Entré par le graffiti dans le tattoo, le tatoueur de Lyon Noka a progressivement quitté son orientation newschool pour s’investir totalement dans la culture japonaise. Son style néo-jap, sans chercher à singer l’irezumi, s’inscrit dans une veine moderne nourrit en partie des codes du traditionnel… ainsi que d’une bonne dose de BD.
Ca fait un moment que tu es dans le circuit, où en es-tu aujourd’hui Noka ?
Eh bien, je travaille à Lyon, chez Blossom Tattoo, qui est ouvert depuis un peu plus de 10 ans maintenant. C’est Vincent (Holy Tiger) qui en est à l’origine, même s’il n’est plus avec nous aujourd’hui et qu’il nous a refilé son petit bébé. Je bosse avec Morgane, Johnathan et Romain, le dernier arrivé, l’apprenti – ça fait un peu plus de deux ans qu’il est là. Tout se passe bien, il y a du taf et on se marre bien.
Qu’est-ce qu’on fait comme tattoo chez Blossom ?
Chacun a un peu son petit univers. En ce qui me concerne je fais plutôt du japonais/néo-japonais, comme John. Morgane fait un tatouage plus illustratif, type gravure, en noir et blanc et Romain du trad américain, un peu à la manière Italienne. J’entends par là une approche plus fine et moins brutale que son pendant US. Mais, je me trompe peut-être puisque ce n’est pas trop mon univers.
Le trad, en Japonais, n’est pas celui que tu travailles ?
Effectivement. Je le regarde beaucoup par contre et m’en inspire, tout en essayant de garder mon petit univers à moi et non pas de me contenter de reproduire des motifs repris à partir des estampes japonaises. Je n’ai pas envie de faire du copier-coller de choses qui existent déjà ; comme cela se fait beaucoup dans le trad américain par exemple, ce que j’observe par l’intermédiaire de Romain. Dans le trad US on reprend des classiques faits par les anciens pour les reproduire à l’identique, en ajoutant presque la référence de son auteur dans la description… Pas dans le tattoo, soyons clairs ?! Dans le jap, pour certains il s’agit plutôt de reprendre des motifs d’estampe, de les recaler avant de s’occuper des fonds, des nuages pour que morphologiquement ça marche. Mais, en ce qui me concerne j’ai commencé chez Dimitri HK (tatoueur à Saint Germaine en Laye en région parisienne) et je viens du graffiti, donc inévitablement j’apporte toujours à mes tattoos une touche moderne. J’entends concernant mon travail qu’il s’agit de néo-jap et ça me va…
Tu parlais de ton petit univers, comment le qualifierais-tu ?
Inspiration asiatique, japonaise, et colorée parce que j’aime bien bosser la couleur. J’essaie de faire un truc un peu pêchu, de créer une dynamique. J’aime que ça bouge. Je fais pas mal de grosses pièces, des bras, des dos, pas encore de body - malheureusement, un jour peut-être…- et j’aime les penser en une fois de façon à ce qu’elle raconte quelque chose. J’évite l’effet éparpillement de motifs reliés par un fond. Ma culture du Japon n’est pas suffisamment pointue pour connaître les codes de composition qui me permettraient de faire du trad – enfin, pour autant qu’il y en ait vraiment, il semble qu’il y ait plusieurs interprétations - donc je me concentre pour que ce soit joli et que ça fonctionne graphiquement. Par contre, je ne mélange pas. Pas de Polynésien dans du japonais par exemple, du manga ou du cartoon.
Ton tatouage est aussi nourrit d’une forte inspiration BD…
Oui, complètement. Encore une fois, je viens du graffiti, j’en fais depuis que j’ai 12-13 ans et j’adore la BD. Inévitablement dans mon tattoo va se glisser un côté cartoon … que j’essaie malgré tout de contenir.
Les dessins-animé, les films d’animation aussi ?
Ah oui, ça me branchait bien l’animation, je voulais faire du dessin animé avant d’être tatoueur. Mais bon, les écoles c’est trop cher, il fallait faire des mises à niveau, ça me saoulait… Donc je ne l’ai pas fait. Et puis j’ai des potes qui ont bossé là-dedans et je ne regrette pas. Si tu n’est pas un tueur, tu galères, tu restes une petite main. Mais je regarde plein de trucs, les Disney, les Pixar, les Myazaki, des dessins-animés plus indépendants, Amer Béton…
C’est grâce au tatouage que ton dessin s’est amélioré?
Oui. Chez Dimitri HK il fallait clairement charbonner, je n’avais donc pas d’autres choix que de dessiner. Forcément, au bout d’un moment ça rentre et tu progresses. Mais, pour progresser il faut rester curieux et garder un œil critique. Essayer de faire mieux, c’est le minimum pour ne pas tourner en rond. A l’époque, quand j’ai commencé le tattoo, je devais avoir 20-23 ans, j’étais à fond dans le graffiti et je n’avais aucune culture tattoo. J’aurais aimé pouvoir le transposer. Mais en arrivant chez Dimitri je me suis ouvert à une culture de dingue, tout le monde connaissait plein de trucs, avait un avis. Je me suis senti teubé, mais j’en ai pris plein les yeux. J’ai adoré,
Naturellement, en tant que graffeur tu as glissé dans le style new-school.
C’était la suite logique, à mort. Et puis chez Dimitri travaillait Steph D et lui aussi faisait du new-school, je baignais à fond là-dedans. Mais comme il y avait une grosse demande japonaise, je me suis retrouvé à le faire et de fil en aiguille je suis allé creuser dans le japon, ce qui se faisait, pourquoi, les noms. J’ai essayé de comprendre l’histoire, le fond pour trouver des associations et ne pas tout mélanger. Ca m’a passionné.
On retrouve un peu ce que tu disais sur le néo-jap : un œil sur le tradi mais en même temps moderne. Cela résume ta touche personnelle ?
Un petit côté graffiti, une part de BD dans un univers codifié que j’essaie de transformer avec une touche moderne. Avant, je faisais beaucoup de dégradés, de détails, j’utilisais une grande variété de couleurs, mais j’ai levé le pied afin de privilégier la durée de vie des tattoos. J’essaie d’aller plus à l’essentiel. Je tourne avec une gamme de couleurs relativement désaturée. Les couleurs flashy font vite penser aux tattoo des années 1990, ce que je n’aime pas trop, c’est daté. J’essaie de prendre des couleurs plus pastel, coupées avec des gris. J’aime que le tattoo soit bien contrasté pour qu’il vieillisse bien.
Quel plaisir prends-tu à naviguer dans la culture japonaise ?
L’imagerie est dingue, l’iconographie super riche, avec des choses très différentes. Impossible d’en faire rapidement le tour. Et puis je trouve ça beau, c’est intéressant et surtout intemporel. Ces tattoos vieillissent bien dans le temps. Même s’ils ont été faits il y a 20 ans ou plus, ils restent d’actu, cool. C’est solide. Quand je m’y suis mis, ça m’a un peu mis des œillères. Je n’avais plus envie d’aller voir d’autres choses. C’est là que j’ai abandonné le newskool, parce que les demandes et les idées ne me plaisaient plus : les petits chats, les gamins des clients sur les balançoires, les trucs gnan-gnan et cul-cul à dessiner, j’en ai eu marre. En newskool j’aime bien faire des trucs vénère ou débile, je voulais des projets un peu thugs. Même dans le Jap, si tu me demandes une branche de cerisier avec un petit oiseau mignon, je vais le faire, parce que je suis tatoueur et que je ne vais pas refuser la terre entière ; je trouverais ça prétentieux. Mais j’y prendrai moins de plaisir que si je devais faire un tigre ou un Oni qui va déchirer une carpe. Je pourrais aller plus loin dans le vénère mais les gens ne veulent pas porter des trucs trop thrash… J’adore pourtant faire des têtes coupées. Après, il faudrait que je fasse des flashs, mais je suis trop fainéant pour ça… Quand j’ai du temps libre, je ne fais rien… Je peux sans problème faire des journées Netflix. Pendant le confinement je me suis fait les quatre saisons de la série espagnole « Casa de Papel », du matin au soir. C’était pourri. Après je culpabilise… mais j’aime bien le faire. Sinon je fais du vélo, je vois mes potes, je bois des coups, je graffe, je me balade…
Quelles sont tes références en terme de culture japonaise ?
J’aime Kuniyoshi, j’adore Kyosaï, Hokusaï forcément, Kunisada aussi. En tattoo, parmi les Français je kiffe Alix Ge, Darumanu, Keuns, Boss, Yom, Sacha… Après cela dépend des périodes et du fil Instagram, mais j’aime Filip Leu, Luke Atkinson, Johan Svahn, Marode et Kostas Tzigaliagas, qui m’a fait mon dos.
Plutôt petites, moyennes, grandes pièces ?
J’aimerais bien faire plus de petites pièces, pour avoir le plaisir de commencer et de terminer en une fois. Je devrais faire plus de flashs, on m’en demande, mais encore une fois, soit j’ai la flemme, soit je n’ai pas d’idée. Je vais griffonner plein de trucs sans jamais les terminer parce que je ne suis jamais content. En fait j’attends d’avoir la putain d’idée de ouf qui va trop bien marcher. Je cherche, je fais des dessins, mais après quelques semaines ils ne me satisfont plus. Et au final je ne fais rien.
Parlons de tes tatouages. Kostas t’a fait le dos et Dimitri HK le bras c’est bien ça ?
J’ai mis pas mal d’années avant de me décider. Je voulais une grosse tête dans le dos et j’aimais bien le Kappala (coupe faite à partir d’un crâne humain en forme de récipient). Kostas c’est un peu son truc, le master je trouve même. Il était venu tatouer en guest ici et il avait déjà fait le dos de John ainsi que celui de Zeyo. En ce qui concerne le bras c’est effectivement Dimitri avec une compo sur le graffiti. On y retrouve un grillage avec un graff en-dessous duquel est marqué « A vos chromes », mon crew ; il y a une pince monseigneur avec un contrôleur qui se fait éclater par un train, un petit gris, le petit train de la gare Saint-Lazare ; là un bull-terrier avec une bombe dans la gueule et une petite référence à Vaughn Bodē de Cheech Wizard, un illustrateur américain des années 1970 (décédé depuis) dont les perso ont été vachement repris par les graffeurs, à New-York mais aussi en France plus tard, les toits de Paris. Et dans le masque… C’est moi ! (rires). + IG : @nokatattoo IG shop : @blossomtattoocollective