_yom_ Mystery Tattoo Club 13, rue de la Grang aux Belles 75010 Paris www.mysterytattooclub.com