Le photographe néerlandais Ronin de Goede livre dans son dernier livre “Asakusa” le fruit de son expérience photographique inédite vécue à Tokyo dans le milieu du tatouage japonais, entre le studio d’un grand maître, le plus grand festival de rue annuel de la ville et un groupe de yakuza.
Comment commence l'histoire de ce livre ?
Avant de découvrir Horikazu Sensei, je connaissais déjà le monde du tatouage traditionnel japonais « wabori » grâce à mes amis : Horimyo, un jeune maître de la préfecture de Saitama et, des années plus tard, Marco Bratt, un tatoueur néerlandais spécialisé dans le japonais. C'est Marco qui m'a présenté Horikazu, qui à l'époque s'appelait Horikazuwaka. Plus tard, lorsque j'ai été invité à travailler sur la 2e édition révisée de "A history of Japanese Body-Suit Tattooing" de Mark Poysden et Marco Bratt, j'ai commencé à visiter le Japon plus souvent et me suis activement engagé dans la photographie de la clientèle du maître. Pour ce projet, j'ai principalement utilisé la photographie numérique. Néanmoins, j’ai toujours emmené avec moi des petites caméras analogiques, créant lentement un journal visuel personnel de mes aventures japonaises. C'est la sélection de ces clichés fortuits du quartier, du festival Sanja et des rencontres avec les gens qui est devenue la base de mon livre « Asakusa ».
Quel regard portiez-vous sur la culture du tatouage au Japon avant cette aventure et comment a-t-elle changé après cela ?
Avant ma visite au Japon, je n'étais pas très intéressé par la culture du tatouage. Travailler au Japon et être initié à de nombreux « horishi » m'a rendu plus curieux de la culture, des compétences et du respect de la tradition.
Pourquoi avoir choisi le nom d’un quartier de Tokyo comme titre pour ce livre ?
Le tatouage traditionnel japonais (à la fois historiquement et jusqu'à nos jours) est intégré à Shitamachi Tokyo, en particulier dans le quartier d'Asakusa, où résident de nombreux «horishi». Je suis tombé amoureux du quartier, des bains publics et de l'esprit du vieil Edo, qui respire encore dans le contexte d'un Tokyo moderne en constante évolution.
Photographier ne s’est pas fait immédiatement, il semble que vous deviez faire vos preuves auprès du tatoueur Horikazu, d'une manière ou d'une autre. Pouvez-vous nous en parler.
Au début, ce n'était pas toujours facile. J'ai regardé des heures de sessions de « tebori » (le tatouage à la main) avant de pouvoir commencer activement à prendre des photos. Je restais toujours au domicile ou dans l'atelier du maître qui nous gardait étroitement ensemble : pour travailler, manger, prendre un bain et dormir. Après le travail, j'ai rencontré ses amis et sa famille et peu à peu ma présence est devenue naturelle, ce qui a donné lieu à des amitiés importantes.
Horikazu est un maître respecté, de deuxième génération – son père Horikzau, il portait le même nom, était lui-même tatoueur. Quelles ont été vos relations avec lui ?
Malheureusement, je n'ai jamais pu rencontrer Horikazu Shodai (le premier, le père) en personne : son état de santé était trop mauvais. En attendant, mon amitié avec son fils a toujours été spéciale. Le travail et le style du père et du fils sont exceptionnels et uniques dans le monde du tatouage traditionnel. Cela a toujours été un honneur de suivre maître Horikazu, voir son travail et ses méthodes de l'intérieur comme de le connaître personnellement. (A noter que tous les tatouages dans les images de Ronin ne sont pas des oeuvres d'Horikazu, ndlr).
Votre livre remplace la culture du tatouage chez les yakuza mais les lois anti-gang des années 1990 ont eu pour effet de réduire leur nombre et de leur faire progressivement abandonner des signes distinctifs comme le tatouage pour se fondre dans la société. Les tatouages sont-ils toujours populaires auprès de ces hommes ?
Toutes les personnes dans mon livre ne sont pas des yakuzas ou ne s'identifient pas ouvertement comme tels. À mon avis, dans la région de Shitamachi, l’"horimono" est toujours très populaire parmi les membres, il pourrait l'être moins dans d'autres parties du Japon.
Avez-vous une idée de la proportion de yakuza parmi les clients d'Horikazu ?
Je ne suis pas non plus en mesure de présenter des statistiques crédibles concernant les clients du maître et je ne les ai pas tous rencontrés (et il y en a beaucoup !). Ce que je sais, c'est que tous les clients traitent toujours le maître avec un grand respect. Certains clients ont le privilège de recevoir leurs séances de tebori dans le sanctuaire de leur propre maison. Ce sont les visites que j'ai toujours aimé photographier.
Quel est le rapport au tatouage pour ces hommes ? Est-ce une obligation, une mode, une relation intime et sincère ?
Je suppose que cela dépend des circonstances personnelles. Pour certaines personnes, c'est peut-être une obligation, d'autres pourraient le considérer à la mode mais, d'après mon expérience, la plupart des clients ont une motivation plus intrinsèque. Certains croient sincèrement au pouvoir protecteur des motifs et de la « sumi » qui est utilisée. De nombreux clients participent à différents festivals shintoïstes, où ils profitent de l'occasion pour révéler leurs corps tatoués, en portant, en chevauchant ou en se tenant debout sur un « mikoshi ». Le festival Sanja Matsuri est l'exemple le plus célèbre de ce phénomène. La période qui précède le festival est une période particulièrement chargée pour le maître : ses clients souhaitent terminer, retoucher ou même recouvrir quelques anciens tatouages à temps avant le festival.
Dans le livre, Mark Poysden dit que vous êtes devenu le photographe officiel du 5e Takahashi-gumi, un groupe de yakuza. Quel intérêt cet honneur a-t-il servi selon vous ?
Dans le livre, mon ami et auteur du texte d'introduction, Mark Poysden, me désigne comme « un » (et non comme le) photographe officiel de la 5e génération de Takahashi Gumi pendant le festival de Sanja. Comme j'avais déjà travaillé pendant la Sanja, j'ai été invité à me concentrer sur quelques photographies spécifiques, principalement les photos de groupe officielles près du bureau local et avec le Mikoshi, de préférence avec le Senso-Ji et la tour Sky Tree en arrière-plan, comme repères particuliers de la zone. Une sélection de cette œuvre plus (numérique) colorée a ensuite été envoyée au groupe pour qu'elle l'utilise pour son calendrier annuel Matsuri. C'était une belle façon de rendre quelque chose pour toute l'hospitalité que j'avais reçue du groupe avant, pendant et après le festival Sanja. Malheureusement, les mots de Mark sont parfois mal compris. Pour être clair : je travaille à titre personnel et n'ai aucune ambition de devenir le photographe de qui que ce soit.
Pourquoi est-ce important pour eux de se montrer ici au matsuri ?
Ils rayonnent fièrement de leur présence et de leur pouvoir par rapport au festival et aux frontières territoriales mais aussi à la communauté en général, en particulier en portant leur « hanten » ou seulement un « fundoshi », montrant leurs tatouages en public. Il y a aussi une grande attente du public et beaucoup se rassemblent pour voir par eux-mêmes ce spectacle extraordinaire. Surtout, grimper, se tenir debout ou chevaucher le mikoshi, qui est strictement interdit, transmet une énergie écrasante entre l'ujiko et la foule.
Il est interdit de se déshabiller et de montrer des tatouages à Sanja, vos photos montrent le contraire. Quelle est la réalité de cette interdiction ?
De ce que je sais, l'affichage de tatouages est indésirable et généralement controversé dans de nombreux endroits. Au festival de Sanja, la situation est inversée. Il a toujours été plus question d’une règle qu'une exception d'afficher ouvertement des tatouages. Pour cette raison, pour beaucoup de gens, c'est l'un des meilleurs endroits pour voir l’"horimono", en vrai. Je suis également conscient qu'en dehors du festival, ces hommes cachent ou couvrent généralement leurs tatouages en public et les montrent exclusivement dans des lieux privés, par exemple, dans leurs propres bains publics, restaurants locaux, bars ou sources chaudes de leur choix.
Photographier est-ce forcément une expérience physique ?
C'est une expérience instinctive.
L'esthétique are-bure-boke de vos images (une esthétique photographique rugueuse, floue et sans mise au point) fait référence à la photographie japonaise de la fin des années 1960. Associée à ces images de yakuza tatoués populaires dans le passé - maintenant qu'elles ont décidé de disparaître dans la société, diriez-vous qu'Asakusa est un livre nostalgique ?
D'après mon expérience, contrairement aux efforts du gouvernement pour la supprimer, la tradition du tatouage japonais est très vivante et célébrée dans le monde entier. Peut-être que la manière et le lieu où j'ai travaillé épousent l'esprit nostalgique du Tokyo moderne.
Cette aventure continue-t-elle aujourd'hui ?
Depuis la pandémie, je n'ai pas pu beaucoup voyager. En ce moment, je travaille sur d'autres projets, qui nécessitent toute mon attention. Néanmoins, une chose est certaine : le Japon, sa culture et ses habitants feront toujours partie de mon travail, que ce soit en mettant l'accent sur le tatouage traditionnel japonais ou quelque chose de complètement différent. + IG: @ronin_de_goede Zen Foto Gallery : https://zen-foto.jp/en/book/asakusa