Inkers MAGAZINE - ELIE HAMMOND

>MAGAZINE>Portraits>ELIE HAMMOND

ELIE HAMMOND

Partager

INTERVIEW ELIE HAMMOND

@pascalbagot

À l’occasion de l’ouverture de son premier studio, Arcane, la tatoueuse française Elie Hammond revient sur son parcours, ses inspirations et sa vision du tatouage. De ses débuts autodidactes à la création d’un espace unique mêlant art et convivialité, elle nous parle de liberté, de créativité et de transmission. Rencontre avec une artiste qui place l’humain et la passion au cœur de son travail.

Tu viens d’ouvrir Arcane, ton premier shop. Peux-tu nous en parler ?

Arcane est, à ce jour, le projet le plus important dans lequel je me suis investie. Il représente neuf mois de travail durant lesquels j’ai d’abord imaginé et planifié l’ensemble, trouvé le local, lancé les travaux, puis réalisé moi-même une partie d’entre eux avant d’aménager et de décorer l’espace dans un style mêlant boudoir mystique et Art nouveau. Le studio, qui accueille cinq postes et dispose d’un bel espace de repos et de création, a finalement ouvert ses portes en octobre, comme je l’avais souhaité au départ.

Quelles sont les motivations qui t’ont poussée à mener ce projet ?

Le studio est né de l’envie de créer ma Maison : un lieu à mon image, dans lequel chacun·e puisse se sentir bien, un espace qui appelle à la créativité. C’est sans doute pour moi une façon de clore une ère - celle de mes voyages initiatiques - pour entrer dans celle du partage et de la transmission des enseignements appris en cours de route, à ma manière. J’ai envie d’œuvrer pour une vision du tatouage plus ouverte et collaborative, de remettre l’humain au cœur de la création et la création au cœur du tatouage. Je veux offrir une véritable maison à celles et ceux qui souhaiteraient me rejoindre dans cette démarche, portée par les valeurs qui m’ont donné l’espoir et la force de mener ce projet à bien.

Justement, parlons un peu de celles et ceux qui te rejoignent dans cette aventure, peux-tu nous présenter l’équipe du shop ?

Avec grand plaisir ! J’ai réuni autour de moi des artistes que je connais bien - voir très bien - puisque parmi eux se trouvent notamment mon compagnon, Kilian d’Angelo, ainsi qu’une ancienne collègue et amie, Daniela. C’est une personne rayonnante, pleine d’énergie, qui s’investit toujours à fond dans chaque projet qu’elle entreprend ou rejoint. Je savais que sa présence serait une vraie force pour Arcane, alors je l’ai contactée très tôt, dès le lancement. Marine Cellesink m’a également demandé à rejoindre l’équipe, malgré le fait qu’elle doive quitter Lyon et qu’elle ne manque absolument pas d’opportunités là-bas. J’ai été sincèrement touchée que la confiance qu’elle me porte lui donne envie de me suivre. Gaker, dont le travail ornemental est aussi solide que la personne elle-même, a répondu à mon appel sur les réseaux sociaux, et je ne pouvais pas rêver meilleure candidate.

Tu prévois des guests réguliers ?

Oui, il y aura Baptiste, alias Nuit Noire, et Monkey, que je croise depuis plusieurs années en conventions ou ailleurs. Et bien sûr, il y a Kilian qui, en plus d’exceller aussi bien en réalisme qu’en illustration, m’a énormément aidée : il a su apaiser mes doutes quand j’en avais, et n’a pas hésité à participer aux travaux.

Comment avez-vous choisi le nom du shop Arcane Tattoo Studio? Fait-il référence à la célèbre sérié série animée, au tarot ?

Les deux ! Avoir un nom court et percutant fait toujours son petit effet ; c’est d’ailleurs ce que m’a inspiré le shop d’Alix Ge, Vacarme. Je trouvais que ce nom lui allait parfaitement, et même si je n’ai pas encore eu l’occasion de lui rendre visite, je suis sûre qu’il correspond exactement au lieu qu’elle a créé. Il me fallait donc, moi aussi, un nom fort, qui sonne comme une évidence. Comme on m’appelle « l’Oracle » depuis quelques années déjà, c’est venu tout naturellement. Et comment nier mon amour pour la série animée, en effet ! Un véritable chef-d’œuvre graphique, qui met en scène mes deux personnages préférés de League of Legends. Bien que je n’aie jamais joué au jeu, on m’avait un jour commandé une illustration en me demandant de choisir un personnage de LoL et de créer librement autour. J’ai longtemps hésité entre Jinx et Vi, puis j’ai finalement opté pour Vi. Autant dire ma joie lorsque j’ai découvert la bande-annonce de la série !

Ouvrir un shop, aujourd’hui, représente une prise de risque dans une période qui n’y est pas forcément propice. Comment abordes-tu cela ?

Trop attendre le bon moment, c’est prendre le risque de ne jamais rien faire. Je comprends tout à fait que la situation puisse être frustrante, voire décourageante, mais je pense que chaque difficulté peut être abordée avec créativité ou philosophie. J’ai donc choisi de voir cette période comme une opportunité : celle de constituer une équipe en fonction non seulement des qualités artistiques et humaines de chacun·e, mais aussi de leur manière d’appréhender le contexte actuel. Ainsi, je me suis entourée d’artistes qui regardent l’avenir avec optimisme et avec la volonté ferme de préserver la place qu’ils et elles se sont construite dans le milieu. Avoir réuni autour d’Arcane des personnalités aussi fortes fait partie de mes plus grandes fiertés cette année.

Est-ce pour toi l’aboutissement logique d’un parcours qui s’inscrit depuis longtemps dans les codes et traditions du milieu ?

Bien que je sois respectueuse des traditions, je n’ai jamais cherché à les suivre à tout prix. Tant que j’agissais avec intégrité, respect et loyauté, j’ai toujours suivi ma propre voie. Je dirais donc que ce projet est plutôt l’aboutissement d’une philosophie de vie profondément ancrée en moi : celle d’être libre. Et par là, j’entends être libre de faire les choses à ma manière, parce qu’elles ont du sens, avec les contraintes que je choisis. Mais surtout, j’ai envie de me battre pour mon rêve, et non plus pour celui des autres.

À tes débuts, tu as visité de nombreux shops, rencontré beaucoup de tatoueurs et travaillé auprès de grands noms. Que retiens-tu de ces expériences ?

Je dirais que ce que j’en ai retiré est autant humain qu’artistique et pratique. Me rapprocher de grands artistes dès mes débuts a été déterminant pour moi, qui suis autodidacte en dessin. Ils m’ont aidée à croire en moi, à affiner mon regard, et m’ont montré qu’on pouvait être grand tout en restant humble. J’ai pu entendre des récits d’un autre temps, développer ma culture tattoo, et observer des façons très différentes de pratiquer et de vivre le tatouage. J’ai également pu découvrir diverses manières de gérer un shop et voir comment certaines décisions pouvaient impacter sa vie, de façon positive comme négative. Toutes ces expériences me permettent aujourd’hui de me sentir prête à relever le défi de passer à l’étape suivante.

En quoi ces rencontres ont-elles façonné la professionnelle que tu es aujourd’hui ?

Parce que j’ai tissé des liens d’amitié avec certains de ces artistes, donner le meilleur de moi-même était ma façon d’honorer le temps qu’ils m’avaient accordé. Je me souviens d’une fois où je suis retournée voir la famille Leu, avec un cadeau. Lorsque je l’ai tendu à Titine, elle m’a souri et m’a dit avec une grande bienveillance : « Deviens une super artiste, c’est le plus beau cadeau que tu pourras nous faire. » J’ai donc continué à avancer, avec l’idée que si eux croyaient en moi, je ne pouvais pas me permettre de faire autrement. Aujourd’hui, je n’avance plus pour rendre qui que ce soit fier - même si cela a été un moteur formidable pendant des années - mais pour moi-même, avec des standards très élevés forgés par toutes ces rencontres.

Quel regard portes-tu sur les nouvelles générations qui se lancent dans le tatouage du jour au lendemain ?

Ce n’est pas tant le fait que des personnes se lancent du jour au lendemain qui m’interpelle. Nous vivons dans une époque où tout est accessible très vite ; cela nourrit forcément l’impulsivité, et il faut savoir en tenir compte. Ce qui est important, à mon sens, c’est de savoir si ces personnes se donnent réellement les moyens d’être à la hauteur de leurs ambitions, et à la hauteur de ce que le métier exige. Car c’est cela, au final, qui façonnera les professionnels qu’ils et elles deviendront. Ce que je constate en revanche, c’est que la rupture apparente entre les anciennes et les nouvelles générations fait peser le risque de perdre une part du savoir et de l’essence de ce métier. Je pense qu’aujourd’hui, la meilleure chose à faire est d’accueillir avec bienveillance celles et ceux qui aiment cette profession, car ils représentent la relève de demain.

Sur le plan artistique, peux-tu nous parler de ton univers et de tes influences ?

À mes débuts, j’étais très influencée par les comics américains, mais c’était avant que la poésie ne revienne s’inviter dans mon travail. La découverte du style néo-traditionnel a été une révélation, et avec le temps mes inspirations se sont davantage tournées vers les peintres classiques et l’Art nouveau. Côté tattoo, je crois que j’ai toujours aimé les artistes « hybrides », ceux qui, comme moi, se situent à la frontière de plusieurs styles, à l’image de Teresa Sharpe dont le travail oscille entre le new school et le néo-traditionnel, ou Filouino, entre le néo trad et l’ornemental, une direction que j’ai envie de suivre.

Tu affectionnes particulièrement la mythologie et le mystique, peux-tu nous en dire plus ?

Mon amour pour la mythologique, à commencer par la mythologie égyptienne, remonte à mon enfance. J’ai toujours aimé ce qui fait sortir du réel, que je trouve bien gris. Et je ne saurais plus dire si c’est l’esthétique ou les mythes qui m’ont touché en premier mais l’amour de l’un est venu alimenter l’amour de l’autre et inversement. Le mystique, c’est plus personnel. Je cogite beaucoup et j’aime l’idée de se reconnecter à son intuition, de s’intéresser à ce que le cerveau n’explique pas. Je me fais parfois tirer les cartes et je pratique également moi même, mais plutôt que de voir cela comme des signes prophétiques, je vois le tirage comme le conseil d’un ami qui me veut du bien, ce qui m’invite toujours à observer la question posée sous un autre angle. Peut être aussi que c’est le fait de croire que j’ai une bonne étoile qui me donne le courage d’avancer et parfois même de prendre des risques.

Quels autres thèmes te tiennent à cœur ?

J’adore la Dark Fantasy et tout ce qui relève de l’épique. Pour te dire, j’ai une hallebarde porte-bonheur qui n’est jamais très loin de mon poste de travail et que je trimballe de shop en shop depuis déjà quelques années. J’aime aussi dessiner les femmes, les crânes et les animaux - particulièrement les oiseaux. J’ai également envie, aujourd’hui, d’intégrer davantage de végétal dans mes pièces. En attendant d’apprendre à garder des plantes en vie chez moi, j’aime l’idée de les rendre éternelles sur la peau de mes clients.

Tu ne fais pas que tatouer : tu as notamment participé à une BD sur les chats. Peux-tu nous en parler ?

Alors, ce n’est pas une BD, mais un grimoire de sorcière ! C’est le projet de Fanny Bailly, créatrice et autrice que j’ai rencontrée il y a maintenant deux ans et demi lors d’une convention tattoo. J’ai immédiatement été attirée par ses bougies artisanales et son univers witchy (de sorcellerie), ce qui nous a permis de sympathiser. Mais notre lien s’est vraiment renforcé lorsqu’elle a perdu son chat. Ayant moi aussi vécu le deuil d’un félin, j’ai pu comprendre sa peine et lui apporter un soutien émotionnel. Puis elle m’a demandé de lui faire un tatouage en hommage à son chat, et lorsqu’elle a commencé à écrire son livre, il lui a semblé évident que j’en sois l’illustratrice. Le livre parle d’abord du lien entre les femmes - et plus précisément entre sorcières - et les chats. Ensuite, il comporte une partie pratique avec les bases de la sorcellerie et des rituels à réaliser en duo avec son animal, pour se terminer sur le deuil félin, avec des rituels et des pratiques de communication avec l’invisible. Grâce à notre histoire commune avec les chats et au lien d’amitié qui en a découlé, nous nous sommes énormément investies dans ce projet. Nous y avons mis tout notre cœur pour offrir la plus belle des offrandes à tous les chats. Je tiens également à remercier notre agent, Catherine Maillard, pour ses précieux conseils, ainsi que la maison d’édition Jouvence pour tout le travail accompli et pour nous avoir réellement permis d’exprimer notre vision esthétique du livre.

C'est important pour toi de garder d’autres espaces d’expression créative en dehors du tatouage ?

Absolument ! Ce n’est pas obligatoire, mais je pense que lorsque ta passion devient ton travail, il est essentiel de se trouver d’autres hobbies. Il est important de laisser à la créativité un espace d’expérimentation et de jeu, un lieu où l’on est libéré de l’envie de plaire au client ou de la pression de la rentabilité. C’est un des moyens de garder la flamme vivante. Sans compter que ce qui nous fait grandir en tant qu’artiste contribue forcément à nous enrichir en tant que tatoueur·se. J’ai ainsi exploré de nombreux médiums : crayons de couleur, feutres à alcool, aquarelle, acrylique, fusain, peinture à l’huile, mais aussi le modelage d’argile et la modélisation 3D. Et, en vérité, j’aimerais tellement avoir le temps de tester encore plus de techniques : linogravure, photographie, lithographie… C’est aussi rassurant de se dire que, quoi qu’il arrive avec le tattoo à l’avenir, j’aurai toujours un moyen d’exprimer ma créativité.

+ IG : @eliehammond @arcane.tts Photo de couverture par Alexandra Bay www.arcanetattoostudio.com Arcane Tattoo Studio 4 RUE ARISTE HEMARD 93100 MONTREUIL