Commencée il y a 20 ans, Agustin Cavalieri poursuit son exploration des secrets du tatouage japonais au studio barcelonais Trishula. Là, l’ancien étudiant des beaux-arts, aujourd’hui âgé de 44 ans, partage sa détermination et son amour de la culture japonaise et de l’art avec ses amis, tous experts dans ce style.
Tu es Espagnol Agustin ?
Non, je suis originaire de la ville de La Plata en Argentine et je vis en Espagne depuis 1999, à Barcelone depuis 2003.
Depuis combien de temps dessines-tu ?
Depuis mon adolescence. En plus d’avoir suivi des cours en atelier, j'ai étudié trois ans à l'Université des Beaux-Arts de La Plata - je n'ai pas terminé mon diplôme pour être honnête. Heureusement, j'ai eu l'occasion de voir le travail de nombreux maîtres européens classiques. J’ai aussi eu à disposition une bonne artothèque qui m'a inspiré à de nombreux moments. Bien que le tatouage soit la voie expressive que j'ai choisie, mes préférences et mes motivations artistiques sont toujours très variées, mais généralement classiques, avec une signification existentielle, qu’elles soient occidentales ou orientales.
Quel est ton premier contact avec le tatouage ?
À la fin des années 80 / début des années 90, j’étais encore un adolescent et mon grand frère s'est fait tatouer à Stoppa Tattoo da Pedra au Brésil, à Barra da Lagoa. Moi j'étais trop jeune, ils n’ont pas accepté. Quelques années plus tard, j'ai commencé à en voir dans ma propre ville, où j’ai fini par me faire tatouer pour la première fois par Juan Pedro "el Vatra".
Quand est-ce que tu commences à tatouer ?
J'ai décidé d'acheter un petit matériel modeste, composé d'une machine, d'une alimentation, de quelques tubes, de quelques aiguilles et de plusieurs encres de couleur. J’ai pu d’abord m'exercer sur des fruits, puis sur ma propre peau et celle de mes amis proches. J’ai continué ainsi, sans suivre d'apprentissage ni la conduite d’un maître, ce qui m'a permis progressivement de me consacrer entièrement à ce beau métier. J'ai partagé avec de nombreux collègues les succès et les erreurs, les bonnes et les mauvaises expériences. C’est un apprentissage sans fin.
Comment découvres-tu le style japonais ?
Cela s'est fait progressivement. Quand j’ai commencé, ma sensibilité au dessin figuratif me rapprochait d'un graphisme réaliste occidental ou du newschool. Puis, petit à petit, j'ai été attiré par le tatouage japonais. Je me souviens des premières publications dans lesquelles j'ai pu en voir. Il était réalisé par des tatoueurs japonais ou par des étrangers, des Européens et des Américains. Chez les occidentaux je peux citer Ed Hardy, Filip Leu, Chris Treviño et bien d'autres. Je me plonge autant que je peux dans le tatouage japonais mais en ayant toujours en tête que je suis un humble interprète. J’apprends par tentatives successives, à travers mes erreurs, des discussions, les voyages, mes lectures… J'étudie ce style depuis plus de 20 ans.
Es-tu allé au Japon pour apprendre ? As-tu rencontré des tatoueurs japonais avec lesquels tu as approfondi ta connaissance de la culture ?
Je suis allé au Japon mais pas pour apprendre. J'aurais adoré passer du temps là-bas pour le faire, mais je ne me plains pas. J'ai pu voyager pour le tourisme et le tatouage. Mon dernier voyage a été annulé en 2020 mais j'espère y retourner bientôt, cette fois avec ma famille. À l’occasion de ces voyages j'ai rencontré beaucoup de personnes, certaines personnellement et d'autres à travers leurs publications. Au début, mes deux principales influences étaient Horiyoshi 3 et Horihide de Gifu. Grâce à leurs premiers livres j'ai pu comprendre une partie du sens du tatouage japonais.
Quelle approche choisis-tu lorsque tu commences ? Il y avait une version européenne à travers Filip Leu et Mick (ex-Zürich), mais maintenant la tendance est de plus en plus traditionnelle.
Aujourd'hui je valorise beaucoup plus l'ensemble, le concept de corps dans le sens où les tatouages font partie d'un tout harmonieux. En ce qui concerne Filip et Mick, j’ai la chance immense d'avoir été tatoué par les deux. Je comprends que le graphisme de leurs tatouages puisse paraître « progressif », évolutif. Mais quiconque connaît un peu leur travail sait qu'ils font partie des tatoueurs les plus traditionnels que le monde ait jamais connus. Ils sont la structure de ce mouvement moderne émergent basé sur le tatouage traditionnel japonais. Leur travail a été d'une grande aide pour me sensibiliser.
Dans quelle mesure essaies-tu de te rapprocher du style japonais ? S’agit-il d’avoir l’air authentique ?
C'est le style que j'ai choisi pour comprendre le métier de tatoueur. Il m’a fasciné et m'amène à continuer à naviguer dans ses mers. Que l’on veuille seulement l'étudier un peu, l'interpréter ou s'y plonger complètement, on s'aperçoit rapidement qu'il est aussi magique que la vie elle-même. Oui, j'essaie de faire en sorte qu'il "paraîsse" authentique.
Comment définirais-tu cette authenticité ?
L'authenticité appartient aux Japonais ou à ceux qui sont complètement immergés dans leur culture. Dans mon cas, je suis satisfait qu'il "paraîsse" authentique, car ce que je fais est une interprétation qui ressemble à l'authentique tatouage japonais.
Il y a des motifs que tu préfères tatouer ?
Les dragons, les bêtes, les animaux, la mythologie, l’histoire, le religieux, le floral… avec un grand fond et avec de bons morceaux de noir et de gris pour que les clients puissent en profiter pour toujours, que les tatouages vieillissent avec grâce.
En parlant du noir, lorsque l’on regarde les photographies anciennes de tatoués japonais on se rend compte que les tatouages ont de larges surfaces de noir, très peu stylisées. Ce noir n’est-il pas un élément constitutif de cette authenticité ?
Dans mon cas, oui. Quand il s'agit de tatouage, je préfère une bonne quantité de noir. Le noir en abondance est caractéristique du tatouage primitif. En général, j'aime ce type de tatouages, qu'ils soient anciens ou modernes. Mais beaucoup de tatoueurs contemporains travaillent sur une échelle plus lumineuse, avec beaucoup moins de noir mais plus de détails, ce que j'aime aussi.
Les tatoueurs japonais sont censés connaître les histoires derrière les tatouages. Est-ce important pour toi de les connaître ou la recherche artistique prime-t-elle avant tout ?
En général, plus je connais la littérature et ses histoires mieux c'est, car je pourrais laisser la partie qui a trait au sens, mais elle a beaucoup de valeur et doit être en harmonie avec la partie artistique et graphique.
Quels sont les tatoueurs japonais vers lesquels tu te tournes pour progresser ?
Aujourd'hui, : Horihide de Gifu, Horichō, Horiyoshi 3, Horiyoshi 1, Horibun, Horiuno, Horikin, Horitsune et beaucoup d'autres maîtres, bien sûr aussi chez les plus jeunes, Bunshin Horitoshi, Gasen, Houryu, Ichibay, Horihiro Mitomo,… beaucoup et beaucoup d'autres du monde entier.
Ton intérêt pour la culture japonaise va au-delà des tatouages. Tu as récemment réalisé une gigantesque peinture d'un dragon au plafond de la librairie Okulus à Barcelone, comme pour un temple !
Cette peinture est un dragon qui tourne sur lui-même, c’est un protecteur. Elle est réalisée à l'acrylique et peinte sur une toile d'environ 2 x 2 mètres. Cette peinture est complètement influencée par les anciennes peintures murales ou de plafond. J'aime l'atmosphère enveloppante qu’elles créent. Pour l'instant le projet est dans sa phase première, car l'idée est d'en ajouter d’autres au plafond et de renforcer encore cet effet. J'apprécie la liberté et la confiance que m’a laissé Lorenzo (propriétaire d’Okulus). C'est un honneur d'avoir une peinture exposée dans sa librairie, le temple du livre à Barcelone.
En-dehors du tatouage, étudies-tu d’autres arts japonais?
Un peu de littérature classique, du cinéma. La calligraphie m'attire beaucoup, même si je ne la pratique pas. Lors de mon prochain voyage, j'espère voir aussi du théâtre. Quoi qu'il en soit, j'aime beaucoup les arts, classiques et modernes.
Tu as eu une formation universitaire artistique et tu dis beaucoup aimer la peinture. Est-elle une influence pour ton tatouage ou ces deux choses sont-elles complètement hermétiques?
Elle a une influence, bien sûr. Composition ou dessin, clair-obscur et couleur, les ressources que j'utilise pour la peinture sont différentes de celles du tatouage, mais le langage est le même.
De nombreux tatoueurs de l'époque se consacrent au japonais en Espagne...
Oui, c'est vrai, de plus en plus de tatoueurs qui se consacrent à ce style. J'imagine que cela va continuer à augmenter et je me réfère aussi bien à l'Espagne qu'au reste du monde. Le monde du tatouage est magique et le tatouage japonais en est un pilier. Sans aucun doute, cela ne fait que commencer en Espagne.
Pour quelles raisons tes clients aiment-ils ce style ? Que te disent-ils ?
Je comprends surtout qu'ils l'apprécient pour la possibilité de continuité. La variété des motifs. Les histoires sans fin, les batailles ou les drames... Et que tous ensemble ils finissent par former un grand tout, le grand œuvre, le body. Cette expérience présente un attrait maximal pour beaucoup. + IG : @cavalieri_agustin Trishula Tattoo Studio C/ Padilla 212, Local 1 08013 Barcelona www.trishulatattoo.com