Apprendre toujours. Faire de son mieux. Jouir de la liberté de s'exprimer. Cela pourrait être le mot d'ordre de Felipe Santo, ce tatoueur de 32 ans originaire du Brésil et implanté à Toronto chez Ink & Water depuis trois ans.Du blackwork contrasté et de savants jeux de lumières composent le travail de Felipe. Un mélange d’humanité et de monstruosité anime ses personnages féroces et mystérieux. Un véritable talent de mise en scène pour ce jeune tatoueur fan de hardcore.
Salut Felipe ! Raconte-moi. Quel a été ton premier contact avec le tatouage ?
Mon premier contact avec le tatouage a eu lieu à l'âge de 18 ans. J'ai été élevé dans la plus grande ville d'Amérique du Sud, São Paulo. Au milieu d'un chaos de près de 40 millions de personnes. J'ai été chanteur d'un groupe de hardcore, il y a 14 ans, quand tout était encore assez nouveau pour moi. Les tatouages et le hardcore/post-hardcore ont toujours été liés par la culture de la rue. J'ai eu mon premier tatouage sur le canapé d'un copain. J'ai failli m'évanouir. Depuis lors, je n'ai jamais cessé de me faire tatouer. Plus tard, quand j'ai compris que ma carrière musicale ne me mènerait nulle part, j'ai trouvé un emploi de manager d'un salon de tatouage. C'était mon apprentissage caché. J'ai d'abord appris comment fonctionnait un salon de tatouage, à laver les tubes métalliques tous les jours, à nettoyer les poubelles, à parler avec les clients, puis, deux ans plus tard, un des artistes du magasin m'a demandé si je voulais essayer le tatouage. Je me souviens que mon jeune frère et moi, on enregistrait des animés (Pokemon et Dragon Ball Z) sur VHS et ensuite on essayait de les copier sur papier. Puis je me suis retrouvé avec une machine bon marché dans les mains, je suis rentré chez moi, et dans ma chambre, sur la jambe de mon ex-copine, j’ai essayé et c'est là que je suis tombé amoureux du tatouage. C'était magique, voir un stencil violet se transformer en noir (en quelque sorte, car les lignes étaient horribles). Je n'ai jamais arrêté depuis, c'était il y a environ 10 ans.
Comment es-tu devenu tatoueur ensuite ?
Après ça, je me suis concentré uniquement sur le tatouage. J'ai quitté mon groupe, ma copine et ma famille, je me suis plongé dans le monde du tatouage. Je n'ai jamais eu d'apprentissage. J'ai tout appris par moi-même, dans les endroits où je suis allé et grâce aux autres artistes que j'ai rencontrés au cours de mes voyages. Toujours demander, toujours s'intéresser. Essayer, échouer, essayer et apprendre.
C'est comment de travailler chez Ink & Water à Toronto ? Est-ce que tu vas souvent dans l'autre salon à New-York ?
Travailler chez Ink and Water ne pourrait pas être mieux. Je n'ai que des gens cools autour de moi. Des gens qui veulent s'améliorer, qui aiment ce qu'ils font, qui vous font confiance, qui comprennent que nous sommes aussi des personnes faites de chair, avec des bons et des mauvais jours. Déménager dans un autre pays n'est pas facile et ces gens rendent mon intégration plus facile. Tout est différent ici, la culture et la langue. J'ai l'intention de visiter New York très bientôt, même si je n'y suis encore jamais allé.
Comment as-tu appris à dessiner ?
Je crois que je suis meilleur en tatouage qu'en dessin. J'apprends encore tous les jours, je me bats tous les jours. C'est le plus important pour moi. Après mon premier contact avec une machine à tatouer, j'ai décidé de prendre des cours de dessin. Je n'ai jamais été un grand fan de l'école et des professeurs, alors ça n'a pas duré très longtemps. J’ai tout abandonné et j'ai décidé d'apprendre par moi-même. J'aimerais avoir l'occasion d'aller dans une école d'art. Peut-être un jour.
Tes tatouages sont si sombres et lumineux à la fois, comment est-ce que tu travailles ces contrastes ?
Mon style est toujours en évolution et change avec le temps. Au début, je faisais plutôt du tatouage traditionnel mais toujours tourné vers le néo-traditionnel. Je n'ai jamais réussi dans ce style. Je suis ensuite tombé amoureux des tatouages noirs et gris lorsque j'ai travaillé dans un salon où tout le monde faisait du réalisme. J'ai beaucoup appris avec eux et les clients me demandaient des tatouages noirs, puisque nous étions dans une boutique qui ne faisait que des tatouages noirs. C'est ainsi que j'ai commencé à n'utiliser que de l'encre noire et des gris pour les ombrages et que je les ai incorporés dans mon propre travail. Mes tatouages sont sombres et lumineux car j'aime avoir le plus de contraste possible. Un fond sombre et lourd avec des sujets plus clairs. Je trouve que c'est plus beau quand c'est cicatrisé.
C'est superbe effectivement. Comment fais-tu pour créer autant de texture ?
La texture est la clé. Je pourrais dire que mon travail est reconnu pour ses ombrages avec des liners ronds et des magnums. Le but est d’atteindre un niveau de contraste différent.
Étant donné l’ambiance assez sombre, es-tu inspiré par des films d'horreur par exemple ou des bouquins ?
Je m'inspire de tout ce que je vois. Des films d'horreur (Michael Myers mon préféré), des animés/mangas et aussi des jeux vidéo. J'ai toujours été un amoureux de la culture asiatique/japonaise. Les motifs, les mouvements et leur caractère unique.
As-tu des mentors dans ce métier ?
J'ai appris comment être une bonne personne et un bon artiste avec deux grands noms du blackwork : Frank Carrilho et Fredao Oliveira. Tous deux Brésiliens également. Ils m'ont beaucoup appris.
Qu'aimerais-tu exprimer avec tes tattoos ?
Je m'applique à suivre la morphologie du corps humain et je préfère faire des grandes pièces. J'ai l'habitude de dire que mes tatouages se promènent. Ils sont faits pour être vus de loin. Vous pouvez les repérer à quelques mètres de distance, vous n'avez pas besoin de vous rapprocher pour comprendre ce qui s'y passe. J'aime la façon dont mes tatouages changent l'apparence de mes clients. J'aime la façon dont ils les portent. Comment ils se sentent heureux et différents après notre séance. J'aime me faire des amis et mes clients sont les meilleurs d'entre eux.
Est-ce que tu peins ? Ou tu utilises d'autres supports ?
J'aime peindre sur papier. Pinceau, encre noire, papier. Je ne suis pas un grand fan de l'art numérique. J'aime la sensation du papier. C'est réel. C'est là. Tu peux le toucher et le sentir. Tu peux tout ruiner avec une seule erreur. Pas de gomme. Pas de retour en arrière. Donc tu dois prendre ton temps, être concentré si tu veux être bon. C'est thérapeutique. La patience est la clé. Comme tout (je crois) dans la vie.
Comment tu vois le tatouage au Canada ?
Je vis au Canada depuis trois ans. Je ne sais pas grand-chose sur le pays, mais l'industrie du tatouage est totalement différente de celle du Brésil. Cependant, nous avons les mêmes types de tatoueurs : ceux qui sont intéressés par l'ancienne culture, la nouvelle génération qui crée une nouvelle culture et les enthousiastes. Le Canada a des artistes incroyables et connus dans le monde entier. Des noms comme Steve Moore, James et Anthony Tex, Chris Dunn, Water Street Phantom. J'adore ici la liberté de s'exprimer avec notre art.
Tu as des projets pour cette année ?
J'aimerais travailler uniquement sur des projets de grande envergure. Des manchettes et des dos. J'adorerais créer un jour un bodysuit. Ce serait génial ! Mon but est aussi de dessiner davantage, de comprendre et de rendre les choses plus simples. Toujours essayer de créer un tatouage qui dure pour toujours. Et devenir une meilleure personne pour moi et pour le monde qui m'entoure. Insta: @felipexsanto