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Willy Martin

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INTERVIEW Willy Martin

@pascalbagot

Les tatoueurs espagnols occupent une place solide dans le paysage du tatouage new-school et ils appartiennent sans aucun doute à l’élite mondiale. Une distinction à laquelle le tatoueur madrilène de 46 ans Willy Martin fait honneur grâce à sa technique et son sens de la dynamique irréprochables.

Cela fait 26 ans que tu tatoues, comment est-ce que cela démarre pour toi ?

C'est venu… de manière inattendue. Il ne m'était jamais venu à l'esprit de me consacrer au tatouage lorsque je prenais le temps de réfléchir à ce que je voulais faire plus tard. Pour mes études, je m’étais lancé par défaut dans quelque chose que je n'aimais pas vraiment parce que je n'avais pas les notes requises pour faire une licence aux Beaux-Arts. J'ai alors commencé à manquer des cours. Pendant ces heures au cours desquelles j’étais censé étudier, j’allais dans l'un des deux studios de tatouage de Madrid, la ville où je suis né, vendre des dessins et gagner l'argent grâce auquel je pouvais sortir le week-end. Après cela, j’y ai passé progressivement plus de temps. J'ai commencé à faire l’ouverture et la fermeture, à balayer et nettoyer, à dessiner, à nettoyer les tubes, à souder les aiguilles et stériliser le matériel. Puis un jour, on m'a demandé de devenir apprenti et j'ai accepté.

Tu te mets tout de suite au style new-school ?

Non, lorsque j'ai commencé à tatouer je n'avais pas de style défini alors j'ai fait un peu de tout. J'ai eu une période de réalisme en noir et blanc, j’étais motivé par l'admiration que j'avais pour des artistes proches de moi avec lesquels j'ai commencé à travailler - comme Robert Hernández en 1999, si je me souviens bien. Je suis conscient que ce ne sont pas des styles très compatibles mais j'ai beaucoup aimé le réalisme et le style de l'école française. J'ai rencontré Vincent Bizzaroid (Nantes) qui m’a tatoué mon premier bras en couleur. J'étais fasciné par les compositions, l'utilisation de la couleur et de la perspective. J'ai néanmoins continué dans le noir et blanc jusqu'en 2007-2008, jusqu’à ce que je commence à voyager fréquemment en Suède et que je rencontre Jimmy Lajnen. Observer sa façon de bosser et de dessiner m'a beaucoup influencé. C'est à partir de ce moment-là que je me suis lassé de la reproduction de photographies et que je me suis éloigné du réalisme pour créer mes propres dessins. En bref, le style Newschool m'a accompagné dès le début, mais je ne l'ai "balancé" que des années plus tard. Le processus de création est plus complexe, mais je l'apprécie beaucoup plus.

Quels sont les points sur lesquels tu es particulièrement attentif?

Avant tout la dynamique, le mouvement ou l'action. C'est quelque chose que j'essaie de représenter chaque fois que je le peux et auquel je parviens grâce à la flexibilité du style car on peut déformer ou exagérer sans que le dessin n’agresse les yeux.

Comment travailles-tu ?

Je dessine beaucoup. 99% de mon travail consiste à faire des créations personnalisées. J'utilise la tablette numérique, elle me procure une grande commodité et une grande polyvalence grâce aux nombreux outils disponibles. De temps en temps cependant, je continue à les réaliser sur papier et sur toile pour créer certains de mes laminés ou de mes œuvres originales. J'aimerais apprendre davantage, bien sûr, dessiner mieux et prendre des cours pour m'améliorer mais, pour moi, le dessin n'est pas tout. J'ai besoin de profiter d'autres choses qui me rendent aussi heureux comme voyager avec ma copine, profiter du plaisir de ne rien faire et me reposer.

Tu as toujours dessiné ?

J’ai toujours dessiné. C’est que j’aimais le plus faire à l’époque, quand j’étais adolescent, avec le skate. Dans les années 90, j’ai grandi en écoutant la culture punk, hardcore et grunge. Les illustrations que l’on pouvait voir alors sur les skateboards ont eu un grand impact sur moi et tout particulièrement celles d’artistes comme Jim Phillips (Santa Cruz), VCJ (Powell Peralta) ou Pushead de la compagnie Zorlacak. De façon plus large, j’ai été sous l’influence de tout ce qui concerne le Surf art, la bande dessinée...

Comment abordes-tu la page blanche quand tu te lances sur un projet ? Est-ce un stress ou une jouissance créative?

Il n’y a pas de stress car c'est quelque chose que je fais depuis longtemps. Mais il y a des dessins qui coincent plus que d'autres. Pour les travaux de commande, je fais souvent une première approche « primitive » de l'idée principale quelques jours à l'avance. C'est ma façon d'entrer en contact avec le design. Je le laisse reposer avant de le développer en cherchant des références et en étudiant la composition. On apprécie davantage le processus lorsqu'il y a moins de règles, car on a plus de liberté pour expérimenter. C'est en expérimentant le design que je m'amuse vraiment.

Où vas-tu chercher tes références ?

Bien que je possède des livres, la plupart du temps je le fais sur l'internet. J'essaie de dessiner sans références pour voir jusqu'où je peux aller, mais parfois elles sont nécessaires et enrichissent le résultat final.

Par rapport au plaisir de dessiner, quelle satisfaction retires-tu du fait de tatouer ?

La satisfaction de voir un travail plat, sur lequel tu as passé des heures à réfléchir à divers paramètres, transféré à l’échelle du corps d’un individu, avec des formes, des courbes, qui bouge… C'est vivant ! Tu sais que cette image va voyager et que de nombreuses personnes pourront la voir, qu’elle va susciter la conversation, l'admiration ou tout autre sentiment chez les autres.

Quel est le meilleur compliment que l’on puisse faire sur une de tes pièces ?

Il me suffit que les gens apprécient en quelques secondes ce que tu as pris le temps de concevoir pendant des heures.

En parlant de pièces, y en a-t-il dont tu es particulièrement fier ?

Je suis très autocritique... Oui, beaucoup. Il y en a certaines auxquelles je me sens plus attaché en raison de la complexité de leur conception ou des heures investies, mais pour moi, toutes les pièces que je réalise sont très importantes.

Comment procèdes-tu avec tes clients. Un bon tatouage, c'est d'abord un bon échange avec le client ?

Pas en ce qui me concerne. Tu peux avoir des clients avec lesquels tu ne te sens pas en phase et faire un bon travail ou vice versa. Il faut bien comprendre qu'il s'agit d'un service et qu'un client vient te voir parce qu'il aime le style que tu pratiques et rien d'autre. Non parce qu'il est beau, laid, noir ou blanc. Le client recherche du bon travail, même dans les pires studios. Tu dois être professionnel, amical et respectueux.

Il y a tout de même un échange d’idée.

Oui, le client me dit ce qu'il veut et je le conseille sur la manière de l'améliorer et de lui donner un plus large éventail de possibilités. La plupart d'entre eux n'ont pas la fantaisie, l'imagination ou la vision spatiale nécessaires. C'est pourquoi ils viennent nous voir. Mais il y a aussi des clients qui ont des idées plus fermées que d'autres. Je suppose que, en fin de compte, cela reflète en quelque sorte leur personnalité. Actuellement, j’ai beaucoup de demandes pour des projets dans les thèmes orientaux et animaliers. Régulièrement je les reproduis en mélangeant les styles New School et oriental.

Les animaux reviennent souvent dans la production des tatoueurs new-school. Comment l'expliques-tu ?

De nombreuses personnes ont des animaux de compagnie, des animaux qu'elles aiment depuis qu'elles sont petites, ou bien, en raison de leur propre personnalité, elles s'identifient à l'un d'entre eux et veulent le refléter par un dessin sur leur peau.

As-tu d'autres formes d'expression artistique ?

Oui, de temps en temps, j'aime peindre avec de l'acrylique liquide sur du papier, du bois découpé ou sur des objets de différents formats.

Quels sont les tatoueurs que tu regardes ?

Je ne peux pas en citer un en particulier. Il y en a un nombre trop important et je suis plus de 2 000 artistes du monde entier sur Instagram. Pas seulement les tatoueurs, mais aussi les sculpteurs 3D, les peintres, les illustrateurs, les photographes... Ils sont tous des références pour moi, ainsi que tout ce qui m'entoure.

Tu as une façon de faire, des habitudes pour rester frais d’un point de vue créatif et faire entrer de manière régulière de nouvelles idées ?

Regarder Instagram et voir le travail d'autres personnes te donne un coup de fouet. La musique, les films et les séries m'inspirent aussi beaucoup. Arcane j'ai dû le regarder deux fois et ça m'a donné envie de dessiner.

À quoi ressemble le milieu du tatouage à Madrid en ce moment ?

Il s'agit d'une vaste culture en termes de styles et d'artistes. Il y a également une plus grande acceptation par la société. Il semble que les gens s'intéressent davantage aux pièces plus grandes et aux zones plus visibles du corps. Madrid est une ville moderne avec une forte culture du tatouage et l'art en général est quelque chose que l'on peut voir dans toutes les grandes villes. + IG : @willy_martin www.birdhousetattoo.com