Montréal laisse une bonne place au street art et au graffiti. On peut admirer des fresques murales un peu partout dans la ville, et un festival « MURAL » y a lieu tous les ans. Une ville profondément artistique avec des galeries d’art, un quartier des spectacles très actif , des concerts un peu partout, du tattoo, des festivals qui s’enchainent du printemps à l’automne et de nombreux artistes en tout genre. Pas surprenant que Jean Labourdette ait eu envie d’y immigrer.
Revenons un peu en arrière sur le parcours de Jean Labourdette. Il nait à Malakoff en proche banlieue parisienne où il vivra 25 ans. Il baigne dans un milieu artistique avec un père sculpteur, peintre et prof de dessins. Jean a aussi une passion pour la bande dessinée, il dévore les ouvrages de Moebius, Carlos Nine ou encore Nicolas de Crecy. « j’ai une grosse culture BD au travers de laquelle j’ai affiné un sens de l’image et un sens du dessin »nous confie-t-il. Un autre livre, pour enfants celui-ci, qui lui avait été offert quand il était tout petit a aussi influencé son univers, un livre de John S. Goodall, illustrateur anglais avec les aventures d’un cochon « Paddy » à l’opéra, Jean pense que sa fascination pour l’ univers théâtral en serait issue.
Cet autodidacte allergique à l’école se met au graffiti à la fin des années 80. Il n’ a que douze ans quand il prend ses premières bombes. C’est à cette époque que nait «Turf one» son pseudo de graffeur qu’il gardera. Plus tard, il rejoint un crew parisien les « TW ». une bande proche des célèbres « PCP » avec « Numéro 6 » spécialiste des persos, une référence pour Turf. C’est aussi dans ces années là qu’il commence à peindre. Quand il pleuvait et que la bande ne pouvait pas sortir retourner des murs, « on se retrouvait chez un pote (si les parents n’étaient pas là), a fumer des joints, à faire des trous de boulettes dans la moquette, à boire des bières et a faire des grandes toiles qu’on peignait principalement au « Posca » et un peu à l’acrylique qu’on remplissait de bordel, histoire de tuer le temps ». Puis, Jean alias Turf One préfère progressivement continuer seul pour prendre un chemin créatif plus personnel… Il expose pour la première fois en 1994. En solo, il recherche des lieux insolites pour graffer, « Dans les années 90 J’allais explorer des endroits, des maisons abandonnées, tu rentres dans des espèces de capsules temporelles, tu voyages dans le temps au travers de ça.» Les décors et les lieux à l’abandon deviennent son inspiration, utiliser une porte pour en faire sortir un personnage à l’échelle 1 par exemple. Le support a autant d’importance que le sujet, on retrouve ça dans sa peinture avec l’utilisation d’objets anciens comme cadre ou support de ses oeuvres. Les objets influencent sa création, il s’adapte au support et à l’âme de l’objet.
En 1996, Turf one participe dès le numéro zéro au magazine hip-hop, Radikal. « j’avais carte blanche pour deux pages et exprimer toutes les conneries qui passaient par la tête et des pages d’illustrations » .Cette collaboration durera jusqu’a son départ pour Montréal.
Nouvelle vie, nouvelle façon d’entreprendre son art, « C’est quand je suis arrivé à Montréal en 2001 que je me suis un peu remis en question, quand on quitte tout, qu’on laisse tout derrière , tu laisses tes amis, ta famille. Tu te retrouves avec une espèce d’espace de liberté qui peut te foutre un peu la chienne et tu te remets en question. - est-ce que j’ai encore envie de faire des trucs comme ça, la BD, le graffiti, je fais ça depuis dix piges, est ce que ça me correspond encore, j’étais arrivé au bout d’un cycle. Du coup j’ai pu me permettre de prendre quelques mois d’introspection. Je suis arrivé au début de l’hiver québécois, super froid, je ne connaissais personne, fallait trouver un moyen de ne pas devenir fou. Je suis rentré dans l’atelier et j'ai peint, j’ai peint, j’ai peint, j’ai laissé sortir tout ce qui venait et là j’ai mis en place une démarche différente, contrairement à ce que je faisais avant: peindre ou créer des images comme un illustrateur avec une idée rationnelle derrière et un message concret. J’ai essayé de bosser à partir de mon inconscient, de peindre comme si je rêvais, de voir quelles seraient les images qui émergeraient d’elles mêmes. Qu’est ce que mon inspiration donnerait, si je n’essayais pas de la contrôler. Ca a donné quelque chose de totalement différent. »
Sa peinture devient plus personnelle. On retrouve son amour pour les vieux cadres et les objets anciens. « Quand j’étais gamin, je passais tous mes week-ends à aller avec mon père au marché aux puces, chez les antiquaires, dès tout petit, j’ai baigné dans ça » raconte-t-il. Les thématiques font souvent référence au passé, comme pour le faire perdurer. Une façon de se jouer de la mort, très présente dans ses peintures, en continuant à faire vivre les temps révolus.
La curiosité pousse Jean à découvrir d’autres horizons graphiques chez les peintres classiques « un peu tardivement » confie-t-il « je n’ai pas fait d’histoire de l’art, je ne connaissais pas grand chose en peinture classique, c’est arrivé plus tard, au début de la vingtaine, je suis tombé en admiration profonde sur le travail de Rembrandt, avec l’ombre qui révèle la lumière et vice-versa, il n’y a pas de vie sans une dynamique opposée, donc il n’y a pas de lumière sans obscurité, de vie sans mort, de beauté sans laideur; des notions très présentes dans mon travail. » Jean apprécie aussi le travail de l’artiste Otto Dix, un peintre allemand du début du siècle dernier (1891-1969) associé au mouvement de l’expressionnisme. Il a peint les atrocités de la guerre comme peu l’ont y fait. Certaines de ses oeuvres ont d’ailleurs été brulées par le régime nazi , considérées comme de « l’art dégénéré ». Jean Labourdette admire aussi les peintres primitifs flamands, Jan Van Eyck et bien sûr Jérome Bosch qui comme lui est un obsessionnel du détail « un enculeur de mouches », s’en amuse-t-il. Ses découvertes en peinture classique se font au grès du hasard « C’est toujours des rencontres fortuites, en me baladant dans un musée, en découvrant un bouquin, ou en tombant en arrêt sur quelque chose et surtout en ressentant une émotion. A partir de là, je m’intéresse au peintre, à son histoire, à son parcours. »
Après une bonne quinzaine d’années à peindre à plein temps, Turf one à gagné son pari: il expose dans de célèbres galeries au Canada, au Etats-Unis, en France; il participe à de nombreux événements comme la somptueuse expo Hey (organisé par le magasine du même nom) tous les ans à la halle st Pierre à Paris. Une carrière bien remplie.
Le tatouage et Jean Labourdette. - « Très jeune, j’ai eu une fascination pour le tatouage…j’ai fait mon premier tattoo chez Bruno de Pigalle en 94 , bon il a disparu depuis (recouvert). Et, j’ai eu de la chance de faire des rencontres, de gens qui ont été pour moi de grandes inspirations au niveau artistique, comme Tin-Tin dont j’admirais déjà le travail avant de le connaitre, avec qui je suis devenu ami, Filip Leu dont le travail m’avait beaucoup marqué, Easy Sacha ( Mystery tattoo club ). Enfin, j’ai le boulot de pas mal de potes sur le corps, c’est surtout une histoire d’amitié avec des personnes dont j’admire le travail. Faut quand même avoir envie de porter le boulot de quelqu’un toute sa vie, autant bien s’entendre avec. Ca me ferait chier de porter des tattoos de connards, aussi beaux puissent-t-ils être. J’ai eu souvent l’occasion de faire des portraits de tatoueurs, il y a un échange artistique qui va avec le tatouage, tattoo contre peinture. C’est aussi ma collection d’art personnelle que j’ai tout le temps sur moi. »
Du pinceau à la machine à tatouer , le chemin n’est pas long, ça faisait des années que ça trottait dans la tête de Turf. En 2014, Pierre Chapelan le boss de Tattoomania, célèbre shop de Montréal, lui propose de s’y essayer. L’aventure sera courte pour Jean: des soucis avec sa main et ses tendons lui font arrêter l’expérience après 6 petits mois. Une obligation, pour ne pas risquer de ne plus pouvoir peindre ensuite. Optimiste, il n’a pas trop de regret, et se réjouit d’avoir pu tester les techniques.
Malgré un emploi du temps bien chargé, Jean trouve le temps de s’engager dans des combats. En 2016, la mairie de Montréal, propose un nouveau projet de loi, interdisant la possession de chiens dits « Pit Bull » une race qui n’en ai pas vraiment une, avec une réglementation ubuesque pour ceux qui en ont déjà adoptés. La loi choque une grosse partie de la population de la ville, des manifestations sont organisées. Jean extrêmement remonté par cette loi s’engage au côté de la SPCA pour la défense de ces animaux. ( le site de la SPCA http://www.spca.com/?lang=en ) . Il participe aux manifs, il offre avec d’autres artistes montréalais, des peintures, des prints, des tee-shirts à une expo organisée par l’asso qui récolte des fonds pour la SPCA. Il donne des interviews et aide de façon active la SPCA dans son combat contre la municipalité de Montréal. Une bonne occasion pour Turf one de reprendre les bombes. Il réalise deux sublimes fresques pour interpeler l’opinion publique sur le sujet.
Pour conclure, il faut absolument dire un mot de son nouveau projet en collaboration avec son épouse Lela, une production d’animation complètement loufoque, « Pathetic theater » , on a juste vu le trailer et on en rit encore ( a voir sur « www.pathetictheater.com ). On retrouve l’univers de Jean dans un muppet show pour adulte à l’humour grinçant, un vrai délice.
Vous pouvez voir le travail de jean sur son site ou ses pages: www.jeanlabourdette.com instagram: jeanlabourdette Facebook: jean Labourdette report : DHK trad: James C