Contre le Corononavirus, différentes actions se mettent en place un peu partout afin d’apporter un soutien financier au personnel soignant. De son côté, le tatoueur italien Stef Bastian mobilise la communauté du tatouage à l’occasion d’une gigantesque vente aux enchères en ligne intitulée Frontline. Lancée samedi dernier sur son site internet et ouverte jusqu’au samedi 18 Avril prochain, elle propose d’acquérir une œuvre originale choisie parmi celles proposées par près de 300 tatoueurs du monde entier. Tous les bénéfices de la vente iront au personnel soignant, en première ligne dans cette lutte contre la pandémie.
Quand avez-vous ressenti le besoin d’agir?
Après deux projets caritatifs organisé ces dernières années (The march of the Matryoshkas, qui a réuni 66 artistes-; The tattoo fan club, regroupant 185 artistes), j’avais prévu en 2020 de faire un break afin de me consacrer à la réalisation d’un livre et à la préparation d’une exposition prévue pour la convention de Londres en juillet – pour autant que cet événement ait lieu. Mais devant la gravité de la situation, il est devenu évident que je ne pouvais pas rester sans rien faire. Il est devenu évident que j’apporte ma contribution. C’est un mot très important pour moi, je le place en tête de mes priorités.
Vous êtes Italien, originaire de Florence, le fait que l’Italie soit le pays européen le plus touché depuis le début de cette pandémie a-t-il influencé votre décision ?
Oui, évidemment. Bien que je ne sois pas allé en Italie depuis un moment, je me sens particulièrement concerné. J’ai toujours de la famille et des amis là-bas, ils me donnent régulièrement des nouvelles sur l’évolution de la situation. Mais pour être tout à fat honnête, je n’essaie pas de réfléchir en ces termes. Disons que j’ai une approche très personnelle et que, selon moi, il n’est pas nécessaire de faire de différence entre les gens qui souffrent et ce qu’ils sont. Les problèmes restent des problèmes, quels que soient l’endroit où ils se produisent.
Quel retour avez-vous eu de la part de la communauté du tatouage ?
Fantastique. Quand l’idée est bonne et tout particulièrement quand derrière se trouve une grande cause, le retour est habituellement bon. Il a été cette fois-ci extrêmement positif. Dans ce contexte il n’est plus question ni de frontière, ni de drapeau, de pays, nous sommes tous dans la même merde. Les gens se sont sentis obligés de participer parce que cette situation les touche tous, de près ou de loin. Nous avons tous une connaissance, un ami d’un ami, touché par ce virus. Je compare mon rôle dans une situation comme celle-ci à celui de la colle : elle sert a lier les blocks représentés par les artistes.
Où ira l’argent de cette vente aux enchères ?
A des hôpitaux et des associations choisis dans le monde entier qui apportent leur soutien logistique et dont les équipes se trouvent en première ligne. Choisir a été très difficile. J’ai passé des jours et des nuits, des semaines à me renseigner, jusqu’à ce que ma tête explose. Je me suis en fin de compte appuyé sur les statistiques officielles relatives à la propagation de l’épidémie et décidé de me concentrer sur les trois pays les plus touchés : les Etats-Unis, l’Espagne et l’Italie.
La vente aux enchères a commencé samedi dernier et se termine le samedi 18 avril c’est bien ça ?
Oui, j’ai mis en place une section dédiée sur mon site internet afin de faciliter la navigation. Vous pouvez vous rendre ici : http://www.stefbastian.com/auction/. Le logiciel dont je me sers pour ce genre de projet depuis deux ans fonctionne avec une horloge. Une fois le temps écoulé il ne sera plus possible de participer. Je prendrai ensuite contact avec tous ceux qui ont remporté une œuvre pour leur expliquer la marche à suivre, comment payer, etc. Chaque acheteur versera la somme due à l’un des bénéficiaires qui lui remettra un reçu. Je recueillerai ce reçu, il sera ensuite échangé contre l’oeuvre en question auprès de l’artiste, qui se chargera de l’expédier.
Combien d’artistes ont répondu à ton appel ?
Il y a 282 artistes au total. Les participations ont toutes été faites sur invitation. Des grands noms du milieu ont répondu présents et certains sont des piliers de notre industrie comme Paul Dobleman, Tim Hendricks, Juan Puente, Robert Atkinson, Brian Bruno, Alex Binnie, Jojo Ackermann, Chad Koeplinger, etc. Certaines des œuvres ont été réalisées spécifiquement pour cette vente aux enchères, d’autres pas. Les artistes étaient libres de créer sans aucun thème imposé.
Tu as choisi pour illustrer ce projet un motif populaire tiré de l’iconographie du tatouage traditionnel américain, peux-tu nous en parler ?
Oui, ce motif de la nurse avec une croix rouge est connu sous le nom de la Rose of No Man’s Land, et effectivement elle fait partie depuis un certain temps de la culture du tatouage. Ce motif est tiré d’une vieille chanson dont on trouve une version française intitulée La rose des boulets écrite par Louis Delamarre. Elle remonterait à la Première Guerre mondiale et célébrait celles qui se sont battues pendant ce désastre militaire. Habillées ainsi en blanc, elles ressemblaient à de véritables anges. Si, blessé au champ de bataille, vous aviez toutefois la chance de les apercevoir, vous pouviez considérer avoir une chance d’être sauvé(e).
Comme vous l’avez dit plus tôt vous avez organisé deux autres projets de ce type, combien d’argent ont-ils permis de réunir?
Environ 52 000 euros. Dans les deux cas j’ai donné l’argent à des organisations venant en aide aux enfants qui à mes yeux, sont les plus vulnérables.
Comment se passe votre confinement actuellement ?
Je suis bloqué en France, dans le Sud ! Je travaillais sur le livre que j’évoquais plus haut avant de me rendre à Paris pour quelques jours où j’avais quelques tatouages à faire, mais je me suis retrouvé coincé. J’essaie quoi qu’il en soit toujours de prendre le côté positif des événements, je suis un adepte du stoïcisme, une philosophie selon laquelle il inutile de perdre son temps sur ce que l’on ne peut pas contrôler mais plus productif de se concentrer sur ce qui est à notre portée. Donc je me contente de dessiner, d’organiser ce projet et de ralentir un peu. En fait je passe plutôt un bon moment.
Certains tatoueurs ont décidé de poursuivre leur activité malgré les risques, qu’en pensez-vous ?
Chacun a l’obligation de faire sa part, nous avons besoin d’être socialement responsable. Ce qui veut dire que nous devons penser aux autres et aux meilleurs moyens de ne pas étendre cette épidémie. Il en va de notre responsabilité sociale de protéger la communauté. + Instagram : @stef_bastian_presents @stef_bastian