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Charlie Cartwright

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ITW CHARLIE CARTWRIGHT

@pascalbagot

La légende du tatouage américain Charlie Cartwright, fondateur du studio Good Time Charlie’s à Los Angeles et du style « fine-line » avec Jack Rudy, évoque pour Inkers son dernier projet : la création d’un musée du tatouage aux États-Unis. Situé à Long Beach, en Californie, il serait dédié à préserver l’histoire de la discipline dans le lieu mythique de The Pike, ce parc de loisirs devenu un hub pour les meilleurs tatoueurs des années 1960/1970.

Comment cette idée de création d’un musée a-t-elle germé ?

Eh bien, j'ai toujours pensé qu'il était important de soutenir l'idée d'un musée, bien qu'il n'ait jamais été considéré comme une réalité ou comme quelque chose susceptible de dépasser le niveau d’un studio. Je crois savoir d'après Chuck Eldridge, l'un des historiens du tatouage aux Etats-Unis (www.tattooarchive.com), qu'il existe vingt mini-musées différents associés à des shops dans huit États. Il n'y a donc pas de musée national du tatouage. Je pense cependant qu'il est très important d'en avoir un en raison de sa popularité absolue mais aussi à cause des plus de cent ans de tatouage sur ce continent.

Ce musée serait dédié au Pike, pouvez-vous nous parler de ce lieu pour ceux qui ne le connaissent pas ?

The Pike était un immense parc d'attractions sur la côte ouest, à Long Beach, en Californie. Il avait littéralement tout pour lui. L'atmosphère typique d'une fête foraine pour commencer, avec des choses comme des bizarreries humaines, des stands de corndogs, les stands où vous renversez les poupées, tirez sur les pistolets, des manèges, une maison de jeux, des montagnes russes... Il y avait une salle de bal pour danser, des piscines d'eau douce ainsi que la plage juste à côté pour nager. Il n'y avait aucune limite aux activités que l'on pouvait avoir. Non seulement pour les locaux et la marine, mais aussi pour les étrangers qui venaient de partout dans le monde.

Pourquoi cet endroit est-il si important dans l'histoire du tatouage américain?

Parce que c’était un port de Los Angeles. À cause du nombre de marins en stationnement dans les environs, après avoir déchargé leurs bateaux, les salons de tatouage ont prospéré dans cette partie de la Californie. Le public aussi utilisait les services des tatoueurs et beaucoup d’entre eux étaient très connus dans le milieu. Pour cette seule raison The Pike, ou la région de Long Beach, a joué un rôle important pour le tatouage sur la côte ouest.

Personnellement, quelle est votre histoire avec The Pike ?

Jai travaillé pendant trois ans, entre 1973 et 1975, et c'est là que j'ai commencé à tatouer professionnellement - je dirais même à tatouer publiquement. Avant cela, j'ai toujours fait les choses de façon privée. Je n'ai jamais travaillé dans un magasin ou avec des tatoueurs professionnels. C'est aussi au Pike que j'ai acquis mes compétences après une première expérience dans un shop à Downtown Los Angeles : West Coast Tattoo. Plusieurs mois plus tard j’ai été envoyé au Pike, où j'ai travaillé pour le capitaine Jim et Jimbo LaPorte, deux partenaires dans ce magasin.

Il y a toujours eu des tatoueurs ?

Au moins une douzaine de boutiques au début des années 1950 et dans les années 1960. Bert Grimm était probablement le type le plus connu, celui qui avait le plus d'histoires à son actif. Il y avait aussi Lee Roy Minugh qui avait son propre studio. Parmi ceux dont je me souviens, des indépendants, Lou Lewis était sur les marches. Fred Thorton était lui de l'autre côté du bloc, à un autre bloc de Bert Grimm. Lee Roy était dans le suivant. À une certaine époque, Owen Jensen travaillait pour Bert Grimm, mais quand il est devenu beaucoup plus lent et ne voyait plus aussi bien, Lee Roy l'a mis là pour ses derniers jours. Fred Thorton avait son propre shop, j'ai fini par travailler avec lui à West Coast Tattoo.

Qui d’autre ?

Il y avait beaucoup de tatoueurs connus comme Bob Shaw et le colonel Todd lorsqu'ils ont acheté le magasin de Bert Grimm. Ils ont ainsi été eux-mêmes à la source d’un certain nombre d’histoires. Et puis ils ont employé des gens comme Bob Roberts. Don Nolan a travaillé là, Bob Heyman, qui prétendait être le neveu de Bert Grimm, m'a tatoué là. Ce sont ceux dont je me souviens à l'époque. Johnny Anderson a travaillé pendant un moment au Pike également. Il y avait pas mal de socialisation entre eux, en étroite proximité, sans beaucoup d'animosité. Je pense que certains avaient ou auraient pu avoir des divergences d'opinion, mais cela n'a jamais été exprimé publiquement. Du moins à ma connaissance.

The Pike a donc été le point de départ pour de nombreux professionnels.

Il y avait une certaine mystique à travailler au Pike et c’était une bonne chose pour quiconque avait cette expérience à son actif sur son CV. Passer par le Pike était une sorte d'institution formatrice pour les tatoueurs. Beaucoup de gars y ont fait leurs armes. The Pike a contribué à l’évolution non seulement des gars qui y sont passés, mais aussi au style de la côte ouest.

Le tatouage a-t-il toujours été une activité lucrative ou a-t-il connu différentes vagues de popularité ?

Le tatouage a toujours été populaire au Pike. Il y avait toujours une partie de la population pour exiger d'avoir un tatouage et déterminée à en avoir un. À cet égard, il était populaire pour un certain nombre de personnes, mais pas pour le grand public. J'ai toujours compté en évaluant qu'un demi pour cent de la population générale se ferait tatouer s'il avait le temps et l'argent. C'est comme ça que ça se résumait à l'époque. Mais aujourd'hui, il s’agit plutôt de 75% du public.

Quelle population représentait le cœur de votre clientèle ?

À Long Beach, c'était la marine et les marines marchandes étrangères. À un moment, il y avait un demi-million de marins américains dans la région, alors il suffisait de prendre un petit pourcentage de ce chiffre pour comprendre que quelques boutiques pouvaient rester assez occupées. C'était principalement militaire. Il y avait cependant aussi toujours les amoureux qui se faisaient tatouer leurs noms de même que beaucoup de gangs de Los Angeles étaient aussi des clients fréquents.

Qu'en est-il du Pike aujourd'hui, existe-t-il encore ?

Le Pike tel que nous le connaissions n'existe plus. Il n’y a plus que des magasins d'entreprise et c'est devenu simplement un quartier très commercial. Il ne reste qu'un seul magasin de tatouage de l'époque du Pike, celui de Bert Grimm, qui est le plus ancien magasin en activité continue aux États-Unis depuis 1927. Il est maintenant exploité par Kari Barba qui l'a depuis plus de douze ans. C'est le seul vestige qu’il en reste, à l'endroit d'origine, et je la remercie pour cela. La plupart des Américains devraient la remercier pour avoir préservé ce morceau de l'histoire américaine.

Revenons au musée en lui-même, où serait-il situé et que contiendrait-il ?

Le musée serait situé à Long Beach, en Californie, là où se trouvait The Pike. Je n'ai jamais rien collectionné qui soit exclusivement lié à The Pike mais j'y ai une histoire personnelle, car j'y ai travaillé pendant environ trois ans et j'ai donc beaucoup de bons souvenirs de cet endroit.

Vous dites que vous avez besoin de deux millions de dollars pour cela, à quoi servirait cet argent ?

Pour la construction et le fonctionnement du musée.

Quelles idées avez-vous pour ce projet ?

Le minimum absolu serait de présenter de formidables expositions, mais je pense que cela va au-delà. Nous envisageons de réaliser une série de documentaires qui, à eux seuls, seront très utiles pour éduquer le monde. Nous espérons que ce musée deviendra une destination internationale. Dieu sait que nous avons assez d'histoire pour en justifier une. Je pense qu'au-delà des expositions et de la série documentaire, les articles qui seront éventuellement disponibles à la vente dans notre boutique en ligne seront d'un grand intérêt.

Comment les gens peuvent-ils vous aider dans ce projet et a-t-il un calendrier ?

La principale chose qu'ils peuvent faire, en plus de soutenir mentalement le projet de loin, c'est de faire des dons et de contribuer à son fonctionnement en apportant un soutien financier et éventuellement des objets qui seraient protégés, préservés et stockés correctement pour être exposés. Mais pour l'instant, nous avons surtout besoin d'argent pour construire un lieu ou le mettre en service. Nous pourrions commencer par une version plus petite, car il s'agit d'un projet en cours de développement. Mais je pense que nous avons le soutien d'une grande partie de la nation, voire du monde, du moins je l'espère. Merci à Kimiko Tokita pour son aide dans la réalisation de cette interview. + IG : @tattoo_heritage_project @gtc_tattooman www.tattooheritageproject.com