Situé à quelques stations de la gare de Shinjuku dans le quartier de Koenji, l’un des plus bouillonnants de Tokyo, le studio Tokyo Hardcore Tattoo fait toujours référence chez les amateurs de tattoos. Il est aussi un point de passage obligé pour les rockers en tournée qui, quand ils viennent se produire à Tokyo, ne manquent pas de venir s’y faire piquer la couenne.
S’il est vrai que le quartier s’est depuis un peu boboïsé et qu’en journée les collection-neurs de fringues et d’objets vintage affluent dans les nombreuses boutiques dédiés (celle à l’étage au-dessous du studio dispose d’une impressionnante et très chère collection de mugs rétro du monde entier), Kôenji a malgré tout conservé son amour de l’underground. Les nombreux studios de répétition, les bars rock, les petites salles de concert et les studios de tatouage revendiquent toujours ses racines alternatives et son identité rebelle originelle. Celle-là même qui, il y a plus d’une quinzaine d’années, a motivé Katsuta Noriyuki, figure de la scène musicale hardcore punk tokyoïte, à ouvrir ici son shop: Tokyo Hardcore Tattoo.
Passionné d’encre, le grand punk aux cheveux rose lardé de tatouages en tous genres fait alors partie au début des années 2000 d’une poignée de pionniers, prêts à ouvrir des lieux de liberté et de création aux artistes tatoueurs. Des studios version street-shop bien sûr, émancipés de la précieuse discrétion entretenue par les tatoueurs traditionnels japonais qui leur préfèrent la tranquillité de leurs studios privés, depuis lesquels faire grandir la culture du tattoo contemporain au Japon. Celle-ci a pris un sérieux coup de fouet quelques années plus tôt avec, la même année, le lancement, en 1999, dans l’archipel du premier magazine consacré à la culture du tatouage -Tattoo Burst- et l’organisation de la première convention de Tokyo. Outre l’ouverture de son studio, Katsuta s’engouffre dans la brèche et à coups d’initiatives démontre son esprit d’entreprise. Ainsi, quelques années plus tard il organise sa propre convention à Tokyo. Intitulée : King of Tattoo, plusieurs éditions en feront une réussite jusqu’à ce que le rendez-vous soit finalement suspendu, encore aujourd’hui.
Au fil du temps, Tokyo Hardcore Tattoo est devenu un point de convergence de la cul-ture du tatouage à Tokyo. Des tatoueurs s’y sont formés, avant de partir pour de nou-velles aventures, et d’autres sont restés, séduits par l’esprit de liberté qui anime le stu-dio. Aujourd’hui, l’équipe en place est à géométrie variable. Il y a les tatoueurs résidents et semi-résidents (Horiken, Garyou, Osakabe, mais aussi Nobu Isobe, Horishige ou encore Nana Nakagawa) mais aussi les guests, certains prestigieux (l’Espagnol Robert Hernandez y revient régulièrement). Tous portent avec eux ce désir irrévocable de vivre en-dehors des règles strictes d’une société japonaise formatée. Et peu importe que le gouvernement japonais ait mis la pression ces derniers temps sur les studios de tattoo, le shop reste ouvert, avec enseigne sur le trottoir et néons.
Sur le comptoir à l’intérieur, une affiche intitulée en grosses lettres rouges « Save Tat-tooing in Japan » en est une bonne revendication. Elle rappelle le combat qui occupe les esprits des progressistes et des nouvelles générations depuis plusieurs années : le droit à tatouer légalement et de façon professionnelle au Japon. Un droit qui lui est actuelle-ment refusé et qui fait depuis 2015 l’objet d’une procédure judiciaire en cours, portée par un jeune tatoueur d’Osaka : Taiki Masuda. Après plusieurs rounds, des condamna-tions puis une victoire en appel, tout le monde attend le verdict final de cette affaire qui pourrait signer le retour à la prohibition ; une période douloureuse de l’histoire du tatouage au Japon qui a duré près de 80 ans, entre 1872 et 1948. Une époque qu’évidemment personne ne souhaite revivre et qui paraîtrait d’autant plus absurde et rétrograde dans un contexte moderne mondialisé.
Plus concrètement, passée la porte du deuxième étage d’un petit immeuble dont l’architecture oscille entre futurisme et look rétro, l’ambiance à l’intérieur du shop est fidèle à celle attendue: cool, un peu bordélique et des guitares punk dans les enceintes. Sur les murs s’affichent des reliques punk : un blouson clouté bien élimé, des stickers de concerts punk passés, des billets de festivals, et dans les vitrines quelques couteaux papillon bien affutés et autres poings américains menaçants, etc. Spacieux, accueillant, une belle lumière entre par les grandes baies vitrées depuis lesquelles on profite de la vue sur les toits voisins.
Le studio ne s’adresse pas uniquement aux rockeurs et s’est adapté à la démocratisation du tatouage. Les clients ont ainsi à leur disposition une grande variété de styles proposés par Horiken, Garyou qui affectionne particulièrement le style japonais et Osakabe plutôt le trad américain. Nobu Isobe est lui spécialisé dans le réalisme morbide et Nana dans les motifs plus girly. Enfin, Horishige assure la digne représentation du style japonais traditionnel réalisé au tebori – la technique japonaise à la main. Bref, vous l’aurez compris, si l’aventure vous mène à Tokyo, passez donc boire une bière à Koenji et prendre une bouffée d’air dans le quartier. Elle sent bon la liberté. + https://tokyohardcore.jp IG : Studio : @tokyohardcoretattoo Horiken : @thcthk Garyou : @ garyou_ink OSakabe : @osakabe Nobu Isobe : @nobuisobe666 Nana : @inked_nana Horishige : @horishige