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Jesse Smith

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Jesse Smith « Mon ambition serait de construire un pont entre la communauté du tatouage et la com-munauté de l’art. »

Texte : Stefayako / Photos & visuels : Jesse Smith

Spécialiste du new school par excellence, Jesse Smith nourrit son imaginaire débordant de créatures espiègles aux yeux globuleux ou d’animaux sortis tout droit d’un dessin animé. Il aurait pu mener une brillante carrière dans l’armée mais la passion du dessin a pris le dessus, alors pourquoi ne pas tenter sa chance ? Sage décision ! En 2011, il crée son shop Loose Screw Tattoo à Richmond, ville dont il est organisateur de la célèbre convention. Artiste prolifique et engagé, Jesse Smith a également participé à l’émission Ink Master, compétition américaine du meilleur tatoueur.

Peux-tu te présenter ? D'où viens-tu ?

Je m'appelle Jesse Smith et je tatoue à Richmond, en Virginie aux US. J'ai grandi à travers le monde car mon père était militaire. J'ai vécu 3 ans en Allemagne, 3 ans en Italie et 1 an en Angleterre. J'ai étudié l'art à Richmond mais aussi à Londres. Je tatoue depuis 23 ans et j'étais dans l'émission de télé Ink Master pour deux saisons.

Donc tu connais très bien l'Europe.

Mon père y a habité pendant 23 ans donc je venais le voir tous les ans pendant un moment. Je suis allé dans la plupart des pays européens. J'ai tatoué avec Electrik Pick à Berlin, pour Conspiracy au Danemark, avec Bugs à Londres et en Espagne.

Comment es-tu devenu tatoueur ?

J'étais à l'armée et je dessinais. J'ai rencontré un gars, qui s'appelait Carlos, qui sortait de prison et qui tatouait chez lui. Il utilisait une brosse à dent et une aiguille à coudre. J'ai dessiné et traîné avec lui. Un jour il m'a dit « tu veux faire un tatouage ? » et j'ai répondu « bien sûr ». Et j'ai fait mon premier tatouage.

C'est un début incroyable ! C'était il y a combien de temps ? Depuis quand est-ce que tu tatoues ?

J'ai commencé en 1998. C'était assez fou, je n'ai jamais pensé devenir tatoueur. J'avais l'habitude de dessiner des caricatures et de faire de l'aérographe. J'ai débuté le graffiti en Allemagne en 1993. J'adorais la scène graffiti et j'ai amené cela dans le tatouage.

Ce métier n'était pas prévu, ce n'était pas ton métier rêvé. Peux-tu m'en dire plus sur ta carrière de tatoueur ?

J'ai commencé en 1998, et jusqu'en 2005, je faisais toutes sortes de tatouages. J'avais déjà mon style mais je faisais aussi des portraits et du réalisme. Puis j'ai rencontré Electric Pick à la première convention de tatouage chinoise à Pékin. Je l'ai vu, je ne connaissais même pas son travail et j'étais comme « hey salut ! » et j'ai montré mon portfolio. Il m'a demandé « pourquoi as-tu du réalisme dans ton portfolio? » Je n'y avais jamais réfléchi. Il m'a dit « tu as un style et tu ne devrais faire que cela. » Cela m'a fait beaucoup réfléchir. Quand je suis rentré aux US j'avais deux portfolios, un pour le réalisme et un pour mon style. C'était difficile à faire pour moi car j'avais du succès avec mon réalisme. Mais j'étais d'accord avec lui. L'un était copier, l'autre était créer. Puis les gens ont commencé à dire « oh c'est un tatouage de Jesse Smith. » Mes tatouages reflètent ma personnalité.

Comment as-tu développé ton style ? Comment peux-tu le décrire ?

J'ai grandi il y a 44 ans. Aux US il y avait des dessins animés le samedi matin de 5h à midi. J'ai regardé ça et les jeux vidéos, le skate et les magazines de skate. Quand j'ai grandi je suis allé vers le graffiti. Et j'ai mis tout ça dans mes tatouages. J'ai aussi été influencé par des tatoueurs comme Tim Biedron, Jime Litwalk et plein d'autres artistes new school. Puis j'ai commencé à m'inspirer du mouvement artistique lowbrow. J'étais très inspiré aussi par le graffeur Toast, son nom est Ata Bozaci. C'est un graffeur européen qui fait beaucoup de personnages. Je suis un grand fan. La scène graffiti allemande était géniale.

Penses-tu avoir créé ton propre style ?

Je n'ai jamais pensé que j'avais mon propre style. Les gens ont commencé à dire « oh j'adore ton style » donc je pense avoir un style mais c'est difficile à voir pour moi. Quand tu regardes dans le miroir, tu te vois mais tu ne sais pas vraiment à quoi tu ressembles. Je vois mon travail tout le temps donc cela me paraît normal mais les réactions des autres sont du genre « c'est tellement différent des autres ».

Quelles sont tes principales inspirations ?

Je suis intéressé par la façon dont les gens pensent, les dynamiques sociales. Tous mes personnages, s'ils sont diaboliques, ont toujours de la gentillesse en eux. As-tu déjà regardé Grey's Anatomy ? Shonda Rhimes, celle qui l'a écrit, elle est très forte pour montrer le spectre complet de l'humanité. Tu connais Bailey, elle est toujours méchante mais elle est humaine et tout le monde peut aussi la voir triste. Quand je crée mes personnages, je veux qu'ils aient ce spectre. Je ne veux pas qu'ils soient uniquement mauvais ou uniquement heureux ou gentils.

Comment as-tu appris à dessiner ?

Je dessine tout le temps. Quand j'étais plus jeune, mon père m'a demandé « que veux-tu faire quand tu seras grand ? » et j'ai répondu « je veux être un artiste ». Mon père a toujours été favorable à tout ce que je veux faire mais il m'a dit « c'est bien d'être un artiste mais tu devrais avoir un plan B parce que c'est difficile de vivre de l'art. » J'ai donc voulu être biologiste marin parce que j'adore l'océan. Je suis allé à l'armée pour gagner l'argent des études. Et quand j'étais militaire, j'étais un peu reconnu car je dessinais tout le temps. Quand j'ai terminé mes 3 années, ils m'ont demandé « veux-tu te réengager ? » Je me rappelle que je me disais « si je reste dans l'armée, ma stabilité est garantie et à l'âge de 38 ans je peux prendre ma retraite et me reposer ». L'autre option était d'étudier l'art et de voir si je pouvais devenir un artiste. Je me disais que si je n'étudie pas et n'essaie pas d'être un artiste, je me demanderais toujours si j'aurais pu le faire. Et si cela ne marche pas, au moins j'aurais essayé. Finalement, je ne suis pas riche, c'est vraiment beaucoup de travail mais c'est très fructueux et satisfaisant. Je suis très heureux d'avoir pris cette décision.

Tu dessines sur la peau, le papier, les murs et les vêtements. Que préfères-tu ?

J'aime créer en général. Quand on fait des blagues de poisson d'avril, on fabrique 15 000 amendes de parking qu'on met sur les voitures. Quand les gens les voient et les ouvrent, poisson d'avril ! Et c'est 15$ de réduction sur votre prochain tattoo chez Loose Screw Tattoo. C'est drôle et cela maintient mon esprit créatif.

Quand et pourquoi as-tu ouvert ta boutique Loose Screw Tattoo ?

Quand j'ai ouvert ma boutique, je tatouais depuis 14 ans, en 2011. J'ai travaillé dans plein de boutiques et beaucoup déménagé. Je suis allée de Richmond à Londres puis en Floride et à Norfolk. J'avais envie de créer mon lieu. Je voulais aussi créer un meilleur environnement pour du tatouage personnalisé. A cette époque, j'avais 300 personnes sur ma liste d'attente. Avec le coronavirus, c'est bien d'avoir une boutique toujours occupée, un mélange entre boutique de production et boutique de tatouage personnalisé. En mai 2021, la boutique aura 10 ans. Cela a été les montagnes russes. De supers choses sont arrivées mais aussi des choses plus traumatisantes comme quand des gens de ta boutique ouvrent une autre boutique juste en face. C'est très blessant. Mais c'est super quand ta boutique a du succès et que beaucoup de monde veut y faire un tatouage et qu'on a de bonnes critiques.

Maintenant que tu es connu mondialement, as-tu plus de clients locaux ou étrangers ?

La plupart viennent de l’extérieur de la ville, environ 80 %. J’ai des gens qui viennent d’Australie, d’Europe et du Canada. Peu d’Amérique du Sud, où j’ai beaucoup de fans mais ils n’ont pas assez d’argent pour voyager pour un tatouage. Et peu d’Asie. J’ai beaucoup voyagé en Amérique du Sud, ma copine est péruvienne, donc j’ai fait la plupart des pays d’Amérique du Sud. Ils adorent la culture tattoo et le style new school, j’ai pas mal de renommée là-bas donc je prends moins cher sinon ils ne peuvent pas payer.

Tu seras juge pour Tattoo Award, peux-tu m’en dire plus ?

Tattoo Award m’a approché il y a longtemps. Ils voulaient que je m’implique. C’est une compétition de tatouage sur internet. Maintenant je juge la compétition de new school. Chaque mois, il y a le meilleur new school. Les gens gagnent des points et peuvent gagner la compétition de l’année. C’est seulement sur internet. Il n’y a a pas de show.

Tu es aussi impliqué dans la mode avec ta marque de vêtements « One Trick Pony Apparel ». Pour-quoi as-tu voulu changer de support et créer des vêtements ?

« One Trick Pony » vient de la saison 2 de l’émission de TV Ink Master. Ils m’appelaient One Trick Pony parce que je ne fais qu’un seul style. Même avant de tatouer je faisais des t-shirts. Je ne gagne pas beaucoup d’argent avec ça mais j’aime le faire. Il y a beaucoup de monde qui aime mon art mais qui ne veut pas avoir mes tatouages. Mon but a toujours été de rendre mon art accessible à autant de monde que possible.

Je t’ai découvert il y a quelques années dans l’émission de TV Ink Master. Est-ce que cette émission a changé des choses dans ta carrière ?

Oui tout à fait. A plusieurs niveaux. Tout d’abord, davantage de gens ont entendu parler de moi grâce à l’émission. J’ai aussi appris sur moi-même, mes forces et mes faiblesses. J’ai beaucoup appris sur le marketing et la façon dont les gent te perçoivent. Après l’émission je me suis concentré sur mon style et être un meilleur artiste. J’ai apporté du japonais, du traditionnel et du noir et gris dans mon style. Cela m’a beaucoup aidé artistiquement. Mais tu réalises que les gens ne pensent pas comme toi. Peu importe qui tu es, si tu es à la TV, tu as des critiques négatives.

En tant qu’organisateur de la convention de Richmond, quel est ton meilleur souvenir ?

La convention de Richmond existe depuis 28 ans. Avant c’était un club de tatouage. Tous les grands artistes du tatouage comme Lyle Tuttle et Paul Rogers venaient et tatouaient. Puis en 1993, ils ont commencé une vrai convention dans le même hôtel. Tous les meilleurs artistes du monde venaient à la convention de Richmond. Les bons tatouages amènent les bons artistes qui amènent les bons clients. En 2010, Billy Eason est décédé et a donné la convention à sa fille. Puis ils ont fini par me la transmettre.

Comment voudrais-tu faire évoluer cette convention ?

Mon ambition serait de construire un pont entre la communauté du tatouage et la communauté de l’art. Quand j’ai commencé à tatouer, les plupart des tatoueurs n’étaient pas des artistes, ils aimaient juste faire des tatouages. Et la plupart des artistes ne savaient pas que le tatouage est un art. Mon but serait de fusionner. J’aimerais beaucoup voir une convention d’art avec plein de tatouages. L’année dernière nous avons eu des peintres extraordinaires. Ils ont peint pour des organisations caritatives des toiles de 4 x 4 et nous avons fait une vente aux enchères.

J’ai lu que tu avais peint un mur au sujet de George Floyd pour une vente aux enchères. Peux-tu m’en dire plus sur cette expérience ?

C’était assez fou. Je suis sûr que tu es au courant de ce qui est arrivé à George Floyd quand les policiers étaient sur son cou et l’ont laissé mourir. Quand tu vois cette vidéo, tu ne peux pas t’empêcher d’être triste. Puis les personnes noires aux US étaient tristes et ont commencé à raconter leurs histoires de comment ils ont été traités dans leur vie. Je voulais faire quelque chose alors j'ai réalisé une fresque murale de George Floyd en sa mémoire. Mais beaucoup de gens aux États-Unis ne sont pas d'accord avec le mouvement Black Lives Matter et disent que c'était un criminel. J'ai donc fini par perdre beaucoup de fans. Ça ne me dérange pas de perdre des fans quand je crois en quelque chose.

Est-ce lié à Giving Arts Foundation ? Quel est l’objectif ?

C'est une organisation à but non lucratif que j'ai créée parce que je faisais beaucoup de caritatif depuis que j'ai ouvert mon salon de tatouage. En général, nous organisons trois ou quatre événements par an lorsque nous créons des œuvres d'art et tout l'argent que nous obtenons de ces œuvres est reversé à des associations caritatives. Je voulais donc avoir une organisation caritative pour donner et savoir où va l'argent. Et aussi parce que j'aime l'océan. Une grande partie du travail que nous essayons de faire avec cette organisation caritative consiste à faire des dons pour la sensibilisation aux océans et à l'environnement. J'ai rassemblé toutes les choses que j'aime en un seul endroit.

Souhaites-tu partager quelque chose de plus à ton sujet ?

Je ne sais pas combien de personnes le savent mais j'ai créé Carkayous, un faux réseau de dessins animés et toutes mes créatures et personnages y vivent. Si je te fais un tatouage, il peut être relié au tatouage de quelqu'un d'autre. Tout vit dans ce monde. J'y travaille encore, c'est comme un petit projet en arrière-plan et je rassemble toutes les choses. L'histoire de Carkayous est que cela a toujours été là, mais le gouvernement et les compagnies pharmaceutiques nous le cachent parce qu'ils y font beaucoup de tests sur les animaux et de mauvaises choses. Je l'ai découvert il y a dix ans et j'ai essayé de sensibiliser les gens à ce problème. La fondation a pour but de sauver les animaux et de nettoyer l'environnement, entre autres. Si vous suivez mes personnages en ligne, vous pouvez voir qu'ils ont une histoire, certains sont vraiment mauvais, d'autres sont sympas. @jessesmithtattoos @loosescrewtattoo @onetrickponybrand @richmondtattooconvention @givingartsfoundation https://carkayous.com/