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Prissy Del Rey

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PRISSY DEL REY

Par Chris Coppola.

Débutant dans le noir et blanc réaliste, Prissy Del Rey décida de partir en voyage, un voyage artistique qui l’a mena en Orient d’où elle tire ses plus profondes influences. De ce voyage, Prissy acquis un style qu’elle expérimente jusqu’à lui donner sa forme actuelle. Arts orientaux, mysticisme, nature, dévouement, passion et une vision personnelle font de Prissy une artiste à suivre dans une caravane s’étirant dans un lointain désert qui d’étend à perte de vue.

Racontes nous un peu ton parcours, d’où tu viens, ce que tu faisais avant, ce qui t’a fait entrer dans le tatouage et pourquoi?

Hello Inkers, tout d'abord je tenais a vous remercier pour cette opportunité, je suis touchée de répondre à vos questions. Donc je m'appelle Priscillia, aka Prissy Del Rey, j'ai 28 ans et je tatoue professionnellement depuis plus de 5 ans maintenant. Je suis issue d'une famille originaire de Paris, j'ai un petit frère, mon papa est maçon et ma mère, couturière de métier, est depuis reconvertie dans l'aide des personnes âgées. En grandissant, j'étais intéressée par tout ce qui se faisait manuellement. J'ai fais une 3ème DP6 où j'y ai découvert les métiers de la mécanique auto, carrosserie bateau ainsi que le métier de menuisier. Finalement, sous les conseils de ma mère, j'entreprends un Bac Pro Commerce avant d'enchaîner avec une Licence en sciences humaines spécialisée en Communication que j'ai obtenu en 2015. J'ai découvert à la fois la sociologie, l'anthropologie, la neuropsychologie, la linguistique mais aussi la communication media etc etc… c’était passionnant. En cette dernière année d'étude, je réalise alors mon premier tatouage pour marquer le coup, "we all mad here" sur la nuque, extrait d'Alice aux Pays des Merveilles et sujet de ma soutenance d'étude finale. C'était magique, ça a résonné comme une liberté et ça m'a tout de suite renouée avec les liens créatifs que j'avais alors connus dans l'enfance. Tout c'est passé très vite à partir de là. Des observations et premier tattoo chez Stanl Ink Tattoo pas loin de mon village, je suis ensuite partie avec un sac de sport rempli d'affaires direction le Luxembourg où j'avais trouvé un poste de manager chez Adikt Ink. Tattoo shop constitué d'artistes thaïlandais et géré par un businessman qui avait aussi une boîte dans l'événementiel. J'apprenais à gérer un commerce et à m'occuper des artistes en semaine, tout en participant à la gestion de l'organisation des soirées événementielles du groupe avant d'y jouer également l'hôtesse d'accueil le week end. Au shop, j'ai eu la chance d'observer plusieurs styles et au fur et à mesure d'être plus particulièrement prise sous l'aile de celui que j'appelle encore aujourd'hui Mister President, un tatoueur au style asiatique traditionnel, X Dragon King. Au fil du temps j'ai commencé à jongler plus sérieusement entre le travail de manager le jour et celui de futur tatoueuse le soir pendant une année avant de vouloir m'y consacrer totalement. Mon patron ne souhaitant pas me perdre en tant que shop manager, je suis alors partie deux mois plus tard et j’ai pris la route pour vivre des guests pendant deux ans. J’étais sur la route trois semaines par mois, je me nourrissais de tout ce que je pouvais apprendre, c'était clairement l'El Dorado. J'ai eu la chance de travailler en Belgique, au Luxembourg, en Allemagne, en Suisse et en Espagne sans parler de la France, pour la jeune fille que j'étais, c'était juste incroyable!

Quels ont été tes premiers coups de coeur dans le tattoo, les personnes, artistes et/ou « écoles » qui t’ont marqué et ont semé les graines de ce que tu es et fais actuellement?

Quand on parle d'école tattoo, j'ai envie de dire que je sors de celle de Body Staff à Vincennes, depuis mes premiers guests chez Nico, il m'a toujours donné les codes du vrai tattoo avec sa passion, fait rencontrer le milieu, conseillé de toujours COMPOSER avec tout ce que je croiserais. J'ai un respect infini pour lui. Mais sinon au début, j'étais plutôt inspirée par le Dark réalisme noir et gris avec Anrijs Straume. Puis ensuite avec le lettrage, j'adore l'équilibre et la discipline que cela impose, je mentionne avec plaisir Gabril La Haine, Delia Vico et Chocos GS principalement. Je trouve qu'il y a quelque chose de plus "affirmé" dans le fait de se faire faire un lettrage, on a, à la fois le sens littéraire du mot qui nous renvoie déjà à un sens propre/direct, mais aussi un combo graphique pour nous aider à exprimer et interpréter le sentiment qu'on y porte. Puis le côté Art Nouveau, sans forcément parler de tatouage, c'est un domaine qui à l'art de faire ressortir le beau. Que ce soit l'architecture, l'artisanat de la ferronnerie ou celui du design de bijoux, etc, etc… C’est toujours une de mes sources inépuisables d'inspiration.

Depuis quand as tu trouvé ton style et quelles ont été les étapes pour y parvenir?

On peux dire que le Necro Ornement a commencé à prendre vie aux alentours de l'année 2019. J’étais résidente sur Narbonne auprès de Heidi Ernaga qui a un style ornemental en ligne assez épais et floral. Je la voyait poser des calques géants sur des dos de femmes, armée de son mètre couture et d'un posca, c'est dans ces moments là qu'elle m'a inspirée à voir et à observer le corps autrement. Je ne voyais plus un simple flash indépendant, mais plutôt le corps qui s'imposait dans sa morphologie en premier lieu. J'ai ensuite commencé à travailler des motifs d’inspitation tribal ethnique, à m'intéresser aux styles et aux différents langages symboliques qu'ils contiennent. Qu'ils soit Berbère, Polynésien etc… je suis absolument fascinée par le fait qu'ils comprennent à la fois une dimension esthétique pour tous et d'une autre part, un côté plus mystique, avec une signification profonde du sens pour une communauté donnée. J'étais alors dans une vibes néo traditionnelle et calligraphique bold et noir, j'essayais de bricoler des bodysuit pour m'entraîner à développer un concept en posant des arches de riad orientaux en opacité réduite sur un corps féminin et je m'en servais comme base pour avancer et comprendre les codes de l'ornement grandeur nature. Ont suivi les ornements en fer des balcons que je trouvais dans la rue, des portes du style art nouveau que je croisais etc etc. C'est passionnant de pouvoir entrevoir les multitudes d'artisanats que l’on peut utiliser pour sublimer le corps humain. De là, j'ai essayé de mêler toutes ces influences diverses et d'en faire un mouvement dynamique, mais c'était très dissonant, on aurait dit un espèce de flow de logo de métal, pour essayer d'imager la chose. Ma clientèle a fondue comme neige au soleil et concrètement personne ne comprenait ce changement de style de ma part. Courant 2020, après une année compliquée niveau tattoo, le Covid et les premiers confinements marqueront le début d'une construction bienveillante durant laquelle j'ai eu le temps de lire énormément et de faire évoluer le Necro Ornement au fur et à mesure de mes études.

Comment décrirais tu ce que tu fais, et pourquoi?

Necro Ornement, bien que chacun puisse y voir son interprétation propre, je dirais déjà de son préfixe grec "necro », que c'est littéralement la mort, je le vois ici plutôt comme un sentiment de renouveau profond. J'aime me dire que comme tout tatouage ethnique, il agit comme un pont reliant le céleste et le terrestre. Que ça nous renvoi vers un savoir symbolique intemporel. Ces designs et ces tatouages font souvent office d'armure protectrice, tel un talisman en quelque sorte et c'est ce que j'essaie de faire. Le Necro Ornement sur lequel je travaille et m’exprime, nous renvoie à des temps immémoriaux, celui du chaos primitif, il est brut, fait partie de notre microcosme, il représente pour moi les peurs, les expériences de vie négative multiples et variées qui font parties de nous. Le fait qu'il soit solide pousse le rapport de l'acception, celui de faire corps avec ce noir et de pouvoir le porter avec affirmation physique et psychique. Mais il est avant tout un mouvement plein de vie, aussi fort qu'un végétal, il continu indéniablement de pousser en direction du soleil de façon ascendante, en combat fluide mais permanent vers l'équilibre. Il prend part à l'harmonie du tatoué par sa morphologie et se fige sur le corps comme une armure bijoux symbolique et/ou purement esthétique.

D’où tires tu tes principales inspirations? Et celles moins évidentes, plus lointaines?

Même si c'est très large, je sais que je suis principalement inspirée par l'histoire et donc les arts traditionnels, particulièrement ceux des civilisations présentes dans le territoire Perse et du croissant fertile qui mêlent à leurs façons beauté immuable et mythe collectif. L'architecture et les temples occupent une place importante dans mes références, avec du Fakear dans les oreilles, j'aime me passer des reconstructions 3D du Palais de Persepolis, celui de Darius 1er à Suse ou encore la ville de Babylone et sa porte d'Ishtar, parmi d’autres références du genre. Des temples suivent l'artisanat qui l'entoure, comme les sculptures astrologiques babyloniennes, les bijoux Égyptiens, les tapis Perses et Turques, le bois sculpté Syrien, les artefacts d'or ou de bronze, ainsi que l'art de la mosaïque Byzantine par exemple. Puis je dirais l'ensemble de l'art Islamique, la représentation iconographique du divin étant interdite dans l'Islam, l'orient a alors vu naître un nouveau courant artistique basé sur l'expression du divin par la géométrie et l'ornement végétal, symbole d'harmonie universelle. On peut parler des mosaïques, de la calligraphie liturgique, de l'art métallique (luminaire en cuivre, plateau, portes, grilles, etc), le henné aussi, sans oublier l’architecture, qui est ma référence favorite sur le sujet est sans aucun doute la grande mosquée d'Ispahan en Iran, joyaux dans ce domaine. Et en dernier, je dirais l'univers de l'habillement. Petite, je me baladais dans l'atelier où travaillait ma mère avec tous ces morceaux de tissus, ces mannequins factices. Je suis depuis toujours inspirée par la femme et j'admire ceux qui savent la parer avec splendeur. Appliqué au tatouage, le travail de Muchacho Navaja, illustre parfaitement à mes yeux le rapport couture sur peau. Côté haute couture, je pense au génie organique d'Iris Van Herpen, le côté alien de Thierry Mugler et de Alon Live, mais aussi à la mode Médiévale et aux jeunes illustrateurs du gaming/manga qui nous offre des références digitales costumes/armures futuristes incroyables.

Je trouve qu’il y a parfois un aspect « insectoïde » sur une grande partie de tes pièces, les formes, les placements sur le corps, le fait de la symétrie rigoureuse… qu’en penses tu?

Oui, excellente remarque. Le côté insectoïde est totalement présent. Les joyaux Art Nouveau de René Lalique entre autres m'ont énormément inspiré, il a réalisé beaucoup de pièces magnifiques mêlant insectes et ornements. C'est vraiment un combo qui m'a marqué, parce que c'est un ensemble que nous n’avons pas l'habitude de rencontrer, pourtant ça exprime tout en beauté la relation de symbiose qui existe entre les insectes et la nature végétale. Beaucoup d’insectes sont si petits, mais présents depuis des temps immémoriaux, contrairement à l'homme. Ils ont même vécus une ère de gigantisme au Carbonifère, bien avant l’arrivée des dinosaures, où on aurait pu croiser des libellules de 2 mètres et des fougères arborescentes aussi grandes qu'un palmier. C’est dans cette démarche que j'ai commencé à incorporer cet aspect végétal/insecte géant à de l'ornemental, puis sur les corps.

Comment procèdes tu pour concilier le design de tes paternes et le placement sur le corps? Recherches, croquis, essais, morphologies de tes clients…?

Tout ce qui touche à l'adaptation au corps est de loin ma partie favorite. On l'oublie souvent, mais le corps répond au nombre d'or, il possède en lui sa propre morphologie unique. Il est aussi le support vivant de nos souvenirs les plus radieux mais aussi celui de nos complexes et fiertés physiques profondes ou non. Toute ces caractéristiques se mettent en avant particulièrement sur les projets de grande envergure où ceux touchant à des zones intimes. C'est à partir d'une observation du corps dans sa forme et d'un échange précieux avec son client, basé sur l'écoute de l'autre, que le tatoueur va pouvoir imaginer un concept unique adapté à la condition physique et morale du tatoué. C'est ce qui me plaît le plus dans ce métier, l'impression d'avoir la chance inouïe d'être à la fois une amie à l'écoute et l’artisan d'une vie.

Combien de temps prends la réalisation d’une grande pièce, entre l’idée de base, les propositions faites à ta ou ton client-e et jusqu’à la réalisation finale?

En général, pour un ventral complet, du cou au pubis, ou pour un dorsal comprenant les fesses, je compte environs 6 séances espacées d'un mois minimum, donc je dirais qu'un gros projet se fait sur quasiment une année, entre la réflexion, la prise de rendez-vous et sa réalisation finale, en prenant aussi en compte les petits aléas de la vie de chacun. En premier, il y a la démarche du client par message, m'indiquant son souhait d'adopter un concept ou pour m'expliquer son projet Necro. Puis vient une photo du corps prise de loin afin de profiter de son ensemble visuel et dessiner directement dessus, j'axe en premier temps la forme générale du croquis de façon très rapide pour montrer au client le genre de composition/forme qui me vient directement suivant ces instructions. À partir de là, ça peut déboucher sur une validation directe de la forme ou un feedback avec le client jusqu'à l'aboutissement d'un accord. Une fois le rdv posé, le dessin final est reçu quelques jours avant le rendez-vous fixé. La première séance fait office de journée connaissance autour d'une tisane, d'un puzzle de stencil à poser et toute les lignes à tracer. C'est un moment particulier, car le client se fait une réelle première impression de toute l'expérience. Il doit se sentir en intimité, à l'aise d'être dénudé, libre de prendre du recul pour se projeter et être en total confiance avec le processus.

Chacun de tes tatouages est unique, tout en suivant une même ligne graphique et de suite reconnaissable, est ce que tu as toujours désiré obtenir ce type d’impact visuel?

Je sais maintenant que je suis actuellement à mi chemin entre l'Ornemental et le Neotribal dans le tattoo, mais j'ai des inspirations très portées hors du tattoo donc c'est peux être ça qui joue sur le côté "unique". Pour l'impact, je pense que j'y suis tombée petit a petit, j'aime ce contraste, le tatouage c'est quelque chose qui doit être lisible de loin, en accord avec le corps et le temps donc à grande échelle et avec le pouvoir d'accompagner le vieillissement de la personne tatouée. De plus, porter du noir implique pour moi une réelle prise de position et une réflexion plus tranchée de la part du client, il doit se voir le porter sur le long terme, l'assumer et l'affirmer pleinement au quotidien. C'est tout un ensemble qui doit être abordé avec maturité, conscience de soi et de l'autre.

Tu sais déjà vers quoi tu penses évoluer ou tu n’as pas fini d’explorer ton univers actuel?

Je pense que je viens tout juste d'ouvrir la porte de ce que je veux créer. Mais en tout cas, c'est la première fois que je me stabilise réellement dans un style et que je sens le besoin de le faire perdurer. Tatouer de large zone de noir demande une technique particulière que je commence à pouvoir assumer réellement après presque deux ans de travail. Ma clientèle Necro Ornement se construit encore de jour en jour, donc je ne suis qu'au début du voyage. J'ai ouvert mon premier atelier privé en septembre 2021 à Perpignan où je travaille seule pour la première fois. Baptisé et décoré en hommage et inspiration à "La porte d'Ishtar », c'est vraiment comme dirait Platon mon syndrome de la caverne ou de la Citadelle Intérieure. C'est un endroit où je suis dans mon cocon, dans une dimension de calme et de proximité avec mes client/es. En mai, avec Muchacho, nous allons travailler sur notre première collaboration et je suis impatiente. Déjà comblée à l'idée de pouvoir partager cette expérience avec l'artiste tatoueur que j'apprécie le plus à ce jour, j'espère aussi arriver à collaborer avec Delia Vico qui est quelqu'un que j'admire beaucoup aussi.

En plus du tatouage, tu dessines et tu peins, tu as d’autres désirs ou étapes que tu souhaites atteindre artistiquement parlant?

J'aime dessiner du réalisme parfois, aussi peindre de la calligraphie sur toile ou sur les kimono cousu main de ma Maman. Depuis quelques mois, grâce à ma belle-mère qui m'a donné l'idée, je travaille sur la confection de tapis inspirés de la Perse/Turquie antique. En plus d'être un art ancestral, c'est un réel régal pour moi, d'étudier le sens des symboles, des couleurs et des formes que j'interprète en version Necro Ornement, c'est un nouveau monde que j'apprécie tout autant que le tatouage et que je compte bien développer. Toujours avec un petit pied dans le textile, j'ai travaillé cet hiver sur mon tout premier tissu imprimé dans le but de faire des vêtements en collaboration avec Avril La Rouge, une femme douée dans son métier, j'ai si hâte de voir le résultat. Le fait de m'éloigner du tattoo dans mes activités personnelles m'en rapproche dans le côté professionnel, alors je continue. Mais si je dois penser à l'avenir, dans quelques années, il vous sera fort probable de me retrouver dans une yourte au fond d'un jardin pour tatouer et/ou de me croiser à bord d'une roulotte décorée, chargée de tapis en direction du Souk de Bab el Oued.

Le mot de la fin… c’est à toi!

Pour le mot de la fin, je voudrais simplement exprimer la gratitude que j'ai envers ma famille et toutes les personnes que j'ai rencontrées jusque maintenant qu'ils soit clients, artistes, etc… et qui ont contribué à la femme que je suis aujourd'hui. Bien que ce soit un métier mêlant dévotion et solitude, il n'en n'est pas moins le métier le plus humain que j'ai rencontré jusqu'ici. Je suis fière d'être une artisan du vivant. Insta: prissy_del_rey