Inkers MAGAZINE - Jon, Bretzel Tattoo Club, Colmar

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Jon, Bretzel Tattoo Club, Colmar

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Jon, Bretzel Tattoo Club, Colmar

ITW et photos : P-mod

Un bref retour sur ta découverte du tattoo Jon?

J’ai découvert le tattoo super tôt ! Je veux tatouer depuis que je suis gamin. Mon grand frère s'intéressait aux Hog Bike et aux magazines de Harley. Dans ces mags, je ne regardais que les photos de bikers et les encarts avec des tattoos. J’ai dessiné des tattoos très tôt sur des potes au stylo à bille. Comme je dessine et que j’adore ça depuis gamin, le coller sur la peau ça m’a toujours fait kiffer. J’ai très tôt recherché comment devenir tatoueur, sauf qu’à l’époque c’était un peu compliqué. A 18 ans, mon frangin s’est fait tatouer par Vincent (NDLR : Vincent Baudry, avec qui Jon travaille encore aujourd'hui au Bretzel Tattoo Club). J’en avais treize, j’avais dessiné son motif et il m’a proposé de l’accompagner.

T’as mis un pied dans la porte à ce moment là ?

Ben ouais! Y’avait des icônes du tattoo comme Martial que je suis aussi allé voir avec mon père lorsqu’il se faisait tatouer. Mais Martial, c’était pas tout à fait la même approche, il était à mes yeux plutot un “artisan”. Vincent avait plus ce côté “artiste”. Étant à fond dessin, c’était plus impressionnant d’approcher Vincent pour moi. Lui qui est sur la scène depuis longtemps, c’était le seul “tatoueur-artiste” de ma région. Je lui ai montré mes dessins, il m’a un peu envoyé balader mais c'était rigolo! (rires).

Ça ne t’a pas trop découragé je crois...

Non ! (rires). Je voulais vraiment devenir tatoueur mais il fallait que je choisisse une branche. J’avais pas forcément envie de faire les Beaux-Arts et finalement j’ai fais une formation d’infographiste, c’était ce qui, pour moi, se rapprochait le plus du dessin et en parallèle je continuais à regarder le milieu du tattoo. Fin des années 90 je suis allé voir Valentin (TattooMania, Mulhouse). Je lui ai demandé s’il voulait me former, il m’a demandé de faire quelques dessins et il m’a aussi envoyé un peu balader (rires). J’ai télephoné un peu partout, notamment à Bruno de Pigalle qui proposait des formations a l’époque. Il était pas capable de me dire combien de temps ça durait, je me disais “mais bordel c’est ...15.000 francs quand même” (rires)

Et ça a démarré comment?

Mes études terminées, j’avais plus du tout envie de bosser dans la pub. Je me suis fait trois merdes avec la machine d’un pote, et plus tard on est allé à la convention de Châlon-sur-Saône. J’ai acheté ma première machine là-bas et une bouteille d’encre bleue. J’ai acheté de la peau de porc et j’ai donc commencé a piquer un peu. J’étais facteur le matin, l'aprem je tatouais mes potes et je continuais à démarcher un peu les studios alentours. Je suis allé voir Mathias Bugo (Artribal) qui m’avait fait mon premier tattoo quand je faisais mes études à Lyon. Et je suis retourné voir Vincent pour lui demander une pièce, histoire aussi de rentrer plus en contact avec lui. Comme je retournais en Alsace, j’ai redemandé à Vincent une formation. Il bossait chez Memory Steel à Altkirch. Je lui ai montré mes dessins et il m’a pris. Pierre, son boss, était en train de monter un studio à Mulhouse. J’ai été propulsé tatoueur du shop, alors qu’en vrai, je n’avais fait qu’une vingtaine de tattoos sur mes potes. Vincent continuait à m’apprendre le métier en parallèle, pas mal sur l’aspect technique. Il a une manière particulière d’apprendre les choses mais ça marche bien, c’est posé. Ça a duré deux ou trois ans. Tu fais des conventions, tu rencontres du monde et tu apprends d’autres manières de bosser: je me suis dit que j’avais fait mes armes et j’avais envie d’aller voir un peu ailleurs. J’ai monté ma propre boite, j’ai bossé chez Jean-Marc à la Belfort Tattoo Family en guest régulier, chez Fred Laverne, chez Tabarck à Brest ou chez ArtCorpus à Paris. Quand je revenais en Alsace je tatouais chez Vincent qui avait monté Encre et Tradition à Colmar où il a continué à me former.

Vincent ça a donc été un vrai mentor pour toi?

Oui carrément ! Je l’admire depuis que j’ai treize ans, il m’a impressionné sur plein de choses ! J’ai même un trou dans l'oreille à cause de lui, à l'époque il avait des flesh-tunnels et moi je trouvais ça trop cool. Du coup j’ai fait la même chose mais un peu trop vite. Maintenant je me retrouve avec un cul de poule dans l’oreille (rires). Vincent c’est vraiment mon maître-jedi.

C’est là que s’est monté le Bretzel?

Chez Vincent, c’était pas très grand. On était trois (NDLR avec Nico, l’apprenti de l’époque), on voulait rester indépendants et sans hiérarchie. On a mis du temps, pas mal de thunes, mais on a trouvé et retapé un bar à tapas qui était dans un état déplorable. C’est devenu le Bretzel Tattoo Club en 2008, une belle aventure. On a demenagé dans une vieille maison alsacienne cinq ans plus tard en gardant le même esprit. Dix ans après on s’y sent toujours bien, et les gens aussi, c’est important.

Un truc auquel tu as toujours attaché une certaine importance il me semble?

Quand tu te fais tatouer, fondamentalement, tu marques quelque chose, c’est un rituel. C’est important de faire un joli dessin, mais c’est pas que ça le tattoo. La relation tatoueur-tatoué est importante. Les gens sont là pour passer un bon moment, mais aussi “encrer” quelque chose. Sur leur peau, mais dans leur vie aussi. Tu te fais pas tatouer n’importe quoi, n’importe quand par hasard, et même si ça a l’air complètement débile pour la personne en face (sauf Fat Manu)

À partir de quel moment tu as pu développer ton propre style ?

J’ai réussi a développer un “style” à partir du moment où j’ai compris que le tattoo c’était pas de l’illustration. Le problème se posait un peu là : j’ai eu tout de suite un égo assez fort. J’étais borné et je n’ai plus voulu me plier à faire du flash. J’ai essayé d’imposer ce que moi j’avais envie de faire, même si c’était pas très adapté au tattoo. Vincent bossait tout en free-hand, j’ai du coup fait pareil, mais j’étais beaucoup plus un illustrateur qu’un tatoueur. Alors que j’aurai appris plus vite et mieux si je m’étais cantonné à faire ce que les clients voulaient. J’aurais appris à poser mes lignes proprement sans me préoccuper du dessin, et j’aurais bossé mon dessin petit à petit. Les flashs ça se conçoit d’une certaine manière, de façon à t’apprendre à bosser ton dessin différemment. J’ai perdu beaucoup d’années, mais bon, j’y arrive petit à petit.

Tu avais déjà cette influence new-school à ce moment là?

Venant de l’illustration et de la BD, j’ètait de base influencé par le new-school. Je me suis tout de suite inspiré des pionniers du style comme DimitriHK, Stef D (Octopus Tattoo, Pontoise) et Vincent Baudry. Et puis le style a beaucoup évolué grâce à la technique et pleins d’autres tatoueurs comme Jee Sayalero, Jesse Smith, Jim Littwalk, Olivier Jullian (Glamort), Amy Mymouse et tant d’autres ! Dommage que ce style n’ai jamais vraiment été mis en avant depuis les années 90...

Ce mélange qui définit ton taff avec la reprise des codes japonais, old school mélangé au new school, c’est venu progressivement ?

J’ai essayé de faire à ma sauce trop longtemps, j’ai pas eu assez de jugeote de faire comme...Alix par exemple. Elle a su mettre de côté son style pour bouffer de la technique old school tradi et du japonais tradi qui sont les piliers maîtres de la solidité d’un tattoo. Elle a rendu son style encore plus fort. J’ai mis beaucoup de temps à faire ça. Donc oui, c’est vraiment progressif, parce qu’encore aujourd’hui je continue à affiner mon style en gardant à l’esprit les bases de ces écoles.

Ça a acté un déclic?

Oui, je me suis rendu compte que je manquais de technique. Peut-être que le dessin avait pris le pas dessus. Si tu veux avancer dans le style, il faut avancer sur la technique. En musique c’est pareil, si t’as pas de technique au bout d’un moment t'es un peu coincé.

Il y a des choses que tu as changé dans ta façon de travailler ton dessin?

Oui, j’ai changé de méthode plein de fois! Je m'intéresse plus et différemment au style de base du tattoo. J’essaie de regarder beaucoup plus les images pour voir comment c’est construit. Avant j’avais tendance à le survoler et je n'analysais pas assez. Je me laissais embarquer par tout et n’importe quoi, c’était le bordel. Par le old school et le jap tradi, j’ai appris à simplifier et à épurer un maximum . Des fois, je lutte pour ne pas placer un dégradé. Ça suffirait tellement sur un dessin un beau shading et un aplat de couleur plutôt que de mettre trois couleurs ! Les deux marchent mais y’en a un qui tient mieux dans le temps. Ça c’est l’école que Vincent m’a appris, bosser le tattoo en mode solide. Mais simple c’est le contraire de facile. Ça aussi conditionné mon dessin, même au niveau de la compo. Y’a des rencontres aussi, quand j’ai accompagné Lionel (Monsieur Biz, Aix en Provence) se faire tatouer par Filip Leu, j’ai emmené ma tablette pensant que j’allais dessiner.. en fait, je ne l’ai que regardé bosser, ça m’a appris énormément de trucs.

Des influences d’ordres plutôt traditionnelles au final ?

Oui mais pas que, parce exemple Electric pick : alors lui c’est un mec qui m’a vraiment bluffé par son tattoo et pas son illustration, ce qu’il fait ça déchire. C’est simple, efficace. Y’a eu aussi une grosse période Lars Uwe (Loxdrom Tattoo Berlin). Pour moi ça a été l’un des premiers à synthétiser l’art nouveau, la technique du jap tradi et du old school avec un style new school coloré et du mouvement. Je regarde aussi beaucoup de boulots de Justin Hartman (New Idols Tattoo, NYC) ou Markus Lenhard (Lux Altera).

Ça t’a manqué le manque de facilité d’accès aux ressources pour se former?

Je suis content d’avoir appris dans la génération dans laquelle j’ai été. On a appris aussi des valeurs, même si on les retrouve dans la nouvelle génération. Je crois que j’aurai bien aimé être dans les générations d’avant et d'après aussi ! (rires). J’ai connu un peu l’ancien et je connais le nouveau, c’est pas si mal finalement.

Et dans le nouveau, les réseaux sociaux ?

Ça c’est chaud...J’ai du mal à m’y mettre, pourtant il faudrait. Je ne tatoue pas pour dire “Hey ! regardez ce que j’ai fait aujourd'hui les mecs!”. J’en ai rien à foutre, si je fais un beau tattoo je suis content. Je le montre à Vincent ou à ma meuf et c’est tout. Je m’en fous un peu de montrer à facebook. Si j’utilise les réseaux c’est pour la publicité, mais je me force un peu.

Il y a pourtant plein de tatoueurs, toi inclus, dont la réputation s’est faite sans ce paramètre. Est-ce que aujourd’hui pour toi ça te semble être un impératif ?

Dans l’époque dans laquelle on vit, oui je pense. Parce qu’on est dans une société qui veut ça, qu’importe que tu sois reconnu ou non. A l’époque les mecs prenaient le melon parce qu’il étaient vite “le meilleur” tatoueur de ton coin. Aujourd’hui ça n’a pas trop changé, mais ça fait de la publicité. C’est un moyen de communication que presque tout le monde utilise, du coup il faut s’adapter à ça. Il faut suivre l’évolution de la société dans laquelle on vit sinon tu vis trop en marge. Je pense que tu te fais bouffer par ce système, ou alors il faut s’appeler Filip Leu ou bénéficier d’une sacré renommée. Avec le Bretzel on est connu en Alsace et dans les milieux spécialisés, peut-être un peu plus loin mais pas tant que ça.

À travers les conventions et le public tattoo, tu as vu évoluer ça comment?

En bien et en pas bien. En bien parce que y’a des gens qui ont jamais osé franchir le pas qui osent maintenant. Le tattoo est devenu un truc dans les codes, et du coup une ouverture d’esprit aux projets. Ce que je recherchais finalement quand j’ai commencé à tatouer.

Partout?

Il y a des régions plus difficiles que d’autres. Dans le sud par exemple, si un mec a un projet genre Johnny sur sa croix, tu ne le feras pas décrocher. Tu ne pourras pas l’amener sur autre chose que ce qu’il t’a apporté comme design. En revanche tout ce qui est sur l’Ouest, les mecs sont hyper open. Ils voient ce que tu fais, ils ont leur projet de base mais si tu leur proposes quelque chose, ils y restent ouverts.

Pour l’aspect moins positif?

Tu le sens quand tu as des gens gens qui viennent un peu influencés par leur milieu. Ils le font plus pour s’y intégrer, pas parce que ils en ont vraiment envie ou vraiment besoin. Sans jugement, mais tu te dis des fois que quand tu les tatoues ils risquent de le regretter. T’arrives pas à leur faire changer d’avis. Et ils ne vivent même pas forcément bien leur séance des fois. Ça a ramené aussi tout ce “gras”, ce star système qui tourne autour du tattoo et une nouvelle génération qui n’y connait rien à rien, c’est difficile.

C’est engendré par quoi selon toi?

La télé, entre autres. C’est un peu rebelle, c’est classe, c’est “swag” de tatouer...je ne sais pas si ça se dit encore (rires). Je dois dire que ça me fait un peu chier et ça ne m’intéresse pas. Le fait que cette communauté se soit beaucoup élargie c’est un peu comme le Hellfest. Au début on était pas forcément beaucoup, c’était convivial et y’avait ce mojo. Aujourd’hui ça se perd un peu, parce que c’est plus gros, y’a plus de monde. Y’a des gens qui passent et qui me demandent un apprentissage. Moi une de mes premières questions c’est leurs références. Ils me disent “euh….vous...Tin-Tin…” … mais Tin-Tin mec, ma grand-mère le connaît, tout le monde le connaît! Avant de m’intéresser sérieusement au tattoo je regardais les magazines, les boulots de Sabine Gaffron, de DimitriHK, Filip, Hernandez, tous ces mecs là. J’essayais un minimum de connaître le milieu dans lequel j’essayais de rentrer. C’est un milieu que j’aime vraiment beaucoup pour les valeurs que ça véhicule. Ça se perd un peu, à cause de ce “gras”. Mais c’est aussi à nous de faire perdurer ce truc-là.

Pourtant aujourd’hui les gens qui s’intéressent à ce milieu semblent plus éduqués et plus sélectifs, non?

Ça dépend, y’en a qui font attention et qui ne font pas n’importe quoi, d’autres...bon. C’est peut-être une impression parce que ça grossi, mais j’ai le sentiment qu’il y a plus de gens qui font n’importe quoi que des gens….qui font pas nimp’ (rires). Si ça se trouve la proportion est restée la même. Et peut-être que tous les vieux de toutes les générations ont dit ça. Peut-être que ça veut dire que je suis déjà un vieux (rires)

Est-ce que pour toi il y a eu des moments-clés techniquement?

Pas vraiment, je me remets à tatouer avec des manches en acier, au moins pour les lignes. J’ai tenté les rotatives mais sans plus. Je reste à l’ancienne école. J’ai des grandes mains donc j’ai pas de problème de tendinite. Je reste sur les Coils parce que tu les sens mieux. Je compare souvent ça à une bagnole, quand tu en as une toute automatisée, finalement tu sens moins bien la route. Avec les rotatives c’est un peu pareil : tu ne sens pas la peau. Avec une Coil, tu sens mieux la peau, même si il faut prendre un peu plus de temps pour la régler, mais au moins tu peux bricoler dessus, comme les vieilles bagnoles. J’ai entendu une anecdote de conv au sujet d’un tatoueur qui bossait à la Cheyenne. Elle est tombée en rade, du coup il n’a pas pu terminer son tattoo, c’est un peu con (rires). Si ma Coil tombe en rade, je sais la réparer. J’emmène toujours du matos pour au cas où un ressort pête ou autre. C’est le côté artisanal du tattoo aussi que j’aime.

On te demande beaucoup de covers et tu m’as confié aimer ça. C’est assez un discours à contre-courant, non?

Je sais pas si c’est à contre-courant, mais ce que je sais c’est que j’aime bien le cover pour plusieurs raisons. Il y a d’abord le coté challenge technique que j’aime. Partir d’une bouzille oblige à réfléchir dans des directions auxquelles on aurait pas forcement été sur une peau vierge. Ce que je trouve vraiment intéressant c’est de redonner vie à un vieux tattoo pourri. Pas mal de gens sont venus me voir en me confiant être complexés avec leur tattoo moisi. Ils n’osaient même plus le montrer, ou même aller à la plage ou à la piscine. Un vrai complexe. Ceux-ci franchissent une grosse étape en venant me voir. Ils ont été souvent déçus par un tatoueur et doivent refaire confiance à un autre. C’est pas toujours simple pour eux. Mais une fois la séance terminée, le fait de voir leur réaction m’honore et me gratifie. C’est un mélange de soulagement, de délivrance, de ré-appropriation de leur corps.

Comment tu vis aujourd’hui ton métier et comment tu vois a suite?

J’ai la passion du truc, je vis mon rêve d'enfant. C’est toujours ce que j’ai voulu faire. Je me laisse porter pour l’instant, y’a des idées, des envies, des choses qui vont changer, c’est sûr. J’adore le tattoo, mais tout un tas de choses me questionnent sur une potentielle pause pour m’orienter vers d’autres trucs. Peut-être plus d’illustrations ou monter une autre structure, on verra, c’est que des projets pour l’instant. www.facebook.com/bretzel.tattooclub