A l’écart de la folie tokyoïte, situé dans un quartier résidentiel, le studio de En – aka Horizaru- est l’un des rares dans la capitale a avoir pignon sur rue. A l’intérieur, dans une atmosphère cosy et distinguée, le tatoueur japonais revient sur son parcours atypique commencé il y déjà une vingtaine d’années et nous raconte pourquoi son style en fait bien la synthèse, entre influences étrangères et culture japonaise.
Tu me parlais d’un moment clef dans ton histoire avec le tatouage, peux-tu revenir dessus?
En 2000 s’est tenue la seconde édition de la Convention de Tokyo, dans le quartier d’Ebisu. Cet événement a été un véritable choc pour moi. Beaucoup d’artistes sont venus du monde entier (Filip Leu, Henning Jorgensen, Lal Hardy, George Bone…) et cela m’a fourni l’occasion de les observer tatouer. La qualité de leur travail était impressionnante et celle de Filip Leu m’a tout particulièrement fascinée.
Quelles conséquences cette rencontre a-t-elle eue?
A l’époque j’avais déjà décidé de devenir tatoueur. Je dessinais mais je n’avais pas encore de machine et très peu de contact avec ce milieu. Mes parents étaient fonctionnaires et aucun de mes amis n’était tatoué. Je me suis dit qu’il serait judicieux de prendre des conseils de Filip Leu pendant son séjour à Tokyo. Je suis allé le voir à son booth. Il était tellement populaire. Une foule était regroupée autour de lui pour l’observer. Malgré tout, avant de partir, j’ai pu passer mon book à son épouse. Et le lendemain, une fois de retour, il m’a fait asseoir à côté de lui, m’offrant la chance de pouvoir l’observer une journée entière. J’ai été surpris par la facilité et la fluidité avec laquelle il manipulait sa machine. Je me suis dit alors que c’était un métier facile ! J’étais bien naïf.
Que s’est-il passé ensuite?
Je suis reparti avec une grande motivation. J’allais devenir l’artiste tatoueur que je souhaitais. Et puis, Filip Leu avait apprécié mon travail et je me souviens en avoir tiré un sentiment de supériorité. Mais, j’ai déchanté quelques années plus tard quand je suis allé en Suisse me faire tatouer par lui… il ne se souvenait plus de moi !
Comment se passe ensuite ta formation ?
J’ai appris tout seul. Quand je me faisais tatouer j’en profitais pour demander des informations. A Tokyo, je suis allé voir Kishi san de 56 Tattoo, Carlos de Tattoo Church, mais aussi en Europe Shad de Bruxelles, Mick en Suisse… M.Kishi m’a beaucoup aidé. Sinon, j’ai eu peu de contacts sincères avec des tatoueurs. Sans doute parce qu’au Japon, le tatouage est un monde qui conserve son savoir à l’intérieur du groupe. Les étrangers ont eux été plus francs et m’ont aidé à progresser.
Tu as suivi des études d’art ?
Oui, j’ai fait mes études à l’Université d’art d’Osaka, avec une spécialisation en art audiovisuel (cinéma, réalisation …). Mais je n’étais pas très assidu et je n’y ai pas vraiment appris à dessiner - c’était pourtant quelque chose que j’aimais faire. Avant d’entrer à l’université, je voulais aller vers un métier de création mais je savais que devenir peintre ou illustrateur était une voie étroite et difficile. J’ai ensuite travaillé dans une société de production publicitaire, à Tokyo, et c’est là que j’ai eu l’occasion de voir des images de tatouages. Je les ai trouvés très beaux.
Quand commences-tu à tatouer?
En 2003. Je travaillais dans un petit appartement, tatouant des amis ainsi que leurs amis. Je faisais de tout, sans orientation spécifique. C’était difficile. J’avais très peu de contact avec le milieu mais je voulais progresser. En 2005, j’ai été invité par la convention de Salt Lake City aux Etats-Unis et là-bas j’ai rencontré plusieurs tatoueurs américains qui m’ont donné des informations sur le matériel et des conseils techniques pour tatouer.
Tu as conservé cette polyvalence dans ton travail, pourquoi ?
C’est non seulement important, c’est nécessaire. Contrairement aux artistes de l’irezumi qui s’en tiennent à l’approfondissement de la technique et des références culturelles, j’aime travailler avec de la variété. J’aime le tatouage dans son ensemble et quel que soit le style. Aujourd’hui la population des tatoueurs est cependant très divisée et certains se spécialisent dans le tatouage tribal, d’autres dans le biomécanique, l’abstrait… Mais j’ai du mal à comprendre. Je me demande pourquoi ils répètent toujours la même chose ?
Comment travailles-tu pour répondre aux demandes de tes clients ?
Je reçois par exemple beaucoup de demandes pour des représentations de geisha. Je propose ainsi trois types : le premier, celui d’une geisha de l’époque d’Edo qui, pour moi, est la représentation la plus exacte que seuls les passionnés d’estampes peuvent reconnaître. Dans ce cas, je m’inspire des œuvres de Kuniyoshi, de Toyokuni et de Eisen. Si la personne n’est pas satisfaite j’en propose alors une autre, plus moderne, faite à l’époque de Meiji. Si mon client préfère les femmes encore plus modernes et plus pop, je vais chercher dans les représentations qui en ont été faites dans le style américain, comme celles de Sailor Jerry. Ces trois points représentent bien le cadre des références dans lesquelles s’inscrit mon style.
Comment l’as-tu développé?
Je mélange une inspiration ukiyo-e et mon goût pour le tatouage old-school. Il y a des points communs entre les style traditionnels japonais et américain : quelques couleurs seulement, avec particulièrement du noir et du rouge. Je trouve aussi des similitudes entre la peinture traditionnelle japonaise et le tatouage US. Tous les deux se caractérisent par des contours très nets et des contrastes de couleurs forts. Les peintures européennes se distinguent elles par les couleurs et le travail sur les ombres.
La culture pop est aussi une influence très présente…
Mon tatouage reflète ma personnalité. Ce que je fais est une sorte de mélange avec la culture moderne. Oui mon tatouage est pop et c’est un style que j’aime bien, il vient naturellement. Je suis convaincu que c’est un principe qu’il faut suivre. Quand on essaie de sortir du naturel cela a peu de chances d’aboutir. Je ne pense pas être par exemple très bon pour faire du morbide ou de l’horreur, cela ne viendrait pas de moi. Je pense qu’un oeil averti est capable de dire si un tatouage a été réalisé par une femme, un homme, un voyou, etc.
Quelles sont tes influences ?
La culture japonaise, l’art japonais, la nature japonaise, la cuisine japonaise… Je trouve toutes les périodes de l’histoire du Japon intéressantes. J’aime en particulier l’ambiance de l’époque Meiji, juste après l’ouverture du Japon au reste du monde, quand le pays importait beaucoup d’objets du monde extérieur et se les réappropriait. J’aimerais faire quelque chose d’assez pop tout en restant cohérent avec l’histoire japonaise. Contact : Horizaru Tattoo : Address: 1-19-8 Tabata Kitaku Tokyo, Japan 114-0014 Website: www.horizaru.com Email: mail@horizaru.com IG: www.instagram.com/en_horizaru/