Photographe attiré par les cultures alternatives, Cameron Rennie, jeune Écossais de 28 ans, glisse progressivement dans le milieu du tatouage dont il tombe amoureux. Après avoir photographié plusieurs de ses acteurs, son vif désir de faire d’autres rencontres l’amène à multiplier les portraits et à parcourir le Royaume-Uni. Un projet toujours avide de nouvelles images qui donne aujourd’hui à voir une fascinante mosaïque du tatouage britannique contemporain.
Depuis combien de temps fais-tu de la photographie et comment as-tu commencé ?
Je photographie depuis environ cinq ans. J'aime aussi beaucoup l'escalade et certains de mes amis avec qui je pratique prenaient des photos lors de nos sorties avec de vieux appareils argentiques. J'étais vraiment obsédé par leurs appareils et j'ai décidé d'essayer moi-même. Je suis donc allé dans un magasin dans ma ville natale d'Édimbourg (Écosse) et j'ai acheté un Olympus Pen, qui m'a rendu accro. Très vite, j'ai voulu avoir un peu plus de contrôle sur l'image et je me suis acheté un Pentax ME Super avec un 50 mm 1,7. J'ai découvert que je pouvais obtenir exactement ce que je voulais en utilisant cet objectif. J'ai rapidement su que je voulais faire des portraits et je me suis mis au défi de réaliser dix portraits d'amis autour d'Édimbourg en un mois. Le reste appartient à l'histoire.
En dehors du tatouage, tu t'intéresses à la culture alternative en général ?
Oui, je dirais que j'ai toujours été intéressé par la « culture alternative ». J'ai grandi dans un quartier très populaire où le football et le pub étaient la norme le week-end. Cependant, moi je préférais faire du skateboard, jouer dans des groupes punk et parcourir les nombreux magasins alternatifs d'Édimbourg. En grandissant, jouer dans des groupes de hardcore est quelque chose que j’ai voulu prendre plus au sérieux et j'ai passé le début de ma vingtaine à poursuivre ce rêve. Des années plus tard, je dirais que je suis toujours attiré par les choses qui se situent à la limite de la « normalité ». Après une longue période à chercher un endroit où être moi-même, j’ai trouvé ma place dans le milieu du tatouage. Il était évident que, dès le début, je voulais prendre des photos de personnes tatouées. Cependant, avec le temps, j'ai compris pourquoi cela me semblait si naturel. Lorsque j'ai commencé à me rendre à des conventions de tatouage, j'ai découvert une communauté de personnes qui partagent les mêmes sentiments que moi. Je pense que le milieu du tatouage est magique, l’art en lui-même mais aussi le fait qu'il soit si alternatif. Et surtout, les gens me fascinent.
Parles-nous de ce projet photographique, le « Continuous Portrait Project « , où et quand a-t-il débuté ?
Le projet a débuté à Édimbourg. À l'origine, je photographiais tout le monde, les gens que je trouvais intéressants et ceux qui étaient impliqués dans les mêmes activités que moi : des grimpeurs, des baristas, des propriétaires d'entreprises locales, des artistes et aussi des personnes tatouées. Après le premier confinement, un ami m'a demandé de prendre des photos pour son instagram. C'était le coup de pouce dont j'avais besoin. J’ai soudain ressenti une énorme poussée de confiance en moi, je me suis dit : « quelqu'un pense que je suis assez bon pour me payer ». Après cela, j'ai eu plus de travail et j'ai pu quitter mon emploi à temps partiel pour finir à temps plein. C'est à ce moment-là que j'ai commencé à prendre le projet plus au sérieux. Soudain, j'ai pu fixer mon propre emploi du temps et partir en voyage pour prendre des photos. Je ne me souviens pas exactement quand, mais à ce moment-là, j'ai décidé qu'il ne s'agirait plus que de personnes tatouées. J'ai toujours voulu que ce soit le cas, mais le fait de voyager m'a permis de me concentrer sur ce sujet et d'en faire un projet axé sur les implications sociales du tatouage. Les gens ont commencé à s'y intéresser après cela.
Quel était ton objectif ?
Il n'y a jamais vraiment eu d'objectif, à l'origine c'était juste pour m'amuser. Mais ces dernières années, il s'agissait d'essayer de montrer au grand public toutes les personnes vraiment incroyables que nous avons au sein de la communauté des tatoueurs au Royaume-Uni. Cependant, j'ai toujours maintenu qu'il s'agissait plus des gens que des tatouages. D'un point de vue plus professionnel, ce serait incroyable si je pouvais en faire mon travail principal, mais le simple fait de travailler avec un appareil photo chaque jour est bien plus que ce que j'aurais pu imaginer faire dans ma vie. Je suis toujours satisfait par le fait que les gens aiment suffisamment mes photos pour m'embaucher, c'est un plaisir.
Qu'en est-il aujourd'hui et à l'avenir ? S'agit-il d'une cartographie du tatouage professionnel dans l'Angleterre du XXIe siècle ?
Pour l'instant, il s'agit d'un effort pour documenter tout ce qui rend le tatouage si fantastique au Royaume-Uni et en Irlande. J'espère qu'à l'avenir, il sera possible de faire la même chose dans le monde entier. J'aimerais aller aux États-Unis et dans d'autres pays d'Europe. Nous avons également un livre qui sortira en décembre, j'espère qu'il contribuera à faire connaître ce que je fais à un public plus large.
Comment choisis-tu les tatoueurs que tu photographies ?
Je choisis les tatoueurs que je rencontre principalement en fonction des recommandations d'autres tatoueurs et de mon audience sur instagram. La seule chose qu'ils ont tous en commun est qu'ils ont tous des tatouages, comme je l'ai déjà dit. J’ai toujours voulu plus m’intéresser aux gens qu’aux tatouages bien qu’il faille en avoir pour être photographié (pour ce projet). J'ai récemment photographié un homme appelé Earl Knight qui n'a pas de tatouages en raison d'une maladie appelée hémophilie, elle empêche la coagulation du sang. Il détient cependant un record, celui d'avoir visité plus de conventions de tatouage que n'importe qui d'autre sur la planète. J’ai donc pensé que je devais l'inclure. On dit souvent que « la contrainte engendre la créativité » et mes contraintes sont le noir et blanc, les tatouages, instagram.
Pourquoi photographies-tu qu'en noir et blanc ?
En fait, je suis assez daltonien (rouge et vert). Je peux donc voir la couleur et prendre des photos en couleur, mais le fait de l'enlever simplifie les choses pour moi et me permet de mieux comprendre l'image. J'ai également l'impression que le noir et blanc raconte une meilleure histoire qu'une photographie en couleur. Elle va droit au but. Je pense que le noir et blanc, associé à un objectif dont l’ouverture est très grande (1,4 ou moins), me permet de ne montrer que les détails que je veux que le spectateur voie. Il a toujours été important pour moi de contrôler entièrement les images que je crée. Je fais souvent la mise au point à la main plutôt que de me fier à l'appareil photo. Le spectateur doit voir exactement ce que j'ai vu, de la manière dont je l'ai vu.
Passer du temps avec des personnages hauts en couleur comme ceux que tu photographies n'est pas sans surprises (et dangers entre autres pour le foie !) et j'imagine que tout ne se passe pas comme sur des roulettes. As-tu des anecdotes à nous raconter ?
Haha ! Oui, tu as raison, les tatoueurs aiment vivre un peu plus chaotiquement ! J'ai vécu une aventure incroyable au cours de tous mes voyages au Royaume-Uni mais, personnellement, j'essaie de quitter la fête assez tôt. Mes anecdotes préférées sont les plus saines, en comparaison avec d’autres plus chaotiques. Comme la visite du musée du tatouage de Rambo à Liverpool ou encore l'inspection de peaux tatouées du dix-huitième siècle, jamais vues auparavant, avec Matt Lodder. Récemment j'ai été voir des menhirs du néolithiques en Irlande avec des tatoueurs et OUI, j'ai passé quelques nuits assez folles dehors… Surtout à Manchester ! Ces gars-là sont des durs à cuire ! Je ne me suis jamais retrouvé dans de mauvaises situations, toutes les personnes que j'ai rencontrées jusqu'à présent ont eu tendance à se rapprocher de moi, même les personnages difficiles.
Tes photos reflètent le plaisir que tu prends à rencontrer les gens, une expérience que tu partages ensuite sur instagram dans les commentaires de tes posts, mais aussi dans les interviews que tu publies pour le magazine britannique Total Tattoo. Cette dimension humaine, ces échanges, jouent un rôle important dans ta passion pour le tatouage ?
J'aime tout simplement les gens. C’est le moteur sous-jacent depuis toujours : rencontrer des gens différents de moi et issus d'horizons variés. J'aime le tatouage pour la même raison que j'aime prendre des photos. Plus que de l'art sur la peau, je pense qu’il s'agit d'un échange d'énergie. Lorsque vous vous faites tatouer dans de bonnes conditions, vous repartez avec un peu de l'énergie de cette personne. J'ai un tatouage d'un tatoueur d'Édimbourg, Bill Hooper, qui est malheureusement décédé l'année dernière. Il n'est peut-être plus là, mais un peu de son incroyable vie continue d'exister, sur mon bras. En un sens, j’ai l'impression que les photographies font la même chose. Elles capturent un moment et une énergie que je peux emporter avec moi pour toujours. Je trouve cela fascinant et je me surprends à m'émouvoir en regardant ma collection d’images. J'ai également rencontré certaines des meilleures personnes de ma vie grâce à ce projet et au tatouage, comme une véritable famille. Le tatouage est incroyable.
La dernière fois que nous nous sommes rencontrés à la London Tattoo Convention, tu m'as parlé d'une photographie dont tu étais particulièrement fier, celle de Steven Wrigley. Qu'est-ce que cette photo représente pour toi ?
Il y a quelques photos dont je suis très fier et la photo de Stevens en fait définitivement partie. J'ai l'impression qu'il est un peu une icône culturelle en Écosse en matière de tatouage et je suis fier d'avoir pu attirer l'attention sur lui. Peut-être pas tant pour l'ancienne génération que pour les gens de mon âge. Je ne savais pas grand-chose de lui avant de commencer et j'ai l'impression de m'être fait un véritable ami depuis. J’adore aller là-bas, me faire tatouer et entendre ses histoires.
En matière de photographie, es-tu plutôt analogique ou numérique ?
L'analogique d'abord, le numérique ensuite. J'ai appris avec l'analogique, ce qui n'était pas plus facile financièrement, mais cela m'a aussi appris comment fonctionne exactement un appareil photo. J'ai fait des essais et des erreurs jusqu'à ce que j'obtienne ce que je voulais. Cependant, lorsque je voyage dans tout le Royaume-Uni et que je n'ai que quinze minutes pour bien faire les choses, le numérique est la seule solution. J'adore utiliser des appareils photo argentiques lorsque j'en ai le temps, en vacances ou à d’autres occasions. Il n'y a rien que je préfère de plus que de m'asseoir dans un café devant une tasse fumante avec de la bonne musique et de retoucher une image pour la rendre telle que je l'aime.
De quels photographes te sens-tu proche ?
Mon photographe préféré est Derek Ridgers. Ses portraits de punks et de skins à Londres, réalisés dans les années 1980, ont toujours eu une résonance profonde en moi. J'aimais sa façon de prendre des photos et, à l'origine, j'ai essayé de reproduire ses images avant de trouver mon propre style. Mais je peux encore voir des aspects de son travail dans le mien. J'aime aussi des photographes plus contemporains comme Danny Woodstock et Haris Newcombe, qui ont bien saisi la culture alternative. Je pense aussi que mon amour du skateboard a influencé mon travail. J'ai toujours aimé les photos au fisheye bien que je n'en utilise pas. J’aime la façon dont le fisheye dirige l'œil du spectateur tout en racontant une histoire complète.
L'art, et la photographie en particulier, t’ont aidé à traverser des périodes difficiles de ta vie.
J'ai eu quelques difficultés à l'école et j'ai toujours eu des problèmes scolaires. À l'école, j'ai été très tôt identifié comme intelligent, mais j'ai eu du mal à me concentrer et j'ai ensuite perdu tout intérêt. À l'époque j'avais l'impression que personne ne me comprenait. Mes professeurs disaient souvent que je ne m'appliquais pas. Je comprends maintenant que je luttais contre les effets du TDAH et de la dyslexie. L'un de mes professeurs a fini par me dire que « je ne ferais jamais rien de ma vie ». Je ne me suis jamais considérée comme une « artiste », mais j'ai toujours fait quelque chose de créatif à presque toutes les époques de ma vie. La photographie m'a vraiment aidé à trouver ma voix, à la fois comme créatif et comme écrivain. Ces dernières années, le soutien de l'équipe de Total Tattoo m'a vraiment permis de me sentir en confiance. La photographie m'a beaucoup appris sur moi-même et m'a donné un grand sens de l'estime de soi que je n'avais pas en grandissant dans le système scolaire. + IG @continuous_portrait_project