Issu du skate et de la street culture, le photographe français Brice Gelot, originaire de Dijon, a progressivement glissé vers le photojournalisme. Intéressé par les gangs, il a notamment documenté la place du tatouage dans la culture chicano californienne et la mafia italienne, créant ainsi une synthèse personnelle entre information et art. Brice vient de publier la première rétrospective de son travail intitulée sobrement « Archives Book Vol.1 ».
La rue, les graffiti, les tatouages, les gangs, comment viens-tu à photographier la street culture et depuis combien de temps ?
J’ai commencé la photographie en 2004 par le milieu du skate pour des magazines et des marques, le reste est venu tout seul. J’ai toujours été influencé par toute cette culture.
Tu sembles t'intéresser particulièrement aux gangs, tu nous racontes ton travail sur ce sujet ?
“Straight out the hood” est une série qui montre les problèmes dans les quartiers sensibles aux quartiers pauvres. Là où je peux trouver le chaos, je trouve la beauté. Je laisse la rue parler et je documente simplement ce que je vois… Cela permet de mieux comprendre les défis sociaux et économiques auxquels certaines communautés font face. En tant que photographe, j'aime montrer le monde tel qu’il est, pour moi rien n’est plus intéressant que la réalité.
Tu as passé du temps à Los Angeles, aux États-Unis, et apprécier la culture chicano. Pourquoi ?
L’art du tattoo chicano est un style distinctif qui célèbre l’identité et leur culture qui fait parti de Los Angeles. Elle est le reflet d'une identité hybride et d'une histoire partagée entre le Mexique et les États-Unis, marquée par la lutte pour l'égalité et la reconnaissance. Cette culture englobe divers aspects tels que l'art du tatouage, la musique, la littérature, la cuisine, la langue et les traditions religieuses. Elle met souvent en avant la lutte pour les droits civiques, l'identité ethnique et la justice sociale. L'art chicano, par exemple, se caractérise par des motifs et des thèmes inspirés par la culture mexicaine, ainsi que par des expressions de résistance politique et sociale.
Tu as aussi travaillé en Europe et je pense en particulier à un reportage récent que tu as fait à Naples dans le quartier de Scampia, bien connu pour être un épicentre de la mafia italienne. Tu nous en parles ?
Je suis parti sur Naples en 2022 pour documenter la vie à Scampia un quartier populaire, le plus dangereux d’Europe, berceau de la mafia la Camorra. La lutte contre la mafia en Italie reste un défi constant, mais il y a des efforts continus pour promouvoir la justice, la sécurité et le bien-être dans des quartiers comme la Velle di Scampia. Pour tous mes reportages je reste le temps de documenter ce que j’ai à faire suivant les projets, cela peut aller de quelques semaines à quelques mois.
En France, le crime organisé est aussi très actif et on entend beaucoup parler de Marseille par exemple, est-ce un territoire auquel tu t’es intéressé ?
Pas encore, mais comme tous mes autres reportages, cela demande du temps et de l’organisation, que cela soit d’autres villes, cités et quartiers partout dans le monde, donc Marseille peut être un jour.
Quelles difficultés cela représente d’entrer en contact avec des membres de gangs ?
Il y a des risques sur ma sécurité personnelle, le secret professionnel et la pression externe par les autorités, mais aussi des problème éthiques…
On imagine que cela ne doit pas être de tout repos de côtoyer cette population, comment appréhendes-tu la notion de danger ?
La photographie ne peut pas changer le monde, mais elle peut montrer la réalité, surtout quand le monde est en train de changer. Tout est basé sur le respect, c’est de la communication, de la planification et préparation, de la conscience de l’environnement suivant le lieu.
Tu nous racontes quelques rencontres marquantes ?
Elles le sont toutes, mais si je dois en choisir une celle d’un tueur à gages pour la mafia à Naples lors de mon reportage sur la Scampia. Son histoire est touchante, sa mère a été assassinée alors qu’il avait 9 ans. Il est rentré dans la mafia pour se venger, a purgé sa peine en prison et aujourd’hui il se bat pour en sortir, changer et devenir un meilleur homme.
Te considères-tu comme un photojournaliste ou un photographe de rue ?
Je suis les deux, car je fais à la fois de la photographie d’art et du journalisme. Je raconte des histoires à travers mes images, que ce soit en capturant des moments de la vie quotidienne, des événements historiques ou des problèmes sociaux.
Quelles réactions souhaites-tu susciter chez le spectateur à travers ton travail ?
Je cherche à inspirer l'empathie et la compréhension envers ceux qui passent souvent inaperçus ou qui sont tout simplement ignorés. Je vise à remettre en question les idées préconçues du spectateur et à mettre en valeur la résilience et la force de ceux qui persévèrent face à l’adversité.
Les images peuvent-elles changer les choses ?
J’ai la conviction que les images peuvent être un outil puissant de changement social et peuvent faciliter des conversations importantes sur les problèmes les plus urgents de notre époque. Elles peuvent sensibiliser, éduquer, promouvoir le dialogue interculturel en mettant en évidence les différences entre les cultures, les modes de vie des quartiers défavorisés et d’autres communautés. Je veut aider en brisant les stéréotypes et promouvoir une meilleure compréhension, mais aussi réfléchir sur des questions importantes telles que la pauvreté, la crise humanitaire, la justice sociale et les droits de l'homme et de la femme.
Quand as-tu commencé à documenter le milieu du tatouage ?
Étant moi même dans cette communauté je dirais très tôt, sûrement dans les années 2010.
Que représente le tatouage pour ces gangs ?
Les tattoos peuvent représenter plusieurs choses, cela va dépendre du pays, de la ville et de la communauté car certains tattoos sont utilisés pour identifier l'appartenance à un gang particulier. Cela peut inclure des symboles, des initiales ou des codes spécifiques au gang. Ils peuvent également indiquer le rang ou la position d'un membre au sein du gang. Des symboles ou des marques spécifiques peuvent être réservés aux membres haut placés ou aux leaders. Certains tattoos peuvent être des marques d'accomplissements criminels ou de loyauté envers le gang, comme des dates de crimes commis ou des symboles liés à des activités illégales. Et puis les tattoos peuvent servir de moyen de protection au sein du gang, en montrant l'allégeance et en dissuadant les membres d'autres gangs de s'attaquer à eux. Enfin, bien que cela soit moins courant, certains membres de gangs se font tatouer pour des raisons personnelles ou artistiques, reflétant leurs propres croyances ou expériences de vie.
Pendant longtemps le tatouage a été un marqueur de marginalité, un facteur d’intimidation, mais aujourd’hui, avec sa démocratisation, quels usages en font-ils ?
Aujourd’hui le tattoo est devenu un moyen polyvalent d'expression personnelle, d'embellissement corporel et de connexion culturelle, loin de son association initiale avec la marginalité et l'intimidation.
Du point de vue du matériel, comment travailles-tu?
Je travaille avec Fujifilm, que cela soit pour mes boîtiers hybrides et les objectifs. J’utilise également des boîtiers argentiques que je collectionne ou que j’utilise pour différents projets personnels.
Tu viens de sortir un livre somme rassemblant une partie de tes archives.
Ce premier livre d'archives représente bien plus qu'une simple compilation d'images. Cette période, de février 2022 à juillet 2023, a été marquée par la consolidation de séries photographiques fortes, qui sont devenues la base d'un travail à long terme. Ce livre incarne, d'une part, une tentative de présenter ce travail thématique de manière tangible et chronologique, mais aussi d'observer son évolution au fil des volumes. C'est une plongée authentique dans mon univers, au cœur de la culture de la rue. D'autre part, ce livre est né du désir de rendre hommage à toutes les personnes qui ont croisé mon chemin, avec qui j'ai partagé des moments rares, parfois intimes, et qui ont nourri mes réflexions sur des thèmes cruciaux. Au-delà de la simple capture visuelle, mon objectif est de conduire le spectateur à transcender les clichés et les scènes de rue familières pour favoriser une compréhension plus profonde des différentes cultures et modes de vie, en particulier sur la question des quartiers défavorisés.
En terme de street photography, quels sont les photographes auxquels tu aimes te référer ?
Ed Templeton et Ricky Adam, car c’est grâce à eux que j’ai commencé la photographie, ils ont été des sources d’inspiration à mes débuts. + IG @bricegelot @nsd.5150 https://www.nsd5150.com/