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Rocking Jerry Bean

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INTERVIEW ROCKIN JELLY BEAN- PAR PASCAL BAGOT

A l’occasion de sa deuxième exposition au studio/galerie Yôsô à Paris, l’artiste japonais Rockin Jelly Bean nous parle de son art excessif et obscène, grande messe célébrant les femmes, le rock et la culture américaine des années 60-70. Amen !

Quand on regarde ton travail, c’est difficile de t’imaginer avoir grandi dans un environnement aussi strict...

Mon père qui était pasteur, était extrêmement sévère et m’empêchait souvent de faire ce que je voulais. J’ai grandi dans une famille très ordinaire et je détestais être un garçon normal ; je voulais quelque chose de différent, qui me fasse sortir du lot. Quand j’ai commencé à faire des portraits de mes camarades à l’école, j’ai réalisé que je voulais devenir peintre. Mais, mon père n’a jamais été d’accord. Il n’a jamais apprécié ce que je faisais et, en fin de compte, il a toujours représenté une sorte d’obstacle à mon épanouissement. Ainsi, quand il est décédé d’une maladie, j’avais 19 ans, je me suis senti beaucoup plus libre.

Depuis quand dessines-tu les femmes ?

J’aime beaucoup les femmes nues depuis le plus jeune âge. Tout petit, j’étais attiré par les courbes de leur corps. Cela a sans doute commencer en regardant celles de ma mère. J’ai toujours trouvé le corps nu des femmes plus beau que celui des hommes ; j’aime sa souplesse, les fesses. Je suis très fier quand je constate que les femmes sont nombreuses à venir à mes séances de dédicace ou à se rendre visite à la boutique -dans le quartier de Harajuku à Tokyo. J’aime l’idée que mes illustrations puissent être une source d’inspiration. J’ai beaucoup de respect pour les femmes.

Ton univers s’inspire de la contre-culture américaine des années 60-70, comment l’as-tu découverte ?

Par la musique. Quand j’étais jeune j’écoutais les Doors, Jimi Hendrix, Janis Joplin, etc., et je regardais des films comme Easy Rider. J’ai été très influencé par tout ce mouvement et tout particulièrement le rapport très étroit entre musique et image, les pochettes de disque de l’époque comme celles de Grateful Dead réalisées par Rick Griffin. Trois artistes ont aussi eu une influence particulière: Gô Nagai (mangaka très populaire au Japon, ndlr), Robert Crumb et Robert Williams, initiateur du mouvement low-brow.

Quelle image avais-tu de l’Amérique depuis le Japon?

J’avais plus particulièrement une image de la Californie héritée des années 70 : un état peuplé de filles blondes à forte poitrine se déplaçant en rollers et écoutant de la musique avec leur walkman, ou habillées en petites tenues d’aérobic avec des shorts très courts. Pour moi, l’Amérique était un pays libre, sophistiqué et beau, où les filles blondes s’épanouissaient sous un soleil permanent.

En 1995 tu sautes le pas et pars t’installer à Los Angeles.

Je voulais vivre une partie de ma vie de peintre aux Etats-Unis. Depuis le lycée, en regardant des films comme « Grease », je me disais que ça devait être génial d’être adolescent là-bas ; j’étais furieux d’être coincé au Japon. Notre première tournée avec mon groupe (Rockin Jelly Bean est bassiste dans le groupe de rock «Jackie & the Cedrics »" ndlr) en 1992 m’a donné envie de vivre à Los Angeles. L’occasion s’est présentée peu de temps après, quand ma copine m’a largué. C’était ma chance, je suis parti et j’y suis resté 7 ans.

La Californie ressemblait-elle à celle que tu avais imaginée?

Elle était très différente de l’image renvoyée par les médias et les films. Sur le plan sexuel, c’était beaucoup moins libre que je ne l’avais imaginé. J’ai découvert beaucoup de contraintes liées à l’influence de la religion, aux mouvements féministes, mais aussi les restrictions liées à l’âge et à la consommation d’alcool ou tout simplement à l’accès aux salles de concert. Cela m’a beaucoup préoccupé.

Le puritanisme américain a-t-il été un obstacle à la diffusion de ton art?

Oui, c’était totalement inattendu. J’avais ainsi un projet de réalisation de briquets pour la marque Zippo, sur lesquels devaient être reprises des filles que j’avais dessinées. Les ouvrières de l’usine ont refusé de les fabriquer ! Mes dessins étaient trop explicites pour ces femmes catholiques et très croyantes, d’origines hispaniques. Les t-shirts que je faisais réaliser aux Etats-Unis n’ont pas non plus reçu l’autorisation d’être portés dans un espace public… J’étais choqué, je n’étais pas libre. J’ai alors pris conscience de certains côtés positifs du Japon.

Notamment de sa tolérance sur la représentation du sexe.

Nous jouissons au Japon d’une très grande liberté. Nous avons aussi la chance de disposer d’une importante création artistique orientée sur le sexe. Elle s’explique en partie par la sensibilité très aigüe, présente dans le monde des mangas et des otakus. Au Japon, le sexe existe dans une sorte de zone grise. Il y a par exemple des pages sexuelles dans les magazines lus par les salary men (les employés de bureau japonais, ndlr) dans le métro. Ca n’existe pas aux Etats-Unis. En discutant un jour avec des musiciens français, j’ai été heureux de les entendre dire qu’ils aimaient aussi cet érotisme. Sans doute parce qu’ils ont une histoire plus longue, les Européens sont capables d’aborder mon travail avec humour et ainsi de l’apprécier.

Tes illustrations sont aussi drôles...

Certaines personnes voient mon travail comme de la pornographie, mais l’aspect comique est aussi important. J’aime le regarder comme une sorte de plaisanterie. L’humour est particulièrement présent dans les posters que je fais de films fictifs. Par exemple « Super Foxy », qui fait référence aux films de la Blaxploitation, ou « Platoon of big tits », qui est une version comique et érotique d’un film de guerre du Vietnam. J’espère que vous apprécierez la description des culottes, j’y mets beaucoup d’énergie !

Quelle place a le tatouage dans tes illustrations ?

C’est quelque chose de beau, aujourd’hui de très naturel, de normal. Comme on peut choisir un vêtement, une coiffure, on peut aussi choisir un tatouage. Dans mes dessins, ils me permettent de dévoiler un peu de l’identité des filles. Je prends du temps pour faire des recherches sur le choix des motifs, mais j’aime le style néo-classique des marins américains. Il s’intègre bien avec le mien, un peu ancien. Rockin Jelly Bean sera exposé chez Yôso jusqu’au 1er septembre, à l’occasion de l’événement « Tokyo Noir II ». Yôsô- 5 Rue Euryale Dehaynin, 75019 Paris +: http://www.rockinjellybean.com http://erostika.net/blog.php