Menuisier de formation, c’est finalement en tant que tatoueur que le Lyonnais Florian aka « Strange Dust » a donné forme à son univers sombre. Peuplé d’animaux sauvages et étranges, les bêtes effrayantes auxquelles il donne vie sur la peau semblent sortir d’une inspiration sans limite. En poursuivant l’exploration de ce monde sans couleur, Strange Dust entretient également la flamme d’une « école du noir », celle-ci connaissant ces dernières années une redoutable popularité, et tout particulièrement à Lyon, la plus occulte des villes françaises.
Peut-on revenir sur ton parcours professionnel qui, si j’ai bien compris, n’a rien à voir avec le tatouage?
J’ai choisi très tôt de travailler avec mes mains et à 18 ans j’ai débuté en menuiserie. Je voulais faire des meubles, un peu kitsch et baroque, créer des choses. J’aimais l’aspect créatif et artistique du métier. Malheureusement, des objets faits sur mesure comme ceux-là sont toujours très chers et j’ai réalisé que les choses étaient plus difficiles que je ne le pensais… jusqu’à ce qu’Ikea arrive et enterre toute perspective d’avenir. Cette profession est en train de mourir. A partir de ce constat, j’ai donc décidé de changer.
Tu dessinais à l’époque ?
Je l’ai toujours fait. Une des motivations que j’avais pour étudier la menuiserie se trouvait dans les six ou sept heures hebdomadaires consacrées à l’apprentissage du dessin. Après les meubles, je suis passé à la sculpture sur bois. J’aime ce matériau pour son aspect définitif, une fois travaillé il n’est pas possible de revenir en arrière. Je pensais faire plus de création mais, une fois de plus, j’ai réalisé que c’était encore trop contraignant, j’avais besoin de dessiner et de m’exprimer. J’ai alors fait une pause de quatre années et j’ai survécu en faisant des petits boulots. Cela m’a laissé le temps de réfléchir, jusqu’à ce que je réalise un matin que je n’avais qu’une seule vie. Et à 23 ans, je suis retourné à mes études.
Des études de dessin ?
Oui, à l’école Emile Cohl, une des meilleures écoles de dessin à Lyon. C’était un rêve pour moi d’y entrer, que j’avais depuis l’enfance. Ils venaient juste d’ouvrir une nouvelle section, orientée sur le street-art, pour des étudiants souhaitant devenir muralistes et faire de grandes fresques sur des immeubles. J’ai fait trois ans là-bas, pendant lesquelles j’ai étudié l’hyperréalisme et le trompe-l’œil (une technique artistique qui utilise une imagerie réaliste afin de créer l’illusion optique que les sujets représentés existent en trois dimensions, ndr).
Quels souvenirs gardes-tu de ces années d’études ?
Ce n’était pas mon style, moi j’étais plutôt dans les comics américains, les auteurs avec une approche très personnelle, comme Mike Mignola pour sa série Hellboy. Plus tard, j’ai apprécié des approches plus libres et pour mon diplôme je me souviens avoir fait un projet sur la « Bête du Lyonnais », très similaire à la « Bête du Gévaudan » (histoire française célèbre au sujet d’une bête mystérieuse dévorant les humains entre 1764 et 1767 en Auvergne, ndr) mais qui aurait existé avant et dont personne ne connaît l’existence.
Quels étaient tes objectifs quand tu as rejoint cette école de dessin ?
Je voulais acquérir les outils adéquats pour faire mon truc. Dans ma tête, les choses ont toujours été claires. Quoi qu’il puisse arriver, même si je devais composer avec des petits boulots, je voulais développer mon style et mon univers sombre. J’étais très déterminé à atteindre cet objectif. Après les cours, j’y passais mes soirées jusqu’à deux heures du matin. C’était viscéral, même si je n’étais pas très ambitieux. Mon rêve était de faire du concept-art, pour des jeux vidéos ou des films…
Comment le tatouage entre dans ton parcours ?
Pendant ma dernière année à l’école, j’ai eu la chance de travailler les week-ends comme apprenti dans un shop de tatouage à Lyon, Small Tattoo. Cela fait maintenant cinq ans que je suis tatoueur professionnel. Le tatouage m’a toujours attiré. Il faisait partie de mon univers, dans lequel se retrouvaient la musique metal, la culture gothique… les gens autour de moi en avait. Mais j’ai vraiment accroché grâce aux réseaux sociaux. J’ai soudain découvert des choses très différentes et des styles plus personnels, qui n’avaient rien à voir avec les styles traditionnels du tatouage : le japonais, l’old-school américain, le tribal, etc. J’aimais beaucoup la gravure à l’époque – c’est ma première inspiration graphique- et le style devenait populaire. J’ai alors réalisé qu’il était possible de le faire et décidé de m’y essayer à mon tour.
Comment s’est passée l’adaptation entre ton dessin et la technique du tatouage?
Mon dessin n’était pas fait pour le tatouage : trop fin, trop petit, j’ai donc du l’adapter au support de la peau. Cela m’a pris un certain temps avant de trouver l’équilibre. Je regardais beaucoup le travail de la Française Maud Dardeau (tatoueuse à Bordeaux, ndr). Je n’avais jamais vu ça auparavant. Puis, j’ai évolué vers quelque chose de plus illustratif, ce que je fais aujourd’hui.
Comment as-tu glissé vers ce côté plus illustratif ?
J’en ai eu marre de faire des lignes et des points, je voulais essayer d’autres techniques, maîtriser les ombrages, etc. Mais pour m’en servir, j’ai compris qu’il fallait que je fasse des dessins plus compliqués.
Pourquoi choisir de travailler uniquement en noir ?
A l’époque, quand j’ai commencé, il n’y avait pas beaucoup d’œuvres au noir. C’est venu ensuite sous l’influence d’artistes comme Jean-Luc Navette (illustrateur et tatoueur français, de Lyon). Mais j’aimais ça ! J’ai toujours eu dans mes dessins cette obsession du noir parfait. Je voulais qu’il soit le plus profond possible, avec des nuances de textures. J’ai tout testé pour y arriver : l’encre de Chine, la peinture, etc., jusqu’à ce que je réalise comment y parvenir, avec mes crayons de couleurs et un vernis. Cela donnait plus de nuances dans mes lignes et des formes plus diversifiées. Sur la peau, le noir semble quelque chose de facile à faire, mais c’est en fait le plus difficile. Aujourd’hui je suis malgré tout satisfait des résultats obtenus.
Le monde animal est une source d’inspiration très forte pour toi.
Oui, j’ai toujours eu de meilleurs rapports avec les animaux qu’avec les humains. J’aime apporter une touche humaine à mes animaux, que ce soit dans leur morphologie, leurs yeux, etc. Quand j’habitais à la campagne, j’avais l’habitude de passer la majeure partie de mon temps avec eux. C’est de cette période que vient mon amour des créatures, du folklore européen, des histoires de vampires et des loups garous. J’aime particulièrement les chauves-souris, les mille-pattes. Je suis fasciné par les insectes en général. Ils n’ont pas beaucoup à envier aux humains, bien que nous pensions être plus évolués.
Quelles autres références sont une source d’inspiration importante ?
Des films comme Alien, que mon père m’a laissé regarder quand j’avais 6 ans, le Dracula de Coppola… J’adore David Cronenberg aussi, le film La Mouche tout particulièrement. Cela me rend triste mais j’aime la mélancolie. Je suis très pessimiste de nature et je pense que cela m’aide à la supporter. J’adore Existenz, Le Festin Nu… Les films de Christopher Nolan aussi. J’ai été beaucoup ému par le folklore comme celui de Dracula, j’étais à fond dedans quand j’étais jeune. J’aimais la culture gothique, les loups garous, les vampires…. J’ai tout vu et tout lu sur le sujet ! (rires). C’est vraiment ma culture, celle dans laquelle j’ai grandi.
Une « école du noir », qui n’est plus aujourd’hui uniquement restreinte aux fans de metal et aux gothiques s’est développée ces dernières années, comment l’expliques-tu ?
Cela me fait très plaisir. Il y a quelques années, les gens nous regardaient de manière étrange mais maintenant, mes clients se sont ouverts à ce genre de choses. Parfois, je me demande même : « Mais qu’est-ce qu’ils font ? » (rires). Il y a des mélanges intéressants en ce moment, dans la culture hip-hop, le monde du street-wear et de la street-culture en général, ces univers se rapprochent de la culture dark qui elle-même est plus visibles avec encore plus de tatouages dark, des trucs bizarres.
Même si tu aimes comme tu le disais dessiner avec des crayons de couleurs et travailler de façon très traditionnelle, tu utilises aussi les outils modernes comme la tablette graphique. Comment les associes-tu ?
J’étais très réticent au début, comme beaucoup d’entre nous, mais j’ai complètement changé d’avis. J’ai commencé à me servir d’une Cintiq de Wacom. A l’époque, les gens me riaient au nez mais j’ai remarqué que maintenant la plupart d’entre eux en sont équipés. Je travaille depuis sur iPad pro, un super outil. C’est vrai que cela permet à plus de gens de « tricher », mais personnellement, j’ai l’impression de travailler sur une feuille de papier. Je dessine de la même manière. Bien sûr, cela a moins de charme qu’un outil traditionnel mais je pense que c’est important pour notre génération de maîtriser ces nouvelles évolutions technologiques. Je considère le logiciel comme un outil de production, qui me permet de réaliser des prints et ce genre de choses. Dans le tatouage, il permet d’expérimenter, d’intervenir instantanément et de façon très intuitive. Cela permet aussi aux clients de pré visualiser leurs projets. Ceci étant dit, cela ne fait pas tout et il est important de conserver la relation avec la manière traditionnelle.
Comment vois-tu ton travail évoluer dans le temps ?
Je voudrais le rendre plus complexe, avec des compositions plus élaborées. J’étais satisfait jusque là de leur simplicité afin de me faire la main mais je commence à m’ennuyer. La prochaine étape sera plus ambitieuse, avec plus de symbolique et de références occultes, dans lesquelles les gens seront capables de se retrouver. J’aimerais aussi me rapprocher d’influences comme l’artiste suisse HR Giger, plus organiques et vivantes. Mais, pour l’instant, mon dessin est encore un peu trop raide.
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