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Chris Roy – The Death Row tattooist

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Chris Roy – Le tatoueur du couloir de la mort

Chris Roy a été condamné pour meurtre à l'âge de vingt ans. Depuis 2001, il est incarcéré dans une Supermax, une prison de très haute sécurité, dans le Mississipi. Son épique parcours, de jeune délinquant à tatoueur attitré d'une des prisons les plus brutales des Etats-Unis est une histoire impitoyable, de malchance et de violence, de lutte et d'abandon, de ténacité et de discipline.

Texte: Tom Vater Traduction : Laure Siegel Photos: Chris Roy

“Je m'entends bien avec la majorité des gars que je tatoue. Mais j'ai tatoué plein de gars pour lesquels je n'ai aucun respect, des types avec qui je me suis battu à mort et qui, s'ils avaient été à ma place, auraient sûrement essayé de me scarifier ou de m'infecter avec la panoplie de virus disponible dans chaque zone de la prison... ou de me tatouer un "Fuck You" dans le dos" commence Chris. Je suis en contact avec Chris depuis trois ans maintenant. Comme moi, il écrit des romans policiers. Mais c'est sa carrière de tatoueur, une méditation sur l'incarcération et l'identité, qui m'a poussé à écrire son histoire. “J'ai grandi le long des plages moches du golfe du Mexique. Maman était une maman géniale, mais elle était tout seule. Ce n'est pas une excuse mais c'est pourquoi j'ai commencé à vriller. Je volais les gens populaires plein de fric puis leur vendais de la drogue." Il s'entraîne au taekwondo, au kickboxing et à la boxe depuis l'âge de dix ans. A treize ans, Chris se lance dans la mécanique : il répare les karts et motos tout-terrain de ses copains contre des joints puis travaille au chantier de récupération de son oncle. Pas pour longtemps. "Je ne supportais pas que les adultes, à qui j'apprenais plein de choses, soient payés bien plus que moi. Et j'avais besoin de plus d'argent car ma mère m'avait foutu dehors. Je suis parti avec une moto, une Jeep, un bateau, les poches pleines de drogues et 600 dollars".

A 17 ans, Chris revend des biens volés ou trouvés, passe du temps dans un centre de détention juvénile et une école militaire. Il commence à traîner avec un ancien camarade de classe, Dong, le leader de 211, un gang vietnamien célèbre dans le Mississipi. 'Dong était le principal fournisseur pour des mecs comme moi. C'était un type arrogant et violent, connu pour porter des armes en toute circonstance. Après deux ans à faire du business ensemble, nous avons eu un gros malentendu. Notre dernière confrontation a tourné en bagarre. Je lui ai sauté dessus avant qu'il ne puisse sortir son arme. Je l'ai assommé, il a suffoqué. J'étais vraiment terrifié de la vengeance à venir du 211 alors j'ai enterré son corps pour le faire disparaître." Chris a 18 ans. Deux ans plus tard, en octobre 2001, il est condamné pour meurtre. Dans le Mississipi, cela signifie peine de mort ou prison à perpétuité sans possibilité de liberté conditionnelle. "Mon crime, le résultat d'une bagarre à coups de poing, aurait été qualifié d'homicide involontaire avec n'importe quel autre avocat que le commis d'office qui m'avait été assigné".

Incontestablement coupable, Chris est toutefois condamné à une époque où les criminels violents se retrouvent avec des peines de prison incroyablement lourdes. Les condamnations pour meurtre avant 1995 sont éligibles pour une demande de liberté conditionnelle après dix ans. Les condamnés entre 1995 et 2014, comme Chris, peuvent seulement faire une demande de liberté conditionnelle lorsqu'ils atteignent l'âge de 65 ans. Un homme condamné pour meurtre aujourd'hui sortirait des décennies avant Chris Roy, qui sait que son appel ne sera pas entendu avant 2047. Après deux ans passés à l'isolement à la prison supermax de Parchaman, Chris est transféré dans le quartier général de la prison correctionnelle de Mississipi-Est. "En 2003, j'ai rencontré Tattoo, un artiste qui avait tatoué à l'extérieur pendant vingt ans. Il tatouait comme un chirurgien sous amphétamines. Il pouvait construire une machine extrêmement précise à partir de stylos, de briquets et de pièces de radio dans le laps de temps qu'il faut à la plupart des gens pour boire une bière. C'était un enfoiré super arrogant. Mais c'était mon type d'enfoiré. Après quelques années de bagarres, de coquarts et de côtes fêlées, nous sommes devenus amis ».

Une nuit, Gene, le compagnon de cellule de Chris, convainc Tattoo de prêter sa machine à Chris. "La machine est instantanément devenue un membre de mon corps qui prolongeait mes sens. Je pouvais sentir le bruit de succion et de décharge de l'encre, la vibration minutée de l'aiguille qui pompe et qui colore. Je pouvais sentir la différence de pénétration dans la peau selon les endroits, plus ou moins épais." Sa première oeuvre : un lapin qui sort les crocs, porte un chapeau de cow-boy et brandit un fusil à deux coups. "Je me souviens, le lendemain, les gars au petit-déjeuner regardaient le lapin meurtrier sur mon pote Gene avec fascination. Ils se sont tous mis en ligne pour que je m'entraîne sur eux. Ce jour-là, ma vie a changé".

Chris transforme sa cellule en studio de tattoo, couvre les murs de pages de magazines de motos et de tattoo et de ses flashs originaux. "J'avais même deux apprentis qui faisaient les tâches ingrates pour moi. Dans cette prison où plus d'un millier d'hommes étaient enfermés, ma clientèle était infinie. J'ai beaucoup tatoué des poitrines et des dos, des côtes et des ventres. Pour la plupart, des grosses pièces de fils de pute, bad and big".

Lui-même n'est pas tatoué : "Si j'avais des tatouages, je deviendrais fou à m'obséder sur toutes les façons dont j'aurais pu les faire différemment ou mieux." De toute évidence, les autorités pénitentiaires n'apprécient pas que les détenus se tatouent entre eux. Certains contractent de sérieuses infections et les tattoos de gang ont de graves conséquences à long-terme pour les jeunes prisonniers. Mais le système carcéral américain et ses employés sont aussi intrinsèquement paresseux et corrompus. "J'ai tatoué deux gardes et un infirmier, gratuitement. En échange, j'ai été autorisé à faire une razzia à la clinique sur tous les produits dont j'avais besoin : gants en latex, iode, pommade et même de l'alcool. Le chef m'escortait dans n'importe quelle zone de la prison pour 20 dollars et me laissait tranquille pendant quelques heures pour tatouer mes codétenus. Je me faisais dix dollars de l'heure. On tatouait toute la nuit, on fumait des pétards, on improvisait des morceaux de rock et on faisait des plans sur la comète sur ce qu'on ferait une fois libres".

Pendant un moment, Chris s'est créé une sorte de vie. "Je me faisais de l'argent avec le tattoo. J'avais un excellent travail au Département de l'Education où j'enseignais les mathématiques et l'anglais. J'entraînais un groupe de gars à la boxe et je fabriquais des décors pour des pièces de théâtre. Mais tous les jours, sans exception, je planifiais mon évasion". En 2005, Chris réussit à s'échapper, comme dans un film, en découpant les barreaux de sa cellule avec une scie à métaux. La police le rattrape en moins de 24 heures. Peu de temps après, il s'évade une deuxième fois, parvient à rester dehors quelques semaines mais il est à nouveau appréhendé, dans un motel au milieu de la nuit. Retour à Parchman. “J'ai expérimenté les pires conditions de vie imaginables. Parce que j'étais désormais un prisonnier à haut risque, j'étais transféré dans une différente cellule toutes les semaines. J'étais fouillé intégralement et menotté aux mains et aux pieds chaque fois que j'étais sorti de ma cellule, même pour aller à la douche ou dans la cour. C'état plein de prisonniers avec de lourds problèmes psychologiques, qui hurlaient, balançaient leurs excréments, allumaient des feux et inondaient leurs cellules. C'était l'enfer. Je savais que j'en avais pour des années à vivre comme ça. Mais je savourais ce bref moment de liberté, le souvenir de cette escapade."

Les choses changent en 2008, quand Chris est sélectionné pour un programme de réinsertion. "Il fallait qu'on trouve un moyen de tatouer alors qu'on était constamment sous surveillance caméra. On avait cet énorme téléphone, posé sur une table à roulettes dans le couloir. Mon client payait pour un appel, poussait la table en face de ma cellule, s'asseyeait dessus, décrochait le combiné avec une main et passait son autre bras entre les barreaux de ma cellule. » Mais les prisonniers dans le couloir de la mort, en attente de leur exécution, sont pratiquement impossibles à atteindre. Le contact avec le personnel ou des détenus d'autres sections leur est strictement interdit. "Avec mon copain D-Block, on a écrit l'histoire quand il a réussi à payer un officier pour qu'il me laisse le tatouer à travers les barreaux de sa cellule. Ca a été très cher mais ça valait le coup. Tous les autres prisonniers du couloir de la mort voulaient un tattoo, mais ils n'avaient pas assez d'argent pour graisser la bonne patte". Chris réussit à tatouer D-Block à six reprises.

“Je suis aussi devenu ami avec un gars nommé Ben. Il est en train d'être jugé pour un crime passible de la peine de mort et ça sent mauvais pour lui. J'ai tatoué des portraits de sa femme, sa fille et sa petite-fille sur son dos, avec un cheval ailé et un crâne de gobelin sur les côtés. Je suis allé dans sa cellule douze fois pour compléter le travail. Mais Ben a commencé à avoir des crises de paranoïa et des hallucinations. On s'est disputé et il ne m'a jamais payé les 500 dollars qu'il me devait".

En novembre 2016, le smatphone de Chris est découvert par les gardes et il est viré de son programme de réinsertion. Il a passé dix mois jour et nuit dans une cellule scellée par une porte en acier, dans un isolement presque total, sans pouvoir tatouer. "Je pensais beaucoup à recommencer à piquer. C'est ce qui me permet de rester sain d'esprit là-dedans". Depuis qu'il est de retour dans son ancienne unité, il a repris l'activité qui l'a propulsé au centre de sa communauté et a tatoué quelques grosses pièces latérales. À travers les barreaux de sa cellule bien sûr. - Pour plus d'informations sur Chris Roy et son cas judiciaire : https://unjustelement.com/

Fabriquer une machine dans une prison américaine de très haute sécurité

Chris a peu à disposition dans la prison de très haute sécurité où il est incarcéré depuis 2001 : une radio, un briquet, un stylo Bic, une cartouche d'encre vide, le bout d'un stylo-bille, un crayon en caoutchouc flexible fourni par la prison, le haut d'une bouteille de produit chimique en spray et un petit carré de caoutchouc.

"Je retire le style bille et le remplace avec le jet de l'allumeur Bic. Ensuite, je coupe un petit bout du corps du stylo flexible pour l'insérer dans l'extrémité du moteur du stylo Bic découpé. Cela maintiendra le tube en toute sécurité au centre. La partie supérieure d'une bouteille en spray est un support idéal pour le moteur. Je l'ai coupé un peu pour le glisser sur le stylo Bic. Cela facilite le réglage de la profondeur de l'aiguille. Ensuite, je coupe le ballon et insérez le jet du briquet dans la pointe plastique. Le carré de caoutchouc doit s'adapter à l'arbre du moteur. Je pique un trou dans le caoutchouc à côté de l'arbre et insérez une petite coupe d'isolant du fil téléphonique, le manchon pour l'aiguille. L'aiguille entre ensuite dans l'isolant. Je place ensuite l'aiguille, la pointe, le guide (l'ancienne cartouche d'encre), le réservoir d'encre (le haut d'une bouteille de soda) et un chiffon (un bout de T-shirt) dans un bol d'eau et je fais tout bouillir au micro-ondes, pendant trois minutes. Enfin, le moteur est fixé à la monture avec une bande de caoutchouc et la machine est enveloppée dans du film étirable ».

Produire l'encre

"Je retire les lames de quelques rasoirs en plastique et je les colle ensemble avec du ruban adhésif. Je colle un morceau de papier A4 avec du dentifrice et crée une chambre à fumée circulaire qui récoltera la suie. Les rasoirs sont placés au centre et je mets le feu aux têtes de plastique. Je recouvre la maison de fumée avec un autre morceau de papier puis un magazine. Le papier se transforme en suie, que je collectionne dans le haut d'une bouteille. Brûler deux rasoirs produit assez d'encre pour un très gros tatouage. Mélanger l'encre est un art en soi. Je mets de l'eau dans un bouchon de bouteille en plastique, puis deux micro- gouttes de shampooing. J'en saupoudre la suie délicatement. Trop de shampoing et les détergents rendent le tatouage bleu ou vert. Trop de suie et l'encre ne fonctionne pas dans le système d'aspiration-décharge de la machine.

Créer l'aiguille

"L'outil final nécessaire est une aiguille décente. Je chauffe le ressort du briquet avec une flamme à feu lent sur du papier de toilette bien roulé. Je déplace le ressort à travers la flamme pendant que j'applique une pression régulière, en le tirant droit lorsque je le déplace. Si je tire trop fort, ça va claquer. Si cela devient trop chaud, ça va se briser.