Parmi les nouvelles générations de tatoueurs nippons à s’engouffrer dans la culture tattoo, nombreux ont été ceux à se tourner vers l’old-school et le new-school américains, ou encore la culture custom. Nobu Isobe s’est lui penché dans l’art classique occidental où il a trouvé l’inspiration nécessaire à son style réaliste morbide. Effrayant !
On t’a beaucoup vu en Europe récemment, qu’est-ce qui t’amène à revenir aussi souvent? J’ai commencé à venir en Europe il y a peut-être 4 ou 5 ans? Ce qui s’est passé c’est que je participais à l’organisation du “King Of Tattoo” – la convention de tatouage de Tokyo- avec Katsuta Noriyuki (le patron du studio Tokyo Hardcore à Tokyo, où Nobu a travaillé plusieurs années avant d’ouvrir son propre studio privé) et une année nous avons invité Teo Miliev, un tatoueur de Lyon, en France, où il tient le studio “681 Tattoos”. Après s’être rencontrés, il m’a invite à faire des guests chez lui, ce que j’ai accepté. Puis je suis venu à la convention de Paris, le Mondial du Tatouage ; ensuite à Barcelone en 2016, Bruxelles, etc. Je venais non seulement pour les conventions, mais aussi pour faire des guest. J’ai trouvé qu’il était très facile de voyager en Europe. Pour moi, c’est une excellente opportunité de voir, des choses nouvelles que je n’ai pas l’opportunité de voir au Japon où, le style le plus populaire est le traditionnel japonais. Et puis, le niveau d’exécution en Europe est incroyable, il y a beaucoup d’excellents tatoueurs, bien plus artistiques que ceux que l’on trouve au Japon.
L’art occidental a une très forte influence dans ton travail, j’imagine que venir ici est quelque chose de familier pour toi? Oui, suis beaucoup plus influencé par l’art classique depuis que je viens en Europe. Avant, j’étais plutôt dans l’art contemporain. J’apprécie beaucoup de pouvoir voyager et de prendre des photos. Celles-ci me servent de références, ce sont les seules que j’utilise.
Où puises-tu ton inspiration? Dans à peu près tout et n’importe quoi : sculptures, mobilier, bouteilles de bière… Haha! Il faut être attentif tout le temps. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de dessiner ou de peindre 5 à 7 heures par jour. Bien, sûr, c’est mieux si tu as l’opportunité de le faire mais en fin de compte, en réalité, ce n’est pas possible. Il est donc indispensable d’utiliser son cerveau de façon à trouver l’inspiration nécessaire et d’analyser, de comprendre comment les choses fonctionnent. Je vais tout le temps à des expositions : art classique, art contemporain, etc. Quand j’ai le temps en Europe, j’adore aller à des musées, juste pour me poser quelque part, sortir mon carnet de croquis et faire quelques sketchs. Je vais dans les salles de peinture, de sculpture… J’ai tellement été surpris par la qualité des musées en France. J’adore la France. C’est tellement différent, c’est à la complète opposée du Japon. Mais c’est très ancien et il y a aussi, beaucoup de similarités.
Tu as suivi des études d’art, c’est bien ça? J’ai étudié l’art en Californie. J’ai un diplôme en art 2D. Je suis allé à l’université à Los Angeles parce je ne voulais pas y aller au Japon, il n’y avait aucune liberté là-bas. A cette époque je jouais au basket-ball, j’étais fasciné par la culture américaine, j’adorais la culture punk californienne et le groupe No FX. J’y ai étudié 4 ans. Quand j’ai du choisir ma matière principale, j’ai choisi l’art. C’est comme ça que j’ai commencé à dessiner et que je me suis encore plus intéressé à l’art occidental. Il y a beaucoup de très bons musées à Los Angeles où je pouvais étudier. Un de mes copains travaillait dans un studio de tatouage et m’y a emmené quand j’ai voulu me faire tatouer pour la première fois, j’avais 20 ans. Son patron m’a demandé si je ne serais pas intéressé pour venir bosser chez lui, comme apprenti, et je me suis dit : « Pourquoi pas ? ». Je ne savais absolument rien, mais j’ai quand même débuté, au studio Resurrection Tattoo de Pasadena, il y a plus de 11 ans. Je devais tout apprendre à faire : lettrage, portraits, japonais, etc. Quand les gens viennent il faut satisfaire les différents goûts de chacun. Mon expérience est plutôt tournée vers le noir et blanc, principalement à cause de l’importance de ce style à Los Angeles et de l’influence de la culture chicano et des portraits. J’ai finalement quitté l’Amérique à cause de problèmes de visa et je suis rentré à Tokyo.
Pourquoi avoir continué à travailler différents styles quand aujourd’hui la tendance est plutôt à la spécialisation ? Je pense que je m’ennuierais si je ne devais travailler qu’un seul sujet. Et puis, à Tokyo, c’est impossible. L’activité est très lente ici, elle est incomparable avec des villes comme Lyon ou Paris. Je dois donc tirer mon argent de la variété de mes clients et cela me permet de garder la motivation pour faire toutes sortes de choses. La clientèle japonaise a des demandes très variées, en terme de sujet comme en terme de format ; il n’y pas de tendance, à l’exception cependant des tatouages japonais qui sont populaires. Le Japon n’a pas d’histoire avec le tatouage réaliste, les portraits, ce sont encore des choses que les gens demandent peu. En ce moment une grosse partie de ma clientèle – peut-être 30 ou 40 %- est constituée d’étrangers, qui vivent ou voyagent à Tokyo. Quelque part, je suis plutôt chanceux avec mon style « bizarre-dark-horrible- noir & blanc-et parfois réaliste », il n’y a pas beaucoup de gens qui le font.
C’est quelque chose que tu aimes beaucoup. Le travail dark vient du tatouage évidemment, parce que je suis un grand fan du travail de Roberto Hernandez. Ce qu’il fait est tellement beau. Paul Booth également est une grande inspiration pour moi.
En parlant de côté bizarre et dark dans ton travail, celui-ci est présent dans l’art japonais. Est-une source d’inspiration pour toi ? Nous avons de l’art sombre et très étrange au Japon, gore ou associé aux fantômes, ce genre de choses. Par exemple, il y a le travail très particulier du mangaka Suehiro Maruho. C’est un artiste dessinateur de manga et ce qu’il fait est vraiment très bizarre ; pourtant, des gens apprécient beaucoup ce qu’il fait. Je suppose que cela vient de notre histoire étrange, tout particulièrement de la période qui suit la Seconde Guerre mondiale. On s’est fait violé tellement fort. C’est dingue. Mais les gens sont fascinés par des choses… « inhabituelles ». Si je pouvais montrer des oeuvres comme celles-ci ce seraient très intéressants. Il y a des sentiments dans ces œuvres d’art sombre, qui sont un peu différents de ce que l’on peut trouver à l’Ouest. Si je pouvais mettre en lumière cette singularité, cela produirait de beaux tatouages.
A Tokyo tu travaillais jusqu’à récemment (Nobu a depuis quelques mois ouvert son studio privé dans la capitale japonaise) à Tokyo Hardcore, qui est un street-shop. Si l’on regarde le procès qui est en cours autour de Taiki Masuda (le tatoueur d’Osaka a décidé de porter le débat de la légalité du tatouage devant la justice), est-ce que cela a changé votre quotidien ? Nous avons fermé le site internet il y a 2 ans, mais rien n’a vraiment changé. Les flics sont même venus au studio ! Nous ne nous cachions pas, nous avions un signe sur la rue. Si Taiki n’avait pas répondu à la pression des autorités, tout serait déjà fini. Personne ne savait vraiment que le tatouage était interdit, mais tout le monde est maintenant au courant grâce aux médias. En fait, je suis assez surpris parce qu’à l’étranger les gens semblent suivre cette affaire ici, mais au Japon, tout le monde s’en fout. On vit juste au jour le jour et nous verrons bien comment les choses se passent.
Quel serait ton sentiment dans le cas où le tatouage devenait illégal, obligeant alors les tatoueurs à retourner dans l’ombre ? Je m’en fous un peu, en fait. Si nous devons fermé les studios et retourner dans des studios privés, cela ne changera rien. Disons que, c’est un peu la même situation qu’à New-York il y a 20 ans, quand il fallait connaître quelqu’un pour se faire tatouer ; sans parler du fait que nous avons des smartphones maintenant. Je me soucie seulement des problèmes d’hygiène que cela pourrait causer.
Quitter le Japon, c’est une éventualité que tu pourrais envisager? Oui, c’est une possibilité, mais j’aime trop le Japon.
Comprends-tu la motivation de Taiki de se défendre devant la justice ? Bien sûr. A mes yeux sa démarche est juste et la justice consiste à répondre aux interventions de la police. Mais l’issue de la procédure est encore aléatoire. Donc quel est l’intérêt ? Le tatouage au Japon a longtemps vécu dans une zone grise, il aurait donc peut-être mieux valu ne pas répondre et continuer comme nous avions l’habitude de faire. Nous devons survire avec ce job, nous devons payer nos factures, etc. Et puis, que deviendraient les vieux tatoueurs et le respect que nous leur devons ? C’est un sujet très sensible. Si finalement le changement arrive, nous perdrons un peu de notre histoire et je serai très triste.
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