Fondateur, avec Jef Palumbo de l’emblématique Boucherie Moderne à Bruxelles, Kostek a insufflé ses lignes graphiques et ses patterns géométriques dans le paysage du tatouage.Pour lui, tatouer va bien au-delà d’un simple service commercial. C’est la liberté de s’exprimer, l’échange avec le client et le freehand qui le guident.
Comment est-ce que tu as connu le tatouage ? Qu'est-ce qui t'a attiré en premier lieu ?
C'est un peu le monde du rock. J’ai suivi Jef (Palumbo) qui voulait être tatoueur depuis tout petit. On est allés chercher ses premières machines ensemble en Angleterre. Donc on avait pris la moto, on était allés chercher ces fameuses machines. À l'époque, il n'y avait pas de convention, il tatouait sur des salons de moto. A ce moment-là, tout l'imaginaire ne m'intéressait pas vraiment. Après il y a eu la rencontre avec Yann Black et le rock. Et tu te dis, tiens on peut faire des trucs qui nous plaisent un peu plus. C'est vraiment une ouverture.
Et comment tu as appris le métier ?
J'ai appris tout seul avec Jef. À l'époque pour apprendre, tu trouvais tes cobayes, tous tes vieux potes autour de toi. Les potes qui sont toujours volontaires. Ce n’était pas comme maintenant, il fallait souder les aiguilles. Tu passais deux heures à faire les aiguilles, et puis les souder. La magie, c'est de dessiner sur la personne et d'en faire quelque chose. Tout en freehand et sans savoir ce qu'on va faire avant. C'est aussi la rencontre, tout est le résultat et le fruit de la rencontre. Bien sûr les gens viennent avec des idées. C'était la grosse mode du tribal et du polynésien. Je leur disais: «je ne vais pas faire du polynésien, je vais te faire un dessin et si ça te plaît, on le tatoue». Ça a commencé comme ça. Les gens étaient coincés dans ces imageries donc forcément il fallait aussi pouvoir amener autre chose. Se rendre compte que tout est possible et qu'on n'est pas obligé de rester sur des codes traditionnels américains ou japonais.
Est-ce que tu peux me raconter un peu ton parcours depuis tes débuts, quelles ont été les étapes importantes ?
C'est la rencontre avec Jef. Je faisais beaucoup de sérigraphie à l'époque, j'avais mon atelier dans sa cave et un jour il m'a dit: «écoute, j'en ai marre de te voir galérer. Tu voyages tout le temps, moi je ne bouge pas. Donc si on alliait un peu nos savoir-faire, si on se mettait à deux, ça irait beaucoup mieux.» Effectivement, ça a été quand même un peu magique pour nous. Donc j'ai commencé à me former chez lui, j'habitais Bruxelles. J'étais dans les Marolles, qui était le quartier un peu plus vieux de Bruxelles. Je ne comprenais pas qu'il n'y ait pas de studio de tatouage dans ce quartier où il y avait encore un peu tous les prolétaires. Un jour j'ai trouvé une boutique, et là j'ai appelé Jef pour lui dire que c’était maintenant ou jamais. Et ça a été le début de la Boucherie Moderne en 2005. Je suis resté jusqu'en 2011. Après le quartier s'est gentrifié tout doucement et je ne voulais pas devenir un commerçant. Donc j'ai décidé d'arrêter. Jef aussi et on a transmis la boutique à Guillaume. Je suis ensuite parti en privé, comme ça j'avais une salle de répèt' aussi à la cave. Et puis je voulais loger les gens chez moi. Ce n'est pas qu'un acte commercial, on partage des liens, c'est un peu une communauté.
Et où est-ce que tu tatoues maintenant ?
Je tatoue encore à Bruxelles, en privé et je vais être sur la route. Je ne suis pas vraiment dans le circuit du tatouage tout en étant dans le circuit des tatoueurs. Je tatoue aussi chez moi aux Canaries.
Est-ce que t'as eu des mentors dans le métier ou simplement des artistes qui t'ont inspiré à tes débuts?
C'est Yann Black dans le tatouage. Dans le graphisme, j'ai été hyper influencé par Escher, un artiste hollandais. Dans tous mes dessins, souvent, il y a des choses impossibles, des choses qui ne sont pas logiques, qui n'existent pas. C'est des espaces où tu peux créer des choses qui n'existent pas. Et puis la musique, un peu toute la contre-culture punk-rock.
Est-ce que ce métier te donne la liberté dont tu as besoin ?
Oui, j'ai toujours estimé qu'on était rétribué aussi par nos clients pour exister, pour être intègre. On représente quelque chose. Ils achètent un tatouage, mais on leur donne plus que ça, on leur donne aussi tout ce que ça représente. J'estime qu'il y a encore un peu ce côté chamanique. Tu mets un peu de ton âme et on transforme les gens quand même à chaque fois. Il faut être à la hauteur de ce qu'ils viennent chercher chez toi. C'est plus qu'un commerce, qu'un service. Tout est dans le relationnel. Tu accompagnes les gens pendant des heures, ils reviennent, parfois cinq ans après, et cette intimité est là tout de suite. Je fais avec passion, avec cœur, c'est un métier super privilégié.
Et à la base tu étais sérigraphe ? Comment ton travail de sérigraphie a pu influencer ta technique ou ton style de tatouage ?
Oui j'ai fait la sérigraphie aux Beaux-Arts. Je faisais des t-shirts, je tournais sur les festivals. Au début je faisais des petites séries, après je faisais des pièces uniques. Un gros compliment qu'on m'a fait, c'est de me dire que mon boulot était très ethnique. Très simple. Et effectivement, c'est très primitif dans la manière de le percevoir.
Comment travailles-tu tes motifs ?
Je dirais que c'est le dessin qui alimente. Parfois c'est l'accident. C'est aussi la culture en art. Je trouve que c'est toujours aussi la culture de l'accident, c'est-à-dire aller quelque part ou ne pas te répéter tout le temps. C'est trouver l'endroit où tu vas devoir innover.
Comment travailles-tu ça avec le client ?
Un bon tatouage ne se fait pas seul. C'est là où le client va t'amener, c'est une réflexion à deux. Je ne demande rien avant. Je ne veux rien savoir. C'est vraiment très spontané, c'est du ressenti. Je leur demande ce qu'ils veulent. De toute façon, tout se fait au dessin. L'inspiration vient beaucoup du corps. Et le corps s'exprime. D'ailleurs deux personnes qui ont la même idée mais qui n’ont pas le même physique, ça va être des tatouages radicalement différents.
Le positionnement du tatouage sur le corps, ça me paraît assez primordial dans ton travail. Comment tu arrives à trouver le parfait équilibre ? Est-ce que c'est une question justement d'inspiration, de feeling artistique ?
C'est une question de savoir se mettre à la disposition du corps, c'est-à-dire savoir mettre le corps en valeur et ne pas mettre son tatouage en valeur. Le corps n'est pas une vitrine de ton travail.
Est-ce pour ça que tu préfères travailler en freehand ?
Tu fais ce que tu veux en freehand. Je ne peux pas considérer faire un projet avant. Ça n'a pas de sens. Quand tu dessines, tu as toute la liberté. Même l'erreur t'en fait une force. Les erreurs peuvent être le début de quelque chose de bien. C'est aussi une question de confiance en soi et de confiance que tu donnes au client. Un tatouage réussi, c'est aussi quelqu'un qui est très bien avec et qui en est fier. L'expérience est hyper importante.
Comment tu accompagnes tes clients sur le changement de leur corps ? Est-ce que c'est vraiment une responsabilité pour toi ?
Oui, parce qu'on va changer le regard qu'ils ont sur eux. Souvent, je leur dis: «écoute, si ça ne te plaît pas, tu ne le fais pas.» Et moi, ça me donne également la même liberté, c'est-à-dire que si ça ne me plaît pas, je ne le fais pas non plus. Donc c’est vraiment un acte de consentement mutuel. Quand on y va, on y va à deux.
Comment a évolué ton style au fil des années ? Est-ce que tu as réussi à avancer comme tu le souhaitais, rester fidèle à ta vision du tatouage ?
Oui, je pense. Après on n'avance jamais comme on veut, on voudrait toujours être mieux, on voudrait toujours faire mieux. Tant que ça se passe bien, tant que j'ai envie de tatouer, tant que je suis bien avec les gens et tant que les gens sont bien avec moi, ça continue.
Et t'es également peintre. J'ai pu voir que tes peintures sont aussi géométriques mais plus colorées. Pourquoi t'as choisi de mettre des couleurs sur la toile et pas sur la peau ?
La couleur ça a toujours été là mais pas sur les corps. Les corps c'est du noir et du rouge parce que c'est les couleurs qui restent., Et un peu de bleu aussi. En tatouage pour moi ça doit rester très primitif. Je trouve qu’il n'y a pas grand chose d'aussi beau que le noir. Il n'y a pas besoin de couleur. La peau est déjà une couleur. Le rouge, le noir, le bleu, tu as déjà quatre couleurs. C'est déjà complexe, travailler à quatre couleurs.
Est-ce que pour toi, c'est une pratique complémentaire du tatouage ou est-ce qu'un jour, tu aimerais ne faire que peindre ?
Non, c'est complémentaire. L'un alimente l'autre. C'est comme la musique, c'est pareil. Tout s’alimente. C'est des vases communicants. Tout est connecté. Ce que tu ne peux pas faire en tattoo, tu vas le faire en dessin. En dessin, tu as toute la liberté. En tattoo, tu es quand même au service de quelqu'un. L'intérêt principal, c'est que la personne soit contente. En dessin, tu es plus proche de la peinture. C'est beaucoup plus compliqué. Il n'y a plus que toi. C'est ton niveau d'exigence à toi envers toi-même. @kostekstekkos