Facile, désinvolte, loquace, Anderson Luna est ce que l’on pourrait appeler un petit génie du tatouage. Originaire de Brooklyn, il est aujourd’hui dans l’un des studios les plus en vue de New-York. Certains diront qu’il est béni par les dieux et, à considérer le nombre de divinités qu’il encre tous les jours, ce n’est pas une option à prendre à la légère.
Cela fait plus de 10 ans maintenant que tu travailles comme tatoueur, quelle importance cela a-t-il pour un professionnel?
C’est très spécial. Tu entends souvent ces vieux tatoueurs, les grandes légendes dire: « Si tu n’as pas tatoué plus de 10 ans, tu n’es pas un tatoueur ». Eh bien maintenant c’est fait. Très fréquemment les gens viennent me demander de leur apprendre le métier mais je refuse. Je suis toujours un jeune tatoueur, n’est-ce pas ? Prendre un apprenti c’est quelque chose que je ne peux pas prendre à la légère. Dans 5 ou 6 ans peut-être que je reconsidérerai la question. Quand j’aurai mon propre studio ? A quel âge as-tu commencé à te faire tatouer? Très jeune. Je faisais du graffiti et j’avais pris l’habitude de traîner dans le Bronx. Un jour je suis allé dans ce studio de tatouage « Tuff City », où Ces et Yes travaillaient. Comme ils faisaient aussi du graffiti je suis allé les voir. J’ai été frappé dans le studio par des dessins sur les murs représentant de belles femmes, des visages… j’ai demandé qui en était l’auteur, c’était Andre Malcolm (le tatoueur travaillait à l’époque au studio Invisible Ink, maintenant au studio Analog Tattoo à San Francisco, ndlr). Je l’ai rencontré et il m’a complètement pris sous son aile. Il a commencé à me faire le bras gauche je devais avoir 15-16 ans. J’étais très jeune, il n’était pas vraiment supposé pouvoir le faire (rires). Mais j’ai gardé le contact avec lui. Tu dessinais à l’époque ? Aussi loin que je puisse me souvenir, j’ai toujours dessiné, peints, etc. Très jeune je voulais un tatouage. Cela représentait pour moi un style de vie : faire de l’art. Avec une différence : si pour la plupart des activités artistiques il s’agit de passer la majeure partie de ton temps seul dans une pièce à créer tes œuvres d’art, le tatouage te donne l’opportunité de rencontrer des gens. Je suivais à l’époque des cours dans le Bronx et j’étais sur le point d’entrer dans une école d’art avant que les mecs de Tuff City ne me proposent de venir travailler avec eux : ils ouvraient un nouveau studio. J’avais bien déjà commencé à tatouer, j’en étais peut-être à une dizaine de tatouages réalisés sur des potes, des petits motifs, mais ils m’ont donné ma chance. Je suis resté trois ans et pendant ce temps Andre nous a rejoint. Il m’a beaucoup aidé. En fait, il m’a appris tout ce que je sais. Ensuite j’ai rencontré Scott (Campbell) qui m’a proposé de rejoindre l’équipe de Saved Tattoo en 2010. Quelles difficultés as-tu rencontrées lors du passage du papier à la peau ? J’ai dû désapprendre beaucoup des choses et étudier les designs propres au tattoo. Tout doit aussi être planifié dès le début, suivre certaines règles. La lisibilité en est une: tu dois être capable de lire un tatouage, non seulement à courte distance mais aussi depuis l’autre bout de la pièce. Pour moi, c’est le plus important. Avec assez de contraste, de peau, de noir. Il faut que ce soit aussi lisible que possible. Ce qui ne m’empêche pas d’avoir le goût du détail. Aussi près que tu t’en approches, je veux qu’il y ait quelque chose à voir. Tu tatoues principalement des figures religieuses, sans distinction de religion. D’où cela vient-il ? J’ai toujours été obsédé par la religion. Depuis que je suis petit. Ma grand-mère était catholique et nous amenait à l’église. J’ai toujours ressenti de façon très forte ce grand espace à l’intérieur d’une église. J’étais en même temps fasciné par les nombreuses images qu’on peut y trouver, la puissance qui s’en dégageait, leur énergie. Je ne suis pas croyant pour autant mais j’ai toujours eu besoin de questionner, de chercher. J’ai beaucoup lu sur le sujet. Je ne suis pas trop versé dans la religion occidentale bien que j’aime son esthétique, mais je me sens proche de tout ce qui a trait aux religions orientales, de l’Hindouisme et du Bouddhisme. Elles sont plus en phase avec ma façon de voir le monde, d’apprécier la vie ici et maintenant, l’idée de suivre une évolution personnelle, de progresser en tant qu’individu… Une imagerie est-elle plus adaptée qu’une autre au tatouage? Le style et leur exécution sont bien meilleures dans les religions orientales, elles sont définitivement meilleures à tatouer. Comme elles sont très anciennes ces images me donnent aussi l’impression d’être plus puissantes, elles portent avec elle une validation plus importante. Tu vois ce que je veux dire ? L’imagerie indienne est très fun à utiliser, on n’en voit pas beaucoup, elle pourrait être plus tatouée. Il y a plus de liberté à jouer avec. A l’inverse, il est très facile de se tromper en reproduisant l’imagerie tibétaine. L’imagerie égyptienne m’intéresse aussi et pourrait être plus travaillée qu’elle ne l’est aujourd’hui. Ces imageries ont fait l’objet de nombreuses publications, comment t’y retrouves-tu parmi toutes ces références ? J’ai beaucoup de livres. Trop. Plus d’un millier chez moi, il y a des livres partout. J’aime en acheter, j’aime les avoir avec moi et je consacre beaucoup de temps à la lecture. A chaque fois que je regarde une référence c’est difficile, je peux passer des heures à les consulter. On peut rapidement se perdre dans les références, il y en a tellement… Mais c’est génial ! Parfois, un peu las, je finis par me dire: « En fin de compte mon job est de trouver des références » (rires). Et la plupart du temps je m’en sors en choisissant quelques images que j’aime et que j’associe, un peu comme je ferais pour un collage. Tu travailles uniquement en noir et gris, y a-t-il une raison particulière? Je le comprends mieux. Je me concentre ainsi mieux sur les formes, les lignes, le contraste. Cela libère plus d’espace dans mon cerveau. J’aime aussi son look. Moi-même je ne porte pas beaucoup de tatouages en couleurs. C’est un style qui va à tout le monde, quelle que soit la couleur de la peau. C’est moins vrai pour la couleur. Je veux que les tatouages soient accessibles à tous. J’aime la couleur quand elle est posée sous forme d’à-plat, graphique, comme dans le style japonais. Et puis je trouve aussi que le noir & gris cicatrise mieux dans le temps. As-tu l’impression de rentrer dans un style particulier? Non, ce que je fais se situe plutôt dans un entre-deux. J’aime définitivement ce look illustratif propre au tatouage. Je trouve aussi tout le travail ultra-réaliste très impressionnant. Par contre, je n’aime pas qu’il soit réalisé à partir d’une photo. Je n’aime pas copier, je préfère créer une image, et c’est particulièrement important quand il s’agit de tatouage. J’essaie de rendre l’image plus graphique, avec de bonnes lignes de façon à ce qu’elle vieillisse mieux. Quelque chose qui manque à l’ultra-réalisme. Il se dégage une vraie sérénité de ton travail… Il n’y a aucune violence. Je me rends compte que la plupart des gens qui viennent me voir veulent quelque chose de beau, quelque chose de pas trop intense. Paradoxalement je pense que cela donne plus de puissance, aux visages par exemple, celui d’une divinité, d’un Saint, etc. Ce n’est pas facile à dessiner, mais ils captivent. Le contenu d’une image est quelque chose qui est censé être au-dessus de nous, d’une certaine façon. Tes clients tirent-ils un bénéfice de tes tatouages ? Je vois peu de collectionneurs et la plupart de mes clients n’ont pas beaucoup de tatouage. Pour beaucoup d’entre eux ce sera le premier. Certains qui n’aiment pas changent d’avis quand ils voient les miens, c’est gratifiant. Peut-être parce que ces images contiennent des choses sur lesquelles ils travaillent personnellement. Je sais ainsi que parmi mes clients, un certain nombre appartiennent aux alcooliques anonymes ou sont passés par beaucoup de problèmes dans le passé… CONTACT: https://savedtattoo.com/ https://www.instagram.com/andersonluna/
A quel âge as-tu commencé à te faire tatouer?
Très jeune. Je faisais du graffiti et j’avais pris l’habitude de traîner dans le Bronx. Un jour je suis allé dans ce studio de tatouage « Tuff City », où Ces et Yes travaillaient. Comme ils faisaient aussi du graffiti je suis allé les voir. J’ai été frappé dans le studio par des dessins sur les murs représentant de belles femmes, des visages… j’ai demandé qui en était l’auteur, c’était Andre Malcolm (le tatoueur travaillait à l’époque au studio Invisible Ink, maintenant au studio Analog Tattoo à San Francisco, ndlr). Je l’ai rencontré et il m’a complètement pris sous son aile. Il a commencé à me faire le bras gauche je devais avoir 15-16 ans. J’étais très jeune, il n’était pas vraiment supposé pouvoir le faire (rires). Mais j’ai gardé le contact avec lui.
Tu dessinais à l’époque ?
Aussi loin que je puisse me souvenir, j’ai toujours dessiné, peints, etc. Très jeune je voulais un tatouage. Cela représentait pour moi un style de vie : faire de l’art. Avec une différence : si pour la plupart des activités artistiques il s’agit de passer la majeure partie de ton temps seul dans une pièce à créer tes œuvres d’art, le tatouage te donne l’opportunité de rencontrer des gens. Je suivais à l’époque des cours dans le Bronx et j’étais sur le point d’entrer dans une école d’art avant que les mecs de Tuff City ne me proposent de venir travailler avec eux : ils ouvraient un nouveau studio. J’avais bien déjà commencé à tatouer, j’en étais peut-être à une dizaine de tatouages réalisés sur des potes, des petits motifs, mais ils m’ont donné ma chance. Je suis resté trois ans et pendant ce temps Andre nous a rejoint. Il m’a beaucoup aidé. En fait, il m’a appris tout ce que je sais. Ensuite j’ai rencontré Scott (Campbell) qui m’a proposé de rejoindre l’équipe de Saved Tattoo en 2010.
Quelles difficultés as-tu rencontrées lors du passage du papier à la peau ?
J’ai dû désapprendre beaucoup des choses et étudier les designs propres au tattoo. Tout doit aussi être planifié dès le début, suivre certaines règles. La lisibilité en est une: tu dois être capable de lire un tatouage, non seulement à courte distance mais aussi depuis l’autre bout de la pièce. Pour moi, c’est le plus important. Avec assez de contraste, de peau, de noir. Il faut que ce soit aussi lisible que possible. Ce qui ne m’empêche pas d’avoir le goût du détail. Aussi près que tu t’en approches, je veux qu’il y ait quelque chose à voir.
Tu tatoues principalement des figures religieuses, sans distinction de religion. D’où cela vient-il ?
J’ai toujours été obsédé par la religion. Depuis que je suis petit. Ma grand-mère était catholique et nous amenait à l’église. J’ai toujours ressenti de façon très forte ce grand espace à l’intérieur d’une église. J’étais en même temps fasciné par les nombreuses images qu’on peut y trouver, la puissance qui s’en dégageait, leur énergie. Je ne suis pas croyant pour autant mais j’ai toujours eu besoin de questionner, de chercher. J’ai beaucoup lu sur le sujet. Je ne suis pas trop versé dans la religion occidentale bien que j’aime son esthétique, mais je me sens proche de tout ce qui a trait aux religions orientales, de l’Hindouisme et du Bouddhisme. Elles sont plus en phase avec ma façon de voir le monde, d’apprécier la vie ici et maintenant, l’idée de suivre une évolution personnelle, de progresser en tant qu’individu…
Une imagerie est-elle plus adaptée qu’une autre au tatouage?
Le style et leur exécution sont bien meilleures dans les religions orientales, elles sont définitivement meilleures à tatouer. Comme elles sont très anciennes ces images me donnent aussi l’impression d’être plus puissantes, elles portent avec elle une validation plus importante. Tu vois ce que je veux dire ? L’imagerie indienne est très fun à utiliser, on n’en voit pas beaucoup, elle pourrait être plus tatouée. Il y a plus de liberté à jouer avec. A l’inverse, il est très facile de se tromper en reproduisant l’imagerie tibétaine. L’imagerie égyptienne m’intéresse aussi et pourrait être plus travaillée qu’elle ne l’est aujourd’hui.
Ces imageries ont fait l’objet de nombreuses publications, comment t’y retrouves-tu parmi toutes ces références ?
J’ai beaucoup de livres. Trop. Plus d’un millier chez moi, il y a des livres partout. J’aime en acheter, j’aime les avoir avec moi et je consacre beaucoup de temps à la lecture. A chaque fois que je regarde une référence c’est difficile, je peux passer des heures à les consulter. On peut rapidement se perdre dans les références, il y en a tellement… Mais c’est génial ! Parfois, un peu las, je finis par me dire: « En fin de compte mon job est de trouver des références » (rires). Et la plupart du temps je m’en sors en choisissant quelques images que j’aime et que j’associe, un peu comme je ferais pour un collage.
Tu travailles uniquement en noir et gris, y a-t-il une raison particulière?
Je le comprends mieux. Je me concentre ainsi mieux sur les formes, les lignes, le contraste. Cela libère plus d’espace dans mon cerveau. J’aime aussi son look. Moi-même je ne porte pas beaucoup de tatouages en couleurs. C’est un style qui va à tout le monde, quelle que soit la couleur de la peau. C’est moins vrai pour la couleur. Je veux que les tatouages soient accessibles à tous. J’aime la couleur quand elle est posée sous forme d’à-plat, graphique, comme dans le style japonais. Et puis je trouve aussi que le noir & gris cicatrise mieux dans le temps.
As-tu l’impression de rentrer dans un style particulier?
Non, ce que je fais se situe plutôt dans un entre-deux. J’aime définitivement ce look illustratif propre au tatouage. Je trouve aussi tout le travail ultra-réaliste très impressionnant. Par contre, je n’aime pas qu’il soit réalisé à partir d’une photo. Je n’aime pas copier, je préfère créer une image, et c’est particulièrement important quand il s’agit de tatouage. J’essaie de rendre l’image plus graphique, avec de bonnes lignes de façon à ce qu’elle vieillisse mieux. Quelque chose qui manque à l’ultra-réalisme.
Il se dégage une vraie sérénité de ton travail…
Il n’y a aucune violence. Je me rends compte que la plupart des gens qui viennent me voir veulent quelque chose de beau, quelque chose de pas trop intense. Paradoxalement je pense que cela donne plus de puissance, aux visages par exemple, celui d’une divinité, d’un Saint, etc. Ce n’est pas facile à dessiner, mais ils captivent. Le contenu d’une image est quelque chose qui est censé être au-dessus de nous, d’une certaine façon.
Tes clients tirent-ils un bénéfice de tes tatouages ?
Je vois peu de collectionneurs et la plupart de mes clients n’ont pas beaucoup de tatouage. Pour beaucoup d’entre eux ce sera le premier. Certains qui n’aiment pas changent d’avis quand ils voient les miens, c’est gratifiant. Peut-être parce que ces images contiennent des choses sur lesquelles ils travaillent personnellement. Je sais ainsi que parmi mes clients, un certain nombre appartiennent aux alcooliques anonymes ou sont passés par beaucoup de problèmes dans le passé… CONTACT: https://savedtattoo.com/ https://www.instagram.com/andersonluna/