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Vlady

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ITW VLADY

@pascalbagot

Depuis qu’il est retourné vivre dans sa ville natale d’Aradeo, dans le sud-est de l’Italie, Vlady apprécie le changement chez les gens dans leur appréciation du tatouage. Objet de dégoût dans les années 1990, ses voisins sont aujourd’hui fiers de voir les tatoueurs arriver du monde entier pour lui rendre visite. À vrai dire, Vlady ne peut pas trop leur en vouloir, lui-même ne portait à l’époque qu’un faible intérêt au sujet. Assoiffé d’art, qu’il découvre librement en autodidacte, c’est finalement la mécanique de la machine qui lui met les doigts dans l’engrenage. Formé dans le studio du tatoueur romain Gippi Rondinella, le premier à ouvrir en 1986 un studio professionnel dans la capitale italienne, il s’imprègne aussi de son goût pour le style asiatique. Une iconographie dans laquelle il s’est spécialisé depuis, s’appuyant sur son bestiaire et en particulier le motif du dragon pour ses expérimentations visuelles et ses recherches dans le traitement des matières.

Hello Vlady, peut-on débuter par une brève présentation ?

Bonjour à tous, je m'appelle Vlady, je viens d'une petite ville du sud de l'Italie. J'aurai cinquante ans cette année et je tatoue depuis 31 ans. Parfois, je m'embrouille et je prétends avoir 31 ans et tatouer depuis 50 ans. Et puis, j’avais l'habitude de boire pour m’enivrer mais maintenant je bois presque exclusivement pour le goût. Merci de m'accueillir dans le groupe… Je plaisante évidemment. Mais presque toutes les informations sont vraies.

As-tu toujours dessiné ?

Disons que oui, j'étais le cas classique de l’enfant à qui la maîtresse d'école demandait de faire un dessin pour qu'il reste calme. Même au lycée, tous mes amis me demandaient d’illustrer leur journal. Mais le véritable tournant s'est produit avec le tatouage, et à partir de ce moment-là, j'ai dessiné pratiquement tous les jours.

Quelles références graphiques orientent ton univers graphique ?

A l'époque, Internet n'existait pas et comme je n'ai pas fait d'études d’art mes références n'étaient pas nombreuses. Je m'inspirais des bandes dessinées, des pochettes de disques, jusqu'à ce que, grâce à des amis, je découvre des artistes comme HR Giger, Hajime Sorayama ou encore Boris Vallejo, mais aussi les peintres Egon Schiele, Salvator Dali et Jérôme Bosch. Je pense que j'étais tellement assoiffé de connaissances que je ne négligeais aucune forme d’art, visuel ou non, qui se présentait à moi.

Quelles autres influences artistiques ont nourri ton univers ?

J'ai fréquenté les milieux punk quand j’étais jeune, donc les affiches, les graphiques ou les dessins dans les fanzines ou tout ce qui tournait autour de ce monde m'ont certainement influencé. C'est à partir de cette période que j'ai eu tendance à utiliser beaucoup de lignes mais aussi à brouiller les pistes avec la technique des hachures. Après avoir quitté l'école pour une courte période, j'ai fait de la sculpture et utilisé une pierre extraite dans ma région. Cela a sans doute considérablement orienté ma tendance à travailler les volumes sur papier Pour le reste, j'avais une sorte de Pinterest géant, composé de coupures de journaux, de photos, de notes prises sur toutes sortes de choses qui m'avaient frappé.

Comment le tatouage entre-t-il dans ta vie ?

À 18 ans, j'ai vu pour la première fois un tatouage que l'on pourrait qualifier de beau. Il avait été fait par Marco Pisa. Jusqu’alors, j'étais convaincu qu'il s'agissait de taches bleues informes, résultat de l'ennui de certaines personnes. Et pour être honnête, les tatouages me laissaient pratiquement indifférents. Plus tard, j’en ai fait un tout petit, mais mon attention s'est d'abord portée sur la machine. J’ai voulu en construire une, sans savoir que ce serait le début d'un long voyage.

J'ai récemment parlé à Gippi Rondinella de sa carrière de tatoueur. Gippi est non seulement le premier tatoueur italien à ouvrir un studio professionnel - Tattooing Demon - à Rome en 1986, il est aussi un personnage important dans ta vie. Peux-tu nous en parler?

J'ai rencontré Gippi et les gars de son studio lors d'une convention à Bologne en 1994. En 1996, j'ai déménagé à Rome et deux ans plus tard, je suis allé me faire tatouer par Gabriele Donnini, qui travaillait avec lui. À cette époque, Gippi déménageait en Thaïlande - ce qui se reproduira plusieurs fois. J'étais inscrit à l'université à l'époque, mais lorsqu'ils m'ont fait cette offre, j'ai abandonné mes études pour suivre la voie de mes rêves. Je me souviens avoir eu l'impression d'être un élu, même si j'étais en fait le gamin du studio et que l'on me confiait les tatouages les plus improbables ainsi que les clients les plus absurdes. J'ai tenu bon pendant un certain temps, jusqu'à ce que Gippi et tout le TATTOOING DEMON STUDIO m'accueillent complètement et m'apprennent tout ce qu'il y avait à savoir sur ce travail, d’un point de vue artistique, professionnel et éthique.

Gippi est un ancien hippie, un grand voyageur qui a passé beaucoup de temps en Asie. Dirais-tu que tu as hérité d'un certain état d'esprit, comme le suggère le nom de ta boutique Positive Vibrations ?

Gippi a toujours été un esprit libre par instinct et non par étiquette, mais lorsque je l'ai rencontré, beaucoup l'ont décrit comme bourru. À l'époque où il affirmait que tout dans le métier changeait pour le pire, ce qui donnait de lui l’image d’un emmerdeur, il était sur la bonne voie. Avec l'âge, la sagesse aidant, son âme de hippie a refait surface. Donc, pour faire court, oui, il a beaucoup influencé ma vie professionnelle et non professionnelle. Mais, comme on le fait avec un père, j'ai pris le "meilleur" de lui et j'ai rangé le "pire" dans ce que l’on pourrait appeler l’expérience, car c'est inutile même si c'est juste. Le nom de POSITIVE VIBRATIONS est pour moi un rappel que l'espoir n'abandonne pas.

Parle nous un peu de l'endroit où tu vis et travailles, le sud de l’Italie. En quoi le fait de vivre dans le calme, loin de l'agitation des grandes villes, est-il bénéfique et qui sont les autres tatoueurs qui travaillent avec toi dans ton studio ?

Après avoir vécu à Rome pendant dix ans, je suis retourné dans ma ville natale d’Aradeo. Peut-être que j’étais aussi animé par un désir de rédemption. Là-bas, dans les premières années, lorsque je disais que j'étais tatoueur, on me demandait quel était ton vrai métier avec une expression de dégoût. Aujourd'hui en revanche, je ressens la fierté de mes concitoyens d'accueillir des passionnés et les artistes du monde entier qui viennent me rendre visite qui, par ailleurs, tombent amoureux de cet endroit. Aradeo est l'endroit où j'aime vivre. Les temps et les relations sont encore emprunt d’humanité et, quand j'ai besoin d'autre chose, je voyage, en avion ou à la limite sur le web.

As-tu toujours été intéressé par le style asiatique ou cet intérêt s'est-il développé progressivement ?

Dans les années 1990, les sujets tels que les lutins, le biomécanique, le tribal étaient très à la mode. Mais, parmi les choses dont j'ai héritées des années passées dans le studio de Gippi, il y a sans aucun doute une aptitude pour les sujets et les représentations de l'art asiatique. Il y avait des peintures, des dessins et des œuvres de Horiyoshi III, ED Hardy, la famille Leu et ceux d'autres artistes du monde entier accrochés un peu partout, presque tous dans ce style. Cela a sans aucun doute été décisif.

Parmi les motifs du registre asiatique, le dragon semble être une source d'inspiration inépuisable pour toi, pourquoi ?

Le dragon est pour moi le roi de cette attitude dont je parlais. En fait, je pense que c'est une sorte d'obsession de chercher le bon, l’idéal. Sans oublier les règles de construction de ce sujet. Je suis attiré par la recherche de l'équilibre dans les formes imparfaites.... qui me semblent plus naturelles.

Tu as récemment été tatoué par Mick (anciennement de Zürich, en Suisse) et j'ai l'impression que son influence est de plus en plus présente dans les représentations de vos dragons. Est-ce le cas ?

Mick est pour moi celui qui réussit le mieux à représenter le dragon idéal. Dans les tatouages et surtout dans les peintures, il parvient à donner un "caractère" au dragon, à définir le matériau dont il est fait, son âge et peut-être même son histoire. Il fait tout cela avec des formes, des textures et des détails qui les rendent naturels, "intéressants à comprendre ». Après avoir rencontré Mick, j'ai commencé à peindre à l'acrylique... surtout des dragons. Quand je fais cela, je me sens bien. Mais en même temps, je suis très nerveux, je suppose qu’il s’agit de la fameuse recherche de l’idéal et cela devient plus agité et frénétique. J’ajoute que c'est un grand plaisir pour moi de passer du temps avec lui, j'espère le revoir bientôt.

Le motif de la vague est également très présent : quel plaisir retires-tu à travailler ce motif ?

Oui, avec les vagues il s’agit aussi d’une recherche perpétuelle, mais avec une attitude différente. Créer le premier flux puis accompagner ou contrecarrer la dynamique ainsi créée, me détend. Je tiens compte de la matière dont elles sont faites, de l’eau - et pas du yaourt ou autre chose - et de l'énergie qu'elles créent et le crayon se libère. Je pense que graphiquement c'est un très bon élément pour accentuer ou contraster la dynamique dans le dessin ou le corps à tatouer. Quoi qu’il en soit, je le traite toujours comme un véritable sujet et jamais comme un élément pour combler.

J'y vois aussi l’expression d’une sensibilité psychédélique. La culture des années 1970 a-t-elle eu une influence sur toi ?

Je suis fasciné par les années 1970 en tant que période et en particulier par les différentes formes d'expression de cette époque. Je trouve le terme « psychédélisme » (en tant que vision déformée de la réalité, avec ou sans aide) très intéressant, il stimule souvent de nouvelles lectures de sujets auxquels nous sommes habitués, ou pour le dire simplement, il semble parfois légitimer ces interprétations improbables.

Parmi tous les projets que tu as réalisés, il y en a un très spécial, la collaboration exceptionnelle que tu as faite avec Filip Leu sur le tatoueur Alexandre Abreu. Peux-tu revenir sur l'élaboration de ce projet ?

Je vais te raconter comment ce tatouage est né : un mois avant nous avons décidé de faire cette collaboration avec Filip et nous nous sommes promis d'échanger des dessins, des idées pour nous préparer à ce jour-là. Lorsque nous nous sommes vus et que nous avons comparé nos dessins, nous nous sommes rendu compte que beaucoup d'idées étaient trop semblables les unes aux autres et donc peut-être trop évidentes. À un moment donné, Filip a prononcé le mot magique : "GIANT". Cela a été un déclencheur et une demi-heure plus tard, nous avons commencé à dessiner directement sur le corps d’Alex. Tout était parfait, à commencer par l'enthousiasme d'Alex qui, d'une certaine manière, semblait alimenter la situation en énergie.

Quelle influence le maître suisse a-t-il eue sur toi ?

Filip est une personne qui dégage de l'énergie, je pense qu'il est impossible de ne pas ressentir son « rayonnement naturelle ». Mais dès les premiers instants de notre amitié, une chose m'a beaucoup frappé : sa curiosité sincère, son désir de comprendre et peut-être même d'apprendre des autres. Je l'ai vu s'intéresser à des choses (pas seulement dans le monde du tatouage) que d'autres, dans sa position, auraient probablement snobées ou auxquelles elles seraient restées indifférentes.

Que t’inspire le tatouage moderne ?

C'est très compliqué d’y répondre. Je pense que nous avons atteint un niveau de qualité artistique très élevé, mais malheureusement, il n'est plus aussi "romantique" qu'avant de faire partie de ce monde. Atteindre cet objectif s’accompagnait du sentiment d’être « spécial », mais appartenir à ce monde signifiait aussi le défendre et le respecter inconditionnellement. Aujourd'hui, au lieu de cela, je vois des gens (peut-être même très bons en tatouage) autoproclamés juges et professeurs, qui se sentent autorisés à ridiculiser et à pisser sur le monde du tatouage, afin d'atteindre la célébrité et la gloire personnelle. Cci étant dit, j'aime toujours ce que je fais. + IG : @vlady_positivevibrations