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BRAD FINK- PUTTING INK INTO MARBLE

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BRAD FINK - DE L’ENCRE DANS LE MARBRE

PAR PASCAL BAGOT

30 ans qu’il piste, achète, archive, tout ce qu’il trouve en rapport avec le tatouage américain. Collectionneur compulsif, Brad Fink expose maintenant une partie de ses trouvailles dans un espace dédié de façon permanente à l’intérieur de son studio à New York, Daredevil Tattoos, perpétuant ainsi une longue tradition dans la profession.

Si aujourd’hui les grandes institutions culturelles s’intéressent au tatouage et sont plus que jamais disposées à surfer sur sa popularité avec l’organisation d’expositions ambitieuses, celles-ci n’en restent pas moins éphémères. Le tatouage attend toujours son musée permanent, entièrement dédié à la richesse de son histoire. Il y a plusieurs années la question semblait pourtant avoir été réglée quand le tatoueur hollandais Henk Schiffmacher ouvrait à l’automne 2011 son impressionnant Amsterdam Tattoo Museum dans la capitale batave. L’initiative ne manquait pas d’audace. Encore une fois, elle était à mettre au crédit d’un tatoueur. Car au cours du 20e siècle, au fil de leur professionnalisation et en l’absence de reconnaissance par les circuits culturels officiels de leur production, les tatoueurs occidentaux ont été attentifs à la conservation de leur histoire et pris soin de la transmettre entre initiés. Certains sont même allés jusqu’à ouvrir des petits musées dans leurs studios, saisissant ainsi l’opportunité d’exposer leur collection. A New-York, Brad et Michelle -Myles, elle aussi tatoueuse- s’inscrivent ainsi dans la filiation de ces initiatives. Dans leur petit musée, tatoués et non tatoués ont l’opportunité de venir voir des objets rares et précieux qui témoignent de l’évolution d’un art. Planches de flashs vieillies aux couleurs éclatantes font découvrir la paternité de motifs toujours piqués dans les studios du monde entier, démontrant le talent de légendes comme Bert Grimm, Samuel O’Reilly, Ace Harlyn, Cap Coleman ou encore Sailor Jerry ; les vitrines où s’alignent les machines montrent l’évolution de l’outil, les photos restituent l’atmosphère d’une époque, posent des visages sur des noms illustres et font ainsi revivre Charlie Wagner et les autres tatoueurs du quartier du Bowery. Seul le ronronnement des machines n’a pas besoin d’avoir été collecté, du fond du studio c’est toujours – ou presque- la même musique.

Quand as-tu commencé cette collection ?

Ma première machine m’a été donnée par Mitch, que je considère comme mon mentor - c’est lui à la fin des années 90 qui m’a appris à tatouer. C’était une machine « Jonesy » signée Earl Brown de Saint Louis, Missouri, une ville d’où je suis originaire. Mitch était aussi un collectionneur, son truc c’était plutôt les objets de la Seconde Guerre Mondiale, comme les souvenirs nazi… il aimait les antiquités. A cette époque j’étais toujours au lycée et quand j’ai commencé à travailler dans son studio, tout d’un coup j’avais de l’argent. C’était totalement inédit pour moi. J’avais besoin de m’entourer de choses, d’en acheter, je suis devenu ainsi un incurable collectionneur. Ce virus de la collection ne concerne d’ailleurs pas uniquement les objets liés à l’histoire du tatouage, il s’étend à tout ce qui me plait comme les bannières de side-show. Enfin, tout ce qui est lié au tatouage a une importance particulière à mes yeux.

Que représente cette collection?

Elle rassemble et incarne nos vies, la mienne et celle de Michelle. A mes yeux elles représentent et résument l’âme du tatouage ainsi que toute l’histoire qui l’entoure. Quand j’ai commencé il était question d’accéder au cœur et à ses origines. Ma maison est aujourd’hui pleine de vieilleries. Ma femme a une mentalité différente à ce sujet et elle ne comprend pas pourquoi j’en ai besoin. Mais pour moi, c’est comme une couverture qui me tiendrait chaud et me sécuriserait, tous ces objets me permettent de me sentir bien.

Comment est née cette idée d’ouvrir un musée?

Quand nous avons ouvert notre studio en 1997 avec Michelle, ce quartier était typique du vieux New York – avec des coffee shops, des bars,… Mais au fil des ans nous avons été poussés dehors à cause de la gentrification et nous avons déménagé ensuite pour nous installer ici, 7 blocks plus au sud. Nous savions que Chattham square était à côté et un jour nous avons pris conscience de l’importance de notre emplacement dans l’histoire du tatouage. Martin Hildebrandt a ouvert son premier studio vers 1858 à quelques blocks de Chattham square. Puis, c’est O’Reilly -le tatoueur dépose le premier brevet pour la machine à tatouer en 1891- qui est aussi venu s’installer. Nous sommes ici en plein dans le mythe du tatouage américain. Je me suis alors dit: « Pourquoi ne pas installer tout simplement quelques vitrines dans lesquelles nous exposerions une partie de ma collection ? »

C’est important pour toi de le partager ?

Tous ces objets ne représentent absolument rien si c’est pour les garder dans des caisses. La semaine dernière nous avons reçu la visite d’une classe de lycéens et, c’est… énorme ! Tu imagines? J’aurais fait ça il y a 20 ans je peux te garantir que cela n’aurait pas suscité autant d’intérêt qu’aujourd’hui, parce que le tatouage était encore regardé comme un truc de marginaux, même pas une forme d’art. Maintenant c’est un peu tout ce que tu veux, du « folk-art ou je ne sais quoi encore ». Michelle a fait une carte fantastique qui resitue les différents lieux où sont passés les personnages importants pendant les premières années pendant lesquelles s’est développé le tatouage à New York. Si Martin Hildebrandt n’est plus parmi nous il est toujours possible de se rendre là où il travaillait et de ressentir cette sensation propre à l’Histoire. Après 30 ans à collectionner tous ces objets, Michelle et moi nous sentons comme des sortes de gardiens, c’est devenu important pour nous de le partager.

Ce musée est-il voué à perdurer ?

Nous venons tout juste d’obtenir les statuts du musée et nous pouvons maintenant être regardés comme n’importe quelle autre institution. Parce que c’est ce que nous sommes vraiment. Beaucoup de ces objets en sont maintenant la propriété, ils sont protégés. Quand je serai mort, ils appartiendront entièrement au musée. Même si je ne suis pas un conservateur, tout est documenté, tout est archivé. Nous faisons notre maximum pour le faire le plus proprement possible. Il n’y a absolument aucune raison de donner ou de vendre cette collection à ce que la société considère comme un musée légitime. Je ne pense pas qu’il soit moins légitime pour moi d’appeler ceci un musée que le Metropolitan Museum of Art.

Au sein de la profession il y a des opinions très contrastées concernant ces grands musées qui organisent des expositions autour de la culture du tatouage. Qu’en penses-tu?

Je pense que c’est une très bonne chose. Par ailleurs n’est pas nouveau, il y en a déjà eu dans le passé. Je l’encourage parce que ce n’est rien d’autre qu’une façon de faire de la publicité, ce qui est bon pour tout le monde. A l’heure actuelle il y a plus de tatoueurs qu’il n’y en a jamais eu. D’un point de vue strictement commercial, tout le monde est gagnant. Le tatouage est là, ce n’est pas une mode, c’est trop permanent pour n’être qu’une tendance. Il a toujours trouvé sa place dans la société, même avant que la machine électrique apparaisse.

Quels objets ont une importance particulière à tes yeux ?

Chacun d’entre eux en a une. Mais évidemment le stylo d’Edison est sans doute l’un de mes plus chers. A cette époque, durant la révolution industrielle, de nombreuses choses ont été testées par des gens suffisamment intelligents et audacieux pour chercher de nouvelles techniques pour tatouer, plus rapides et plus efficaces. Je viens de Saint Louis, dans l’état du Missouri, et Bert Grimm avait un studio là-bas. C’est un personnage particulièrement important pour moi et là, sur ce mur, tu peux voir ce dessin de la « Danse du soleil ». C’est un original réalisé par Bert. Maintenant tu le vois sur le corps de beaucoup de gens. J’ai aussi un original du « Rock of ages » provenant du même studio, ainsi que l’original du « Jardin d’Eden ». J’ai aussi des pigments originaux dont se servait Bert.

Je reformule, quels sont ceux que tu aimes le plus ?

Les flashs de Samuel O’Reilly. Ils proviennent d’un recueil de ses dessins et il n’y en a qu’un seul de connu. J’ai aussi une peinture du tatoueur new-yorkais Lew « le Juif » Alberts. Je peux regarder tous ces objets et en retirer une stimulation visuelle. Je suis tout simplement chanceux d’avoir eu l’opportunité d’acquérir des objets significatifs qui racontent l’histoire de nos vies et de notre profession. Le tatouage est une forme d’art tellement profonde et puissante. Et c’est pour ça que je ne comprends pas ces poussiéreux conservateurs de musées qui siègent à l’administration de ces institutions culturelles, je ne comprends pas leur mentalité. C’est vrai non ? Existe-t-il quelque chose qui soit aussi permanent que ça et que tu puisses emmener partout? Cette œuvre va voyager avec toi et personne ne peut te l’enlever, même le Fisc n’y peut rien. C’est permanent et quand tu meurs cela disparaît. A moins que tu ne sois au Japon et que l’on fasse une lampe avec ta peau. http://www.daredeviltattoo.com/museum/