Nourri à la BD, arrivé dans le tattoo grâce à sa passion pour le dessin, le français Jérôme Crazycaps de Meaux, en région parisienne, s’éclate aujourd’hui à créer dans un style newschool coloré et fun, un répertoire de motifs peuplé de bestioles en tout genre.
Peux-tu nous parler un peu de ton parcours ?
Il est plutôt simple, j'ai un crayon dans les mains depuis que je suis tout gamin et dès que je m’ennuyais, je dessinais. Tout naturellement, cela m’a amené à passer un bac section arts appliqués avant de poursuivre sur un BTS, avorté, puis une licence d'histoire de l’art… avortée elle aussi avant la fin. Ce n'était vraiment pas pour moi ! Cela avait beau être passionnant, c’était sans intérêt pour mon avenir professionnel.
Tu disais avoir commencé à dessiner tout gosse.
Je recopiais les vignettes de bandes-dessinées que j'avais à la maison puis, progressivement, je me suis mis à inventer mes propres personnages. Au fil du temps, heureusement, mon approche du dessin a évolué mais j’ai toujours kiffé ce coté cartoon exagéré.
Quelles sont tes influences à l'époque?
La BD essentiellement mais aussi le dessin préparatoire qui sert pour les films d'animation, les jeux video… le character design de manière générale.
Comment arrives-tu au tattoo ?
J'avais fait à l’époque quelques dessins pour des potes qui se les étaient faits piquer. Je ne connaissais pas grand chose au tattoo mais j'ai voulu savoir ce que mes dessins valaient vraiment. Je suis donc allé dans un shop pas loin de chez moi, de façon à avoir l’avis d’un pro sur mon boulot (les potes sont gentils mais ne sont pas forcement les plus objectifs). Me voilà donc à présenter mes dessins à Katy, la tatoueuse du shop, avec qui j’ai un bon feeling. Elle me dit que mon taff est plutôt cool et me propose dans la foulée de faire des dessins pour ses clients.
Comment cela se passe ensuite ?
Je passe de plus en plus de mon temps libre au shop à poser plein de questions sur ce truc que je viens de découvrir. Cet intérêt ne passe pas inaperçu et quelques mois plus tard, Katy et son mec Alain, lui aussi tatoueur, me proposent de devenir leur apprenti. Gros kiff. C'était parti, je venais de trouver ce que je voulais faire et aujourd’hui je vais sur ma 10ème année de tattoo.
Il me semble que tu viens aussi du graffiti. Quelles difficultés rencontre un graffeur quand il se met au tattoo?
Effectivement, je suis passé par le graffiti pendant ma vie de jeune adulte. J'ai par contre toujours pris le temps de faire mes pièces dans des endroits posés, tranquilles. Le vandale ce n’était pas pour moi, je ne cours pas assez vite ! Je prends aussi ce temps dans le dessin, j’ai toujours été perfectionniste. Tout ça pour dire que la plus grosse difficulté que j'ai rencontrée n'était pas liée au graffiti mais au dessin de manière générale. Il fallait passer d'un support en 2D (les feuilles, les murs) à un support en volume, tout en faisant en sorte que cela reste efficace. Par exemple, dans le cas d’un bras complet, il faut que la lecture soit intéressante sur toutes les faces du bras, sans pour autant tomber dans le patchwork. Et puis le rapport avec le client, ça c’était un truc nouveau pour moi. Tu passes de ton délire solo avec des feutres ou tes bombes, à un échange avec quelqu’un. Mais c’est un partage génial.
De quelle façon tatouer a t-il fait évoluer ta manière de dessiner?
Je me suis rendu compte avec le temps que le vieillissement du tattoo était le plus important. Une fois compris ça, j’ai commencé à voir mes dessins en plus grand et j’ai laissé de côté les petits détails qui disparaissent avec les années. Les rencontres que j’ai faites m’ont aussi fait évoluer. Mes échanges avec des gens comme Steph D, Dimitri HK, Jesse Smith et même Amy Mymouse m’ont beaucoup appris beaucoup sur la manière d'appréhender les dessins et les compositions.
Le newschool c'est un style dans lequel glissent naturellement les graffeurs, comment cela s’est-il passé pour toi?
C'est vrai, pas mal de tatoueurs du newschool viennent du graffiti, comme Noka, Jamie Ris, Lehel, ou Victor Chill. Beaucoup de graffeurs sont aussi arrivés au tattoo par le travail de la lettre. Mais en ce qui me concerne c'est le coté exagéré qui me plait, aussi bien dans le graffiti que dans le newschool, avec des couleurs super saturées et des effets de perspectives qui se rapprochent de ceux du fish eye. Il y a dans ce style un vrai boulot de composition et de dynamisme que j'aime intégrer à mes tattoos. Il faut du mouvement.
Tu as d'autres pratiques artistiques ?
Plus trop dernièrement, je suis bien occupé avec les tattoos et les dessins de mes clients. Mais j'adorerais prendre le temps de tester le modelage et le travail en volume.
Qu'est ce qu'un bon tattoo pour toi?
C'est d'abord un bon placement, avec une bonne dynamique. Un beau tattoo mal placé est toujours moins bien que le même… super bien placé ! Passée cette étape, le travail de ligne est important, c'est un peu le squelette de ton tattoo. Avec une bonne structure, il n’y a plus qu’à le sublimer avec des couleurs.
Quels artistes regardes tu et pourquoi?
Je regarde énormément de character design. Ce sont des références fabuleuses pour tout ce qui a trait aux attitudes, aux postures, aux études de corps, à l’exagération des traits d'une personne ou d'un animal. Encore une fois, je recherche la dynamique. Je n'aime pas les éléments trop figés. Dans le tattoo, j’ai pris ma première claque en découvrant le taff de Steph D. J’ai alors compris que ce que je dessinais ne marcherait pas en tatouage. Puis, j’ai eu d’autres modèles et des tatoueurs comme Jimmy Lajnen, Olivier Juliand ou encore Ed Perdomo m’ont permis d’arriver là où je suis.
Ton univers est peuplé de bêbêtes….
Ouais grave, j'adore mettre en scène ces p'tites bestioles. Il y a déjà tellement d'ours de tigres, de lions dans le tattoo. Ce n’est pas que je n’aime pas les dessiner mais je me retrouve bien plus dans les plus petits animaux. C'est super fun je trouve d’humaniser des rats ou autres rongeurs. Ca m’éclate de leur donner des expressions, des attitudes.
Plutôt petite, moyenne ou grande pièce ?
Plutôt petite et moyenne pièce. J'aime qu’une session tattoo ait un début et une fin. C'est frustrant de s’arrêter pour finir plus tard. J’aime la satisfaction d’obtenir un rendu final dans la foulée. Et puis les grosses pièces nécessitent des compositions plus complexes qui me motivent moins.
L'Europe souhaite interdire certaines encres, qu’en penses-tu ?
On réagit mal c'est sûr. J’ai été pas mal dans le déni ces derniers temps mais il faut se rendre à l'évidence, cela va impacter énormément la scène européenne. Je ne me vois pas devoir dire à mes clients que j'adore bosser en couleur, mais que l'Europe en a décidé autrement. J'attends de voir comment ca va se passer et j'espère que les industriels vont trouver une alternative dans les prochains mois. En attendant, on croise les doigts. + IG : @jerome_crazycaps Studio Morbleu 9, rue Saint-Christophe 77 100 Meaux