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Eddie Czaicki

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Eddie Czaicki, Quand Spiderman rencontre le tatouage traditionnel Sailor Jerry

Texte: Tiphaine Deraison / Portraits et tattoos ©Eddie Czaicki

C'est devant des croquettes Mozza et un Dr. Pepper de chez East Side Burger (la Mecque junk food punk parisienne) qu'on rencontre Eddie. Perfusé au rock'n'roll, enfant, il admire l'encre des bras et du cou de son père. Plus tard, musicien dans Betraying the martyrs et Darkness Dynamite, Eddie rencontre Romain Pareja qui lui encre son premier motif: papillons et oiseaux... Au 23 Keller. Une première expérience qui l'amène à côtoyer Romain Pareja, qui l'encre ensuite chez Tin-Tin Tatouages, rue de Douai. Il fait ses armes en dessin sur des tee-shirts de groupes, pochettes de disques, sapes et autres supports. Ces trois dernières années, il enchaîne les prix en conventions en France et voyage afin de se developper une clientèle étrangère, des défis qui ne lui font pas peur en tattoo: «il faut pousser encore plus dur chaque jours pour que cela continue».

Il y a un peu plus d'un an, tu étais à la Taiwan Tattoo expo, c'était une première grosse convention à l'étranger pour toi?

J'ai fait quelques jours à Taiwan, c’était une sacrée expérience. J’ai eu la chance de pouvoir tatouer des collectionneurs mais la clientèle asiatique a plus de réticence avec le Old School européen. C'est un style, carrément inconnu pour eux. Ils préfèrent les petits flash dans le style traditionnel américain et Taiwan est une petite île. Bangkok est different au niveau de la scène tattoo « Old School » du fait de leur grande population d'expatriés, je suppose. J’ai aussi tatoué à Montréal et à Cape Town en Afrique du sud. C’est incroyable de pouvoir voyager à l’autre bout du monde, d’avoir des demandes de clients et de pouvoir s’enrichir de leurs cultures pour quelques jours en dégustant leur nourriture, craft beers tout en visitant leurs bar à cocktails le soir.

Tes lignes sont épaisses, tes motifs font référence au traditionnel américain pourtant tes personnages et leurs expressions tiennent de la culture comics! Comment décrirais-tu ton tattoo?

Je suis très influencé par l'art moderne américain, le manga également. Dans mon enfance et mon adolescence j'ai toujours dessiné des supers-héros. J'aimais aussi les héroïnes manga et cette esthétique je la reproduisais en dessin. J'ai constaté ensuite que sans m'en rendre compte, je le faisais ressortir dans mes tatouages. C'est inconscient et c'est systématique à la fois dans mes dessins comme dans mes gribouillages. Même si l'on retrouve du traditionnel dans mon trait, il reste complètement influencé par les comics 70's, les aplats bien ambrés et tous ces détails qui font penser aux mangas. J'admets que lorsque c'est trop simpliste j'ai toujours l'impression qu'il manque quelque chose. J'ai toujours envie de mettre tous ce que l'on me demande; je fonce droit dans le mur! Ma clientèle est assez féminine et je pense que le côté hyper fourni leur plaît, quant aux mecs, ils veulent une pin-up un peu pulpeuse à l'oeil arrogant. Finalement, le côté sexy plaît aussi bien aux filles qu'aux mecs.

Ces deux styles aux époques différentes sont liés par un aspect vintage, non?

Quand j'ai découvert le traditionnel j'ai été marqué par ce côté simpliste qui implique la perfection. Je trouvais qu'on pouvait lier le traditionnel et le comics tout en utilisant les mêmes palettes de couleurs. Tous ces petits détails font ma patte. Personne ne m'a encore dit «non» alors j'essaie de pousser encore plus loin.

Tu n'aurais pas voulu faire carrément un style «manga»?

J'aime quand même le tatouage qui ressemble à du tatouage et je voulais une limite entre les deux genres. Ni trop old school, ni trop comics. Quand les magazines ont commencé à parler de néo-trad et de traditionnel, c'est vrai que ça m'a marqué. Je me souviendrai toujours de deux magazines qui avaient mis en lumière le travail de Chris Conn et Valerie Vargas. Cette tatoueuse, dés le départ, faisait un pont avec le manga. Elle faisait des duchesses aux visages façon manga et Chris Conn quant à lui, c'est ses expressions un peu mélancoliques qui m'ont inspiré. Il me faisait penser qu'il existait d'autres choses en tattoo! Puis j'ai parcouru des bouquins, magazines, des blogs, les designs de groupes de musique que je continue d'acheter en vinyle m'influence aussi... Internet c'est bien, mais le réel c'est ce que j'aime. Et j'aime acheter des comics vintage pour regarder les positions des mains et les cheveux et m'inspirer de certains dessinateurs et de tout ce qu'il y a de mieux de ces années-là!

Quel est ton personnage de comics préféré?

Spider Woman! C'est même pas une pote de Spiderman, c'est une meuf avec un costume rouge. Je chine ça à Pop Culture, rue keller à Paris. C'est plutôt mauvais... mais j'adore!

En parlant de «héro d'enfance», le tatouage te suit depuis cette époque où tu observais ton père se faire tatouer, as-tu sauté le pas de le tatouer à son tour?

Je n'ai pas encore tatoué mon père, mais j'espère pouvoir le faire un jour. Il veut que je lui fasse une pin-up réaliste. Dans mon souvenir, la première fois que je suis rentré dans un studio c'était en 1993. Mon père se faisait piquer par le tatoueur des Stray Cats en Angleterre. Le tattoo à l'époque pour les rockers, ça faisait partie de la culture. Un tatouage ça se décidait au coup de cœur et mon père et tous ses potes ont quasi tous les mêmes tattoo, une pin-up sur une moto, des hirondelles et des têtes d'indien...

Tout ça à dû te pousser vers le tattoo...

J'avais un univers déjà bien en place grâce au à la musique métal et hardcore. Tous les visuels de tee-shirts avec des logo très métal ou des femmes ensanglantées, c'était mon style graphique et en même temps je jetais toujours un œil sur ce qui se faisait dans le tatouage afin d'élargir mes influences de dessin. J'ai arrêté la musique pour reprendre le dessin et me lancer dans le tattoo en 2010. J'ai attendu toutes ces années car je pensais ne pas avoir le niveau en dessin. C'est pourquoi j'ai beaucoup pratiqué chez moi, sur différents supports, j'ai créé des visuels pour des marques, fait des tee-shirts pour des groupes et ensuite j'ai vu des choses apparaître dans mon trait.

Tu trainais aussi beaucoup chez Tin-Tin Tatouages lorsque tu étais musicien...

C'est avec Romain Pareja (qu'il a retrouvé à Hand In Glove, Paris désormais) que je me suis remis au dessin, puis je suis devenu pote avec Dom de 23 Keller (Paris). On allait aux mêmes concerts métal-hardcore et il savait que je dessinais. Il en a parlé à Rude car il y avait une place à prendre là-bas. J'ai amené mon book et ça a tout de suite marché. Ce que je proposais à l'époque n'était finalement pas si éloigné de ce que je fais maintenant, et ça s'approchait aussi de ce que les gars voulaient développer dans la boutique. Ensuite Rudy (Rude, The Golden Rabbit Tattoo Society) m'a drivé dans la technique. Je reste son apprenti même si j'ai développé mon travail, il y a eu un vrai échange de savoir-faire.

Penses tu que ton style à évolué ces dernières années?

Complètement, même si la base reste la même car je tiens à rester dans un style traditionnel qui traite les thèmes Old school classiques comme les motifs de marins, gitanes, tigres et autres mais j’essaie de développer chaque sujet avec une approche un peu plus détaillée qui tend au néo trad dans la technique. Je joue beaucoup avec les contrastes et les couleurs noir, orange et jaune. Ça donne des impressions de lumières dans la nuit. J’ai de la chance aussi car j'ai beaucoup de demandes très variées pour pouvoir expérimenter, donc je ne m'enferme pas sur un sujet. Chaque jour est un nouveau challenge.

Tu réalises aussi de plus larges pièces...comment les appréhendes-tu?

Cela fait déjà quelques années que je fais des pièces moyennes quasiment tous les jours depuis deux ans j'encre aussi des torses complets, des dos sur des gens qui voyagent exprès pour se faire encrer par mes soins. C’est très déstabilisant de devoir travailler si large, il faut apprendre à composer et ne pas faire trop détaillé. Je ne vais pas mentir, c’est en lisant l’autobiographie de Ed Hardy que j’ai appris de ses propres mots comment Sailor Jerry faisait ses dos sur les marins et comment pouvoir travailler de tel zone en plusieurs fois. J’ai l’exemple de ce client de Norvège qui travaille sur des bateaux et passe 3 fois par an en France pour venir me voir. Je procède de manière à ce que le dessin l’attende sur des bouts de feuilles de stencil qu’on vient ensuite ajuster sur son dos comme un puzzle. Ensuite, on travaille chaque partie pour qu’il reparte avec une sensation d'achèvement.

Tu dessines beaucoup façon comics, notamment en hommage à la série Netflix STRANGER THINGS, dont tu es fan, peux tu m'en dire plus?

Ça n'a pas été publié, c’était juste un fan project que je me suis décidé à poster car cela tombait pendant la sortie de la saison 3. Ça fait du bien de s’essayer à autre chose. Je suis fan de Jack Kirby et des comics mid-70’s. Dans une époque où la tablette graphique est omniprésente c’était un challenge sympa de s’essayer à l’encre et la plume sur les formats large.Une expérience à renouveler! @eddieczaicki eddieczaicki@gmail.com