Brutal, rentre-dedans, mêlant art brut, biomécanique et motifs industriels, le style de Yonah Krank est à l’image de son créateur : sauvage. Un chaos composé représentatif du rejet des normes du tatoueur belge de Ghent, pour qui, le tatouage est un formidable outil de liberté individuelle et d’exploration personnelle.
Peut-on revenir un peu sur ton parcours, comment es-tu devenu tatoueur ? De quelle(s) scène(s) es-tu issu ?
Comme tu peux probablement le voir dans mon travail, j'aime ce qui est fort et brutal, c'est pourquoi je viens de la contre-culture, des fêtes libres, des squats TeKnopunkerz (TeKno avec un K, très important)... J’ai passé des années à faire la fête, à jouer des sets live devant d'énormes sound systems. Des kilomètres ont été parcourus en Europe à voyager dans les Teknivals. Cette scène m'a également donné l'opportunité de devenir tatoueur et d'évoluer en tant que tel. Beaucoup de gens dans cette culture sont assez ouverts d'esprit pour aller dans l'extrême et dans toutes sortes de domaines, y compris le tatouage... Donc une fois de plus, je bénis la contre-culture. Mais tout cela s'est passé il y a presque dix ans et aujourd'hui je ne me considère actif dans aucune scène, pas même celle du tatouage. Pourquoi ? Pour être contre... Quoi d'autre ?! :)
L'esthétique de ton travail est violente, avec sutures, éraflures, déchirures. A quelle culture graphique te rattache-t-elle ?
Aussi longtemps que je me souvienne, j’ai trouvé l'art brut très attirant. Expressif et non poli. Tous les motifs et dessins que je tatoue sont conçus par moi-même, inspirés de tout ce qui m'entoure, de divers artistes et de substances...
Une énergie très primitive traverse les différents types de motifs que tu utilises. Comment créer quelque chose d'artistiquement satisfaisant à partir d'une esthétique du chaos ?
Question difficile. Il faut toujours garder à l'esprit qu'une chose peut être moins ou plus satisfaisante d’un individu à un autre. C'est très subjectif. Pour moi, il s'agit de trouver un bon équilibre entre les éléments dont je me sers... Je peux comprendre que mon travail puisse donner une impression de chaos, mais je pense qu'il n'est pas vraiment chaotique. C'est un chaos composé... ou quelque chose comme ça... Je ne sais pas vraiment... J'essaie juste de trouver une bonne composition entre des motifs, des rayures, un peu de noir, du rouge, des ombres ici, des points là et peu de peau laissée visible. Tu sais, tout est dans l'équilibre... Et surtout, dans le plaisir de créer. C'est là que se trouve la vraie satisfaction.... Et le résultat en sera l’expression.
As-tu quelques références ou artistes à mentionner ?
Yann Brenyak, H.R. Giger, Little Swastika, Gerhard Wiesbeck, Xed Le Head, bien d’autres.
Qu'est-ce qu'un bon tatouage selon toi ?
Tous les tatouages sont bons, même les mauvais, hahaha.
Tu as récemment dit dans un post sur Instagram : "Remember folks always FTW" (Souvenez-vous toujours les gars, que le monde aille se faire foutre). Rejet de la société, vie en marge, le tatouage représente-t-il encore cela malgré sa démocratisation ?
Oui, toujours.... Même si le tatouage est très démocratisé, il reste très personnel et individuel. Le rejet de la société a bien fonctionné pour moi, c'est pourquoi j’en fais la promotion. La société occidentale telle que nous la connaissons a tendance à mettre la pression sur les gens, à leur dicter de faire ceci et cela... La plupart de ces choses que vous n'avez pas vraiment envie de faire, mais que vous faites quand même par peur de... Cela peut être beaucoup de choses. Si tu dois faire ce qu'on te dit de faire il ne te reste plus beaucoup de temps pour toi-même, pour faire ce que tu veux. Le tatouage m'a donné l'occasion de briser les règles et les attentes de la société, de suivre ma propre voie, d'être mon propre patron et de faire ce que j'aime. Pour moi, pas pour quelqu'un d'autre que je ne connais même pas. Cela explique aussi pourquoi, je pense, le tatouage est si populaire de nos jours. De plus en plus de gens veulent être eux-mêmes, ne veulent plus écouter ce qu’on leur dit de faire. Ils veulent simplement être libres et s'exprimer davantage, se donner plus de force, de confiance. Le tatouage portera toujours un signe d’opposition à mes yeux.
Que rejettes-tu politiquement ?
La politique est le mot le plus ennuyeux de l'univers, alors je n’en gaspillerai pas à ce sujet.
Tu t’es fait récemment tatouer une bonne partie du visage. Comment l’appréhendes-tu ?
Je porte depuis un certain temps des tatouages sur le visage. J'ai d’ailleurs écrit un manifeste à ce sujet, le voici : "Une goutte de plus, bienvenue dans le monde libre, capitaine..." Les tatouages comme celui-ci ont tellement à offrir... Ils vous libèrent de toute la merde dont vous êtes entourés. Ils vous donnent plus d'espace pour vivre votre propre vie, de la manière dont vous souhaitez la vivre. Ils viennent avec un sentiment de maîtrise de soi, de connaissance et de respect de soi. Si vous êtes la bonne personne pour cela et que vous savez que cette décision n'influencera pas négativement votre vie, vous y gagnerez beaucoup. Vous vous sentirez plus confiant et plus connecté à votre véritable moi. Vous marcherez sur cette terre comme la personne que vous êtes censés être, celle que vous êtes vraiment. Ne pas tenir compte des normes de la société et des autres si vous souhaitez prendre cette décision rend libre. Elle ouvre des portes dont vous ne soupçonniez même pas l'existence tandis d'autres apparaissent... Ces portes donnent l’opportunité de se façonner et de grandir.
Tu es toi-même très tatoué, que portes-tu et de qui ?
Il y a trop d'artistes sur mon corps pour tous les mentionner mais je suis très reconnaissant pour chaque goutte d'encre. Merci pour l'aventure, merci à tous.
Tes amis dans ce milieu du tatouage sont par exemple Gerhard Wiesback, Shiva 108... à quelle tribu appartenez-vous ?
La tribu du blackwork est un petit monde de voyageurs et d’enthousiastes en pleine croissance.
Esprit tribal mais technique moderne. Tu utilises l’ordinateur ?
Pour le travail sur les modèles. Il y a beaucoup de travail à main levée aussi.
A quoi ressemble la scène du tatouage à Gand ?
Elle est grande et petite à la fois. Gand est une petite ville mais les gens d'ici aiment beaucoup les tatouages, alors voilà :) + Instagram : @yonah_krank Web : https://yonahkrank.com
