Poussé par un désir profond de création artistique, le jeune tatoueur français Harry Kazan s’est expatrié récemment au Japon. Il y explore la vaste culture traditionnelle de l’archipel qu’il réinterprète à travers divers projets, dont une série photographique mêlant le monde fantastique des yokaï à une esthétique Tokyo 3.0.
Tu habites au Japon depuis quelques temps déjà, quelles raisons t’ont poussé à t’expatrier?
Je suis arrivé au Japon il y a environ deux ans, poussé par la sensation d’un besoin de création artistique mais aussi celle d’un ras-le-bol de l’atmosphère en France. C’est compliqué à expliquer, mais je sais que beaucoup de gens qui ont, comme moi, quitté leur patrie comprendront ce sentiment.
Comment cela se passe pour un tatoueur étranger au quotidien dans un pays qui entretient une relation très compliquée avec le tatouage ?
Je suis ici depuis deux ans c’est encore un peu trop frais pour réellement parler de quotidien “normal”. Et puis, je suis arrivé à un moment où les frontières étaient fermées donc l’essentiel des clients qui consomment réellement du tattoo, les étrangers, ne peuvent pas venir. Heureusement il me reste ma clientèle japonaise, essentiellement des jeunes de 25-30 ans appartenant à la scène métal hardcore. Bref, c’est l’aventure tout les jours, mais ça me plait.
Artistiquement, que proposes-tu comme tatouages?
J’essaie de mixer une imagerie japonaise inspirée de yokai de toutes sortes, avec des références au théâtre Noh et un style se rapprochant du black work, associant noir pur et nuances de points.
Ce séjour au Japon est l’opportunité de t’intéresser à la culture du tatouage traditionnel, c’est bien ça?
Oui, car c’est une chance inouïe d’être présent dans ce pays et d’avoir accès à cette culture. Ce n’est pas cependant quelque chose que j’ai envie de copier trait pour trait. Il y a des codes, simples en apparence, presque enfantins, mais qui sont en réalité extrêmement complexes et cela me passionne d’essayer de les comprendre, pour les adapter à ce que je fais.
Tu sembles t’intéresser particulièrement à l’univers des yokai n’est-ce pas?
J’aime énormément ce qui tourne autour des démons, des esprits et des légendes urbaines japonaises. J’ai la chance au Japon d’avoir accès à des ressources quasi introuvables en France. Dans mon atelier, j’ai des encyclopédies entières sur les légende japonaises. C’est un paradis pour moi.
On retrouve cet intérêt dans une série de photographies qui détonne un peu sur ton instagram plutôt monochromatique, comment est-elle née?
Alors cette série est née de ma rencontre avec Solène Ballesta une photographe incroyable. Dès notre rencontre, on s’est dit que cela serait cool de collaborer sur un projet, sans réellement savoir lequel, jusqu’à ce que j’expose des masques dans une galerie -Atelier 485- dans laquelle il s’agissait de réinterpréter la culture japonaise au travers de peintures, de masques et à l’aide de mapping. Les masques étaient l’élément central de cette exposition qui s’est retrouvée mis en parallèle avec trois peintures abstraite représentant l’évolution de Zohonna vers Hannya (dans le théâtre Noh, hannya est la phase finale de la transformation de l’acteur passé par deux étapes précédentes).
Quelles étaient vos envies pour cette série et comment vous êtes-vous répartis les rôles ?
On est vite tombé d’accord sur le fait qu’on voulait une ambiance un peu mystique mais aussi un peu cyberpunk, Neo Tokyo, etc. Solène s’est chargée d’organiser le shooting et c’est allé super vite, en un claquement de doigts, grâce à elle. Mettre en place un shooting est souvent une galère sans nom donc on a été plutôt chanceux. Solène a ensuite présélectionné une centaine d’images avant de resserrer cette sélection, pour finalement n’en garder qu’une quinzaine. Les photos ont ensuite été recadrées, retouchées, puis je suis intervenu numériquement pour modifier ces clichés.
Comment t’y es-tu pris?
J’ai utilisé des logiciels comme Illustrator, Photoshop ou encore Procreate pour dessiner à même la photo puis déformer les traits, les intégrer plus ou moins subtilement, découper des parties de la photo originale et la répliquer ailleurs dans le cadre, etc. Le digital nous a servi pour montrer le décalage entre tradition et futurisme.
Le masque hannya revient souvent, pourquoi celui-là en particulier?
C’était purement esthétique car il renvoie, dans l’inconscient collectif occidental, une image du Japon assez mystique. Ce masque est très apprécié dans tout ce qui touche à la pop culture, au tatouage, à l’art.
Tu évoquais les masques, quel intérêt leur portes-tu?
Plus qu’ailleurs, je trouve qu’au Japon le masque a un rôle essentiel dans tout se qui concerne le divertissement, la religion, l’art. Que ce soit dans les matsuri (fêtes populaires) avec les masques de Hyotokko (visage grimaçant d’un personnage comique emmailloté d’une écharpe blanche à pois) et Okame (visage féminin rond aux joues pleines), dans les temples avec la danse des Shishi (lions chinois) pour la nouvelle année où encore dans le théâtre avec tout ce qui tourne autour du Kabuki et du Noh. Cela me fascine.
Le masque est une oeuvre de l’artisan et tu me disais que tu en créais toi-même selon une démarche très particulière. Peux-tu nous en parler ?
Ma démarche est peu commune. Je passe d’abord la majeure partie de l’année à rassembler des informations physiques ou numériques sur énormément de sujets afin de me créer une sorte de banque de données. Puis, lorsque vient le temps de la production, je m’enferme - presque littéralement- dans un atelier pour mettre à profit ces mois de recherches. Ensuite essais et échecs se succèdent jusqu’au moment où je tombe enfin sur un résultat convainquant.
Tu utilises du bois pour les faire?
Non, j’utilise des mélanges de résine pour dupliquer et modifier les masques plus rapidement. Mon projet initial était d’en produire une cinquantaine. Les faire en bois aurait généré un coût de production trop élevé, aussi bien en terme de temps qu’en terme d’argent. J’avais prévu d’en faire un en bois, d’une hauteur d’1m50 de haut, mais j’ai décidé de reporter ce projet à plus tard. + Instagram : @harry_kazan