C’est dans sa ville natale de Perpignan que Fabien, alias Belly Button, artiste tatoueur, a installé son salon Le Belly Button Tattoo shop, il y a une quinzaine d’années. Son univers, mêlé de coups de pinceaux, projections, tâches d’encre et bombes de peinture côtoie une influence japonaise fleurie aux geishas très graphiques...C’est dans son ancien appartement que s’est établi son salon avec les résident·es Karas tattoo, Alicia de la Pécheresse et Black Bambi. Les guests y sont nombreux et venant de tous horizons et contrées lointaines. Ces belles rencontres autour du tatouage se sont d’ailleurs concrétisées par la création de la Aloha Tattoo Event en 2018, à Saint Cyprien, où Belly button a su s’entourer d’artistes de grand talent. La deuxième édition a eu lieu en septembre 2021 et a réuni 25 tatoueur·es dans une ambiance fleurie et festive qui lui ressemble : Belly Button, « un créateur de jolis tatouages sur la peau des gens gentils ».
Peux-tu nous expliquer ton pseudo ?
C'est venu d'une petite histoire quand j'avais 18 ans, époque à laquelle - il y a bien longtemps - quand tu te faisais piercer il fallait monter à Montpellier. Je me suis retrouvé face à un pierceur qui a fait tomber la boucle du fermoir dans mon nombril et qui m'a dit « c'est la quatrième dimension, j'arrive pas à le retrouver. », j'en ai fait une chanson un peu plus tard, qu'on a joué avec mon groupe de Garage de l'époque, « The Buttocks Fakirs », qui s'appelait my « Belly Button is the Twilight Zone ». J'ai commencé à signer mes dessins Belly Button : j’aimais bien ce principe de nom-prénom et puis ça changeait de Fabien tatouage !
Tu travailles uniquement en free hand, pourquoi préfères-tu cette technique à celle du stencil ?
Au début je travaillais parfois free hand parfois au calque , mais c'était plus pour prendre de l'assurance. Petit à petit c'est devenu élémentaire mais il n'y a pas vraiment d'école en tattoo, chacun fait un peu à sa sauce. Je me suis posé un peu et je me suis demandé de quelle manière je voulais exercer mon métier... Un dessinateur utilise une feuille, un peintre une toile, un tatoueur c'est la peau... Je dois avouer que je suis un peu psychorigide avec ça... Personnellement, je pense qu'un peintre qui utilise un rétroprojecteur a tendance à tricher. Je n'utilise pas de stencil, Photoshop ou de polices d'écriture tirées de Dafont, je préfère toujours le manuscrit : utiliser mes petites menottes, je trouve ça bien plus élémentaire même si ça limite parfois... J’ai choisi ce parti pris, ne travailler qu'à main levée même si parfois je me maudis.
Pourquoi te maudis-tu ?
Avec mes client.es, on se voit toujours la veille du tatouage, je dessine directement sur eux pour voir et le dessin émerge très facilement. Le lendemain, quand il faut refaire le dessin, tu n'es pas forcément dans la même énergie, le même état d'esprit...
Ton parcours aux Beaux-Arts a-t-il influencé ta manière de tatouer ?
J'ai étudié le Design aux Beaux-Arts et j'ai terminé par une maîtrise à l'école de Toulouse. J'étais déjà amoureux de tout ce qui était “accident graphique” en général, tâches, coups de crayon, l'esquisse, c'est un quelque chose qui m'a toujours attiré par l'énergie que ça procure. Dans le design tu as ce qu'on appelle le rough - l’épreuve - dont le principe est un dessin fait très rapidement mais qui demande beaucoup de technique et d'attention: il y a des accidents graphiques qui peuvent se former à ce moment-là. C'est ce qui m'a toujours intéressé, le fait de reproduire une énergie: j'ai ensuite essayé de reproduire cette ambiance sur la peau, alors que le tatouage implique un travail lent et minutieux, mais je me plais bien là-dedans.
Tu étais précurseur dans ce domaine, à réaliser ce type de rendu?
Il y a une sorte « d'école française » ou francophone, qui est partie dans cette direction alors que ça n'avait pas été exploité jusque-là. On doit beaucoup à Yann Black qui a su casser les règles… Des tatoueurs tels que Jef Palumbo, Léa Nahon ou encore Navette ont contribué à cette nouvelle école. Aujourd'hui ça s'est démocratisé et on peut retrouver des tatoueurs d'exception à travers le monde. Je suis content si j'ai pu contribuer d'une petite pierre à l'édifice du tatouage moderne et si ça a pu inspirer les gens, c’est chouette !
Peux-tu évoquer quelques artistes picturaux de référence ? Klimt t’a déjà inspiré, y’en a-t-il d’autres?
Il y a un peintre catalan qui s'appelle Tapiès qui a réalisé des œuvres très minimalistes : des jetés sur une toile avec une ambiance, des teintes qui me plaisent beaucoup. Pollock aussi avec ses all over, ses drippings, avec ses mouvements, cette vitesse. Sans dire que je les vénère, graphiquement parlant, je me retrouve dans cette mouvance-là, et je m’y sens bien.
Un.e client.e t’a -t- il ou elle déjà demandé de t’inspirer d’un.e artiste « pictural.e » renommé.e mais dont il ne te paraissait pas possible de te saisir ? (genre j’adore Jérôme Bosch , j’en voudrais un dans le dos mais par toi ;-))
Dans le principe, la reproduction ne m'intéresse pas vraiment. Je me rappelle d'une cliente qui m'avait contacté pour que je lui fasse un Van Gogh. La taille de son tatouage n'était pas propice à travailler autant de couleurs, il fallait vraiment une grande taille pour bénéficier de tous les rendus que l'on souhaite retranscrire. Je n'étais pas sûr que la pièce vieillisse bien dans le temps. J'apprécie plutôt l'ambiance que le fait de reproduire à proprement parler. J'ai réalisé quelques pièces reprenant le travail de Klimt parce que j'apprécie énormément le personnage et que je “re modèle à ma sauce”.
Il paraît que tu soudes tes aiguilles, c’est toujours le cas ?
J'ai appris à souder car l'époque à laquelle j'étais apprenti, on n’avait pas d’autre choix que de souder ... Mais dès que j'ai eu l'occasion d'avoir des aiguilles pré soudées, j'ai bondi dessus ! Je suis très pragmatique pour ne pas dire feignant. Je me complique déjà assez la vie avec le free hand …
Quelle particularité ce travail « en amont » apporte-t-il à ton tatouage ?
Ça va te permettre de créer des faisceaux d'aiguilles qui vont créer des textures différentes, C'est plus expérimental.
Quel type de tattoo te demande le plus de travail/rigueur, le figuratif ou l’abstrait ?
Finalement c'est l’abstrait, contrairement à ce que beaucoup de gens pourraient penser, qui demande beaucoup de travail. Retranscrire un mouvement, une énergie est loin d'être simple. Tu dois rentrer dans une bulle d'énergie qui est très très lente et plutôt complexe.
D’ailleurs, y’a-t-il des client.es qui veulent un projet avec toi mais qui ne parviennent pas à choisir leur « orientation » ?
Ça peut arriver d'avoir des clients qui me disent « fais ce que tu veux, j'adore ce que tu fais ! ». Je pars du principe qu'on crée une pièce ensemble : la personne va porter la pièce donc je n'ai pas la prétention d'amener un dessin tout fait. On partage des idées, on échange. La personne qui va trop me guider ne va pas y arriver et celle qui me laisse trop de liberté non plus ! J'explique des fois à mes clients qu'ils sont scénaristes et que je suis le réalisateur. C’est du partage, de l'échange et de la relation humaine. C'est un travail dans lequel il faut aimer l'humain, s'y intéresser et le comprendre. Si tu as la prétention ou l'arrogance de celui qui impose, j'aurais tendance à lui proposer de s'acheter une toile et de la peindre dans son coin... Les tattoos qui vont sortir du salon, j'en suis fier mais je suis là pour partager avec mon client.
Un certain nombre de tatoueurs et tatoueuses sont issu.es du street art, mais , sauf erreur de mapart, ce n’est pas ton cas, bien que la réalisation de tatouages avec un « effet bombe de peinture » fasse aussi partie de « ta marque de fabrique »… Comment expliques-tu que vous soyez si peu nombreux et nombreuses à parvenir à cet « effet » ?
Ça fait partie des choses qui m'intéressaient de retranscrire sur la peau et ça ouvrait un champ de possibilités qui relève encore de l'acte très instinctif et rapide. C'est un client qui m'a demandé un jour, « je vois ce que tu fais, est-ce que tu peux essayer un truc comme ça sur moi. » C’était avec plaisir même si j'avais beaucoup de pression, l'idée me plaisait carrément. C'est de l'observation : rester une demi-heure devant un tag et comprendre comment ça fonctionne...
-Tu voyages beaucoup (hors période covid of course !), il y a des pays, villes, rencontres qui t’ont particulièrement influencés à l’étranger ?
À chaque fois que je bouge j'en prends plein les yeux. Quand je vais travailler chez quelqu'un.e c'est aussi que j'apprécie son travail . Le côté humain est forcément formidable, mais j'ai aussi vraiment rencontré des gens qui avaient envie de partager, de rencontrer, de savoir comment je travaillais. Le genre de partage assez élémentaire et qui fait du bien. Le voyage m'a apporté de belles rencontres et beaucoup de gens sont devenus des amis. Ça me fait toujours rebondir, ça joue sur mon travail.