Quand un groupe a 30 ans d'âge et que ses titres font encore vibrer la foule de la grande Halle de la Villette, c'est qu'il s'agit non plus d' « un groupe », mais d'une légende. Côté New York Hardcore, Madball, issu de la fraternité Miret, a marqué les années et l'histoire du hardcore. Au-delà de ses titres lourds et d'une personnalité charismatique en son sein : le chanteur Freddy, le groupe n'a jamais laissé planer de doute sur ses intentions. Depuis « Set It Off » ou « Demonstrating my style », leur devise a toujours été « Honneur, respect et loyauté ». Des valeurs inhérentes à une subculture musicale tattoo et un lieu : le Lower East Side, dans lequel ils ont grandi. Ces laissés-pour-compte en sont devenus les piliers. Au sein de leur crew, le DMS, un nom venant des boots avec lesquelles ils ont foulé ces bas quartiers de Manhattan de long en large, allant de la scène du CBGB's aux shops clandestins de Jonathan Shaw, ils en ont partagé la même histoire. Rencontre avec les deux membres fondateurs : Freddy Cricien et Hoya Roc.
Quel âge aviez-vous pour votre premier tattoo ?
Hoya : J'avais 17 ans, justement je parlais de mon premier tatouage avec Norm récemment. On s'est tous fait tatouer entre 15 et 17 ans dans le groupe. Freddy : Pour ma part, j'avais 15 ans. On était des gamins. Mais j'avais 17 ans quand MQ m'a tatoué mon nom de famille sur le ventre (Cricien, ndlr). La séance s'est déroulée dans le garage d'Hoya et qui sait ce qui a pu arriver à mes organes ! Je crois qu'il m'a littéralement piqué les boyaux car les aiguilles ne fonctionnaient pas bien mais il s'en est aperçu bien 10 heures après. C'est comme ça que ça se passait à l'époque. Il n'y avait aucune crème anesthésiante ou d'autres trucs du genre, il fallait souffrir en silence.
Vous tatouer était-il déjà un moyen de vous exprimer comme vous avec Madball ?
Freddy : Oui, (le tatouage) c'est une grande partie de la culture Hardcore, tout surtout à New York, beaucoup de gens sont fortement tatoués et même en comparaison avec d'autres scènes hardcore ou d'autres Etats, je crois que les gars de New York ont réellement fait avancer cette scène un niveau au-dessus. C'était une autre forme de rébellion de se faire tatouer et tout ce qui s'ensuit. De nos jours on voit pas mal de personnes qui s'habillent dans les codes du hardcore sans y être réellement investis. C'est tout simplement devenu tendance. Ce qui n'est pas une mauvaise chose en soi pour le business du tatouage mais quand on était mômes, le tatouage était une question de rébellion. Hoya : Quand on voit des points de sutures, on sait ce que ça signifie. C'est pareil pour les tatouages, en quelque sorte, c'est fait pour être vu. Si tu vois ce que je veux dire... Vos tatouages ont-ils tous une signification personnelle ? Freddy : Oui, en général ! Hoya : Pas mal de souffrance. Freddy : Mes tatouages ont un sens, tout comme pour Hoya. Généralement, ils ont plus ou moins une histoire, certains plus que d'autres mais c'est surtout une sorte de rite de passage. Hoya a la même façon de voir les choses. On ne s'est pas fait piquer du jour au lendemain. On aime prendre notre temps et heureusement, au cours des années, on a rencontré de bons artistes qui viennent de notre scène. Mais pour nous, ça n'a jamais été un besoin urgent comme aujourd'hui pour certains gamins de se faire tatouer uniquement le cou ou tout le corps en une semaine. On n'a jamais fait ça. Par exemple, mon dos est toujours presque complètement vide. J'ai toujours pas mal de parties de mon corps qui ne sont pas tatouées.
Que pensez-vous du fait que beaucoup de gens se font plus tatouer les parties visibles qu'avant ?
Freddy : Oui, c'est étrange. Je ne veux pas sortir de conneries ou sonner comme un vieux qui juge la jeunesse, mais avant il fallait les mériter. Chaque tatouage représentait une nouvelle étape de ta vie, c'était la principale motivation pour aller se faire encrer un nouveau motif. Hoya : On les appelait les « Jobs stoppers » car c'est ce qu'ils étaient mais maintenant ce qui empêche de décrocher un job c'est les tatouages faciaux alors qu'avant ça pouvait être simplement un tatouage sur le coude ou un avant-bras tatoué. Généralement tu te faisais quelque chose sur le dos avant de continuer et puis ensuite tu te faisais autre chose mais toujours quelque chose qui ne se voyait pas. C'est un engagement. Je pense que les gens y plongent rapidement alors que dans cinq ans la mode elle, sera au laser. Ils voudront tous se faire enlever leurs tatouages. Le laser explose déjà. Si tu vas dans un salon de beauté, ils ont déjà pris le pas de s'équiper d'un laser pour retirer les tatouages sur le visage... Freddy : Je n'enlèverai pas un seul d'entre eux, même pas le plus horrible. Hoya : Ca fait partie de ta vie, que tu l'apprécies ou non. Je ne comprends pas, même le tatouage le plus idiot, quand tu te fais tatouer, tu sais avec qui tu es, où tu es et dans quel état d'esprit. Pourquoi cela changerait-il un jour ? Je ne comprends pas non plus pourquoi des gens se font tatouer parce qu'ils ont vu leur star préférée le faire. Si tu veux un tatouage, attends un an. Si dans un an, tu en as toujours envie, attends encore une autre année ! Ton corps n'ira nulle part. Si tu le souhaites vraiment, alors tu auras un tatouage un jour ou l'autre.
Quels sont les tatouages qui comptent le plus à vos yeux ?
Freddy : La famille c'est ce qui compte le plus. J'ai les noms de mes fils sur les côtes et je dois me faire piquer celui de ma fille aussi. Je suis plutôt en retard là-dessus mais les tattoos qui représentent ma famille sont toujours les plus importants. Hoya : Oui, ceux sur la famille sont toujours au sommet, d'autres ont été encrés dans différents pays. On s'est fait piquer au Japon lors de notre première tournée là-bas. Certains signifient qu'on est membres et liés et comme pour cette expérience au Japon. Nous voulions un tatouage dans la lignée de l'art traditionnel Japonais. Freddy : On s'est également fait quelque chose en Nouvelle Zélande. On en a quelques-uns qui ont vraiment marqué des moments de notre vie.
Quels styles de tatouages avez-vous ?
Freddy : On a plusieurs styles différents sur nous, du black and grey et beaucoup de motifs religieux à cause de notre culture et de notre éducation. Nous sommes catholiques donc cette imagerie a toujours été cool pour nous. Freddy, tu as également été tatoué par Juan Puente. Qui d'autres t'a encré ? Freddy : Juan Puente mais aussi Chris Garver (Love Hate NYHC, NY), Mike Ledger (artiste légendaire qui travaille actuellement à Honolulu)... mais c'est Chris Garver qui a tout commencé. Il a emménagé à New York, il venait de Pittsburg et il a grandi avec Will Shepler, batteur et l’un des membres d'origine (de Madball, ndlr mais qui a aussi joué dans Agnostic Front). Dès le départ, nous étions en relation et amis. Il nous tatouait avant même de travailler avec Jonathan Shaw à Manhattan (auteur et tattoo artiste, décrit par Rolling Stone comme le « nouveau Bukowski ». En 1987 Johnathan Shaw ouvre Fun City dans le Bowery, un shop qui a pignon sur rue, alors que le tatouage était illégal à l'époque à New York*. Le Lower East Side était un quartier sans lois et même si Shaw tatouait les petites frappes et toxicos du quartier, il gardait tout de même une arme sous sa chaise). J'ai fait ma tête de Jésus avec Chris Garver à Brooklyn dans son appartement alors qu'il tatouait dans la boutique de Jonathan Shaw. On s'est fait tous tatouer par Garver et Ledger et ces mecs-là sont des légendes dans le milieu maintenant. Même pour nous ! Pourtant on a grandi dans la scène à leurs côtés, comme n'importe qui.
Vous vous êtes rencontrés aux premières heures de Madball, les scènes hardcore et tattoo étaient-elles liées ?
Freddy : On les a rencontrés au tout début de leur carrière, nous commencions à peine Madball et c'est assez marrant de se rendre compte que tout le monde vient du même cercle. *En 1961 la ville de New York prend des mesures, à la base temporaires, d’interdiction du tatouage alors en pleine expansion, la big apple étant alors pourtant le berceau de la naissance du tatouage moderne. Charlie Wagner y ayant installé son salon et la machine électrique de Samuel O'Reilly battant son plein. A l'époque aucune raison officielle n'est donnée. Certains parlent de prolifération d'Hépatites B comme d'une liaison amoureuse devenue une Vendetta personnelle – les légendes sont nombreuses. Travaillant alors de façon « privée », les tatoueurs enfreignent cette loi et tatouent jusqu'à tard dans la nuit, des clients triés sur le volet. L'interdiction fût seulement levée en 1997, 36 ans après.