Part. 1 Bamboo Stick Tattoo
Voyageant entre Lombok, l'île voisine de Bali et les îles Gili, Sonteng est un tatoueur pratiquant la technique ancestrale du tatouage à la main (handpoke) au bâton de bambou apprise de son père et transmise désormais à ses fils.
Le tatouage traditionnel Indonésien existe sur quelques îles uniquement. La technique utilisée au bâton de bambou daterait de plus de 3000 ans et aurait été localisée en premier lieu près de la frontière du Cambodge. Elle s'est largement répandue depuis la période Khmer et prend de nombreuses formes et origines en Asie du Sud-Est. Aujourd'hui, en Indonésie, si le tatouage de Bornéo, des tribus de guerriers Dayak aux Ibans et Mentawaï tente de survivre à l'oubli des traditions et leur éradication par les religions monothéistes qui s'y sont archarnées, ce tatouage à la technique traditionnelle est aussi ré-approprié de manière moderne. Entre tradition et modernité. Avec ses “bamboo stick” dorés et ses trente années d'expérience, Sonteng est un témoin de la persistance des traditions.
Des tribus Dayak de Bornéo aux Mentawaï de l'ouest de Sumatra, le tatouage est un carnet de route autant qu'une protection spirituelle bien codée. Presque anéanti par les missionnaires chrétiens, il est depuis quelques années repris par une nouvelle génération. Le Néo-Mentawaï ou Néo-Batak (issu d'une ethnie plus au nord de Sumatra) est à nouveau encré, pour encourager à la survie et à la reconnaissance pour ces cultures et traditions mais car c'est aussi un nouvel attrait économique. D'autres intègre le tatouage, comme à Bali où certains tatoueurs intègrent des motifs de l'iconographie javanaise ou hindoue afin de développer un style encré à leur image. Des artistes comme Ade Itameda (@adeitameda), installés entre Java et Bali développent un tracé solide, utilisant les prérogatives du traditionnel occidental tout en maniant habillement des figures de la mythologie, motifs géométriques, paternes floraux, et autres motifs identifiables de la culture balinaise.
Développé sur des îles comme Java, Bali et Lombok, en Indonésie, mais avec une population à 80% musulmane, le tatouage n'est pas une pratique destinée à se répandre localement. Et de nombreux salons proposent des techniques traditionnelles sans aucune référence culturelle car à l'identique de la Thaïlande ; le tourisme donne au tatouage un essor économique.
Garder la tradition
A Gili Meno, la plus petite île du trio des Gili, Sonteng, tatoueur depuis plus de trente ans pratique le tatouage au “bambou stick”. Un tatouage traditionnel qui a l'avantage d'être beaucoup moins douloureux et plus rapide à cicatriser auprès des touristes en mal de baignades quotidiennes. Cette technique ne crée pas ou peu de croûte sur la peau un avantage pour profiter des plages de ces îles paradisiaques. Lorsqu'on lui demande pourquoi il tatoue au bamboo stick il s'enquiert d'une réponse plutôt simple. “Tu sais, il y a longtemps... on n'avait pas de dermographe et la machine est arrivée en Indonésie par les occidentaux, dans les années 80. On a commencé à tatouer avec des choses très simples, le bamboo et pour aiguille, l'épine (thorn) ou parfois des arêtes de poissons. Certains de mes tatouages ont été réalisés avec cette dernière. Je n'aime pas vraiment la machine, je l'utilise parfois, quand j'ai beaucoup de tatouages à réaliser car c'est un gain de temps. En Allemagne où j'allais de 1997 à 2010 en guest, je l'utilisais lorsque je manquais de temps.”
A Gili, on ne se déplace qu'en bateau ou en petite calèche à cheval. Sonteng à 56 ans, continue de tatouer entre Lombok, les îles Gili Meno et Air où son fils Baba a ouvert un salon. Pour trouver le salon de Sonteng, à Meno, il faudra suivre les panneaux et se balader entre les ruelles sableuses durant vingt minutes vers le nord-ouest de l'île. Sculptures et gravures sur bois complètent la décoration de son salon. A l'étage, deux matelas sont disposés face à face. Sur l'un d'eux, une cliente y est allongée. A ses côtés, le tatoueur ; jambes croisées s’affaire sur un stick en bambou de 60 centimètres de long, le tout dirigé au son de la clochette qui y est accrochée.
Au milieu de la pièce : un petit hôtel à l'effigie de Ganesh surplombe ses Bambou Stick, de plusieurs tailles. L'encens se répand à flot à l'instar du charisme de Sonteng qui envahit la pièce dès les premières minutes. Là où l'environnement pour beaucoup d'artiste est une source d'inspiration en continue, Sonteng lui, s'interloque : l'important pour tatouer c'est comment il se sent intérieurement et rien d'autre. Peu importe où il se trouve. Une forme de sagesse, émane alors de ses yeux cernés de khol. Même s'il apparaît difficile pour le tatoueur de Lombok, d'être destabilisé, il l'admet : malgré les aller-retours et heures de voyages en bateau ou taxi et la fatigue. Ce soir encore, il ne dormira pas dans sa maison de Meno. Il y résidait lors du séisme de Lombok de l'an dernier où plus de 500 personnes ont perdu la vie. Figure locale, son savoir-faire, il le détient de son père tatoueur qu'il aime aujourd'hui à transmettre à ses deux fils. Empreints d'un devoir de mémoire, ses tatouages sont réalisés en respect de la religion hindoue et celui auquel on assistera sera donc suivi d'une prière entre tatoueur et tatoué. Depuis la fenêtre du salon au premier étage, l'on aperçoit également le temple hindou de Sonteng entretenu d'offrandes quotidiennes. Cette relation presque mystique au tatouage, elle se ressent très vite dès que l'on pose les yeux sur le tatoueur, en action. Ses mouvements sont précis et imperturbables et son aura perce les âmes. Et il l'explique : le tatouage au village se fait à la demande du prêtre. Régulièrement, il se peut que ce dernier vienne voir Sonteng et lui demande de dessiner un motif pour une personne. En retour, le tatoueur reçoit nourriture ou offrandes. Il le fait... pour les locaux. Les motifs “Raja Han”, sont des motifs porteurs de sens et de magie pour les hindous mais chacun doit s'accompagner de son offrande et de son rituel propre. A Lombok, la population étant en majorité musulmane, il tatoue peu de locaux pour ces raisons.
Le processus
Sa carrière, c'est à l'âge de 15 ans, lorsqu'il part à Bali qu'elle commence. Il fait ses armes dans les villes de Amed, Candidasa ou Lovina, Kuta et Ubud où il se forge une bonne réputation avant de partir en Allemagne, invité par un ami à tatouer en Europe où il revient pendant plusieurs années. Sonteng, de part son expérience à développé technique et dextérité en Free hand en s'appropriant les formes corporelles, il n'a pas besoin de stencil et tatoue directement sur la peau de ses clients à partir d'une idée générale. Pour autant, il se laisse le droit de refuser un client indécis. Selon lui, rien de plus simple : ils ne sont pas prèts pour se faire encrer à vie. Premier tatoueur à avoir jamais mis les pieds aux Gili à l'époque où Gili Trawagan n'était composée que de petits bungalows et de plages de sable blanc, Sonteng ouvre ensuite son salon à Bangsal Harbour en 1989. A l'époque il n'y a ni routes, ni électricité, les rizières dominent le paysage. Le tatouage est à présent presque terminé. Une voie lactée et quelques planètes piquées façon dotwork forment le tatouage de “l'univers”, que la jeune femme, dévoile sur un poignet rougi. En fin d'après-midi, le tatouage est presque fini. On entend encore la petite cloche du “bambou stick” remuer en rythme. Cette dernière, festonnée de pierres et bijoux est un bâton parmi cinq différents utilisés, suivant le tatouage à réaliser par Sonteng. Ses sticks de tatouage, l'artiste les a hérités de son père et son grand-père ; tous ont ces détails de bijoux et gravures sur le manche en bois en lien avec sa spiritualité. “ C'est important de garder un lien avec la religion, cela fait partie du processus de se remémorer constamment pourquoi on est là à faire ce que l'on fait et pourquoi on rencontre cette personne à ce moment précis.” Sur un aspect pratique, ils sont de longueurs différentes et permettent aussi au tatoueur de soulager ses positions. Car les heures de tatouages deviennent une épreuve physique pour un tatoueur. Spécifiquement lors d'un tatouage en handpoke, qui représente souvent plusieurs heures de labeur. L'astuce : adopter des tiges plus longues afin de maîtriser sa posture.“Cela n'a rien de facile, c'est un peu comme jouer de la batterie !”.
Du tube rempli d'encre noir, il transfère avec son bambou stick, l'encre à la peau, tandis que son neveu, qui gère l'accueil et les rendez-vous via son compte whatsapp, lui donne le matériel nécessaire. La clope au bec, un gant troué... le tatouage n'en sera pas moins facile à cicatriser même s'il est long à produire. Pour une pièce moyenne sur le poignet : Sonteng prendra une bonne heure et demie. Mais la finesse du point et la façon dont le design épouse le corps sont des traits uniques à l'artiste.“Lorsque tu entends le tintement de la cloche tu sais à quelle profondeur tu encres la peau. C'est aussi une façon de signaler ici qu'un tatouage est en cours. Lors des célébrations ou rituels (Binta), les gens qui entendent cette cloche savent qu'un tatouage est en cours et ne viennent pas en perturber son activité. Cela les prévient.” A 56 ans, le tatoueur s'aide de ce son pour remplacer ce qui lui fait défaut : sa vision. Il est important pour lui de combler ses faiblesses et de garder une certaine indépendance. “Tous mes amis utilisent des lunettes à présent et c'est à cause de toutes ces années de travail. Je travaillais de 9 heures du matin à 9 heures du soir tous les jours donc ce qui me reste de plus fiable sont mes sensations. C'est ainsi que je peux travailler avec la distance : j'utilise mes sens et mon expérience avant tout.”