Tatoueur aguerri et patron du studio Mystery Tattoo club à Paris, Easy Sacha perfectionne depuis des années son approche du style japonais. Entre attention à la tradition et souci de modernité, le Français s’éclate avec de grandes pièces solidement composées. En parallèle bassiste dans des groupes de musiques extrêmes - tatouage et musique étant liés depuis ses débuts -, il se prépare à l’enregistrement du prochain album de Deliverance, son groupe de black/sludge que vous avez peut-être eu l’occasion de voir en live après de nombreux concerts l’année passée dont un passage au Hellfest.
Salut Sacha, comment se porte le Mystery Tattoo Club ?
L’équipe a pas mal évolué avec le temps et nous sommes actuellement huit tatoueurs. Nous ne sommes plus très nombreux comme résidents permanents et l’essentiel de l’équipe vient bosser une semaine par mois en alternance. C’est assez cool d’avoir un turnover régulier. Les semaines ne sont jamais les mêmes et l’ambiance, comme l’émulation au sein du shop sont vraiment bonnes. Mais, d’un point de vue business et pour la plupart des artistes, c’est vraiment très très calme. Un phénomène généralisé en France actuellement, voir aussi à l’étranger. Compte tenu de l’explosion du nombre de shops mais aussi de l’inflation, le manque de clients se fait vraiment ressentir. En ce qui me concerne je ne vais pas me plaindre, j’ai la chance d’être là depuis longtemps, avec une très grosse clientèle. Mais pour les autres, c’est un peu plus compliqué.
Cela fait un moment maintenant que tu te consacres au styles japonais, tu nous racontes comment tu y viens ?
Je m’y suis tout de suite intéressé quand j’ai commencé à tatouer en 1997. Forcément, l’imagerie Yakuza m’avait déjà hyper impressionné mais, c’est surtout au travers des magazines spécialisés sur le tatouage - seule source d’inspiration à l’époque - que j’y suis venu. Les claques que j’ai prises venaient essentiellement de Filip Leu et Horiyoshi 3. J’étais alors très attiré par le côté plus moderne du travail de Filip. C’est beaucoup plus tard que j’ai finalement bifurqué vers quelque chose de plus traditionnel.
Tu faisais aussi de l’old-school, du bio-mécanique, pourquoi se spécialiser ?
Je faisais plein d’autres styles. Je me suis essayé au réalisme, à l’Art nouveau, à la gravure, j’ai même fait beaucoup de tatouages polynésiens fin 1990 - début 2000. En fait, j’aime le tatouage pour ce qu’il est et dans tous les styles - vraiment- et pendant longtemps j’ai eu envie de tout faire, ou du moins d’essayer. Et puis, je m’adaptais à la demande du client. J’essayais toutefois, en fonction des projets, de les orienter vers un style que j’avais alors envie de bosser et qui pouvait éventuellement coller. Il y a plus de dix ans, c’était vraiment une force de savoir un peu tout faire. Les gens venaient me voir pour ça. Mais vers 2010 j’ai décidé de me spécialiser dans le japonais. Non pas vraiment par choix, mais plutôt pour trouver une solution à la liste de mes rendez-vous qui atteignait deux ans et demi d’attente. Yom (tatoueur, aujourd’hui chez Golden Tsuru, Paris) venait alors d’arriver dans notre équipe, ce qui m’a permis de rediriger toutes les demandes non japonaises vers lui. À l’époque, et avant qu’il ne se décide lui aussi, quelques années après moi, de se spécialiser dans l’irezumi, était avide de tout tester en terme de styles. Ce choix, un peu contraint mais bénéfique, m’a finalement permis de ne suivre qu’une seule voie et de me concentrer dessus. J’ai ainsi évolué plus rapidement.
Comment as-tu procédé au début pour apprendre? En observant les tatoueurs occidentaux ou en te plongeant dans les livres sur l’irezumi ?
J’ai énormément observé les tatoueurs occidentaux en convention. Le boss à l’époque, c’était vraiment Filip Leu et il a été pour moi une énorme source d’inspiration. J’ai également eu la chance d’observer travailler plusieurs fois Horiyoshi 3 en convention, aussi bien à la machine qu’au tebori (technique japonaise du tatouage à la main, ndr). C’était vraiment très impressionnant. Et aussi tous ceux qui venaient en guest chez Tin-Tin, où je bossais à l’époque, notamment Mike Ledger, légende du tatouage new-yorkais, spécialisé dans le japonais et l’oriental. Il venait tous les ans à Paris et y restait en général un mois. Il m’a pas mal tatoué et j’ai passé beaucoup de temps à l’observer. Et encore une fois, j’épluchais énormément les articles des magazine de tatouage de l’époque.
Comment ton approche a-t-elle évoluée au fil du temps ?
À l’influence de Filip Leu a suivi celle de Shige, le tatoueur de Yokohama, et comme beaucoup de tatoueurs à cette époque, je m’en suis énormément inspiré. C’était aussi ce que voulaient les clients. Pour du Horiyoshi ou « pire » du Horitoshi, les gens n’étaient pas prêts. Trop traditionnel, trop de noir dans les fonds. Mais au fil du temps, j’ai eu envie que mes tattoos soient moins associé à une période, à une « mode ». Je voulais m’orienter vers quelque chose de plus intemporel, de plus traditionnel dans le graphisme. Quand les gens voient mes tatouages, j’aimerais qu’ils ne puissent pas savoir s’ils ont été réalisés il y a deux mois ou 10 ans. Intemporel, c’est vraiment le mot.
Se rapprocher d’une certaine authenticité c’est important pour toi ?
Pas forcément. Artistiquement oui, mais graphiquement je m’inspire d’estampes anciennes. Et puis, j’aime aussi la modernité, il faut savoir vivre avec son temps. Les techniques de notre métier évoluent et c’est une bonne chose. Certains ne jurent que par les machines « coils » et refusent absolument l’idée même d’essayer un Pen sans fil. Je respecte cela mais pour ma part je suis passé du côté « obscur », c’est plus confortable. Moins de poids, de vibrations et de bruit, j’apprécie vraiment.
Quels sont les critères ou les choix qui te guident quand tu travailles sur un projet ?
Aucun en particulier. Je m’adapte à la demande de ma clientèle tant que l’on reste dans le traditionnel. J’aime bien de temps en temps m’en écarter aussi, en mélangeant un peu les styles. Par exemple, en ce moment, je fais le dos de Gary, qui travaille avec nous, dans quelque chose d’hybride. Il y a des éléments de backgrounds japonais mais la construction est plutôt ornementale. C’est vraiment cool et ça change un peu .
Tu as des sujets de prédilection ?
Pas forcément. J’essaie de pousser les personnes qui viennent me voir à chercher par eux-mêmes, à approfondir leur connaissance sur le folklore japonais. Il y a tellement d’autres chose à faire que des dragons, des carpes, des samouraïs, des geisha. Mais je ne veux rien imposer, je suggère des idées et je laisse germer.
Tu es plutôt petite, moyenne ou grande pièce ?
Plutôt grandes pièces mais encore une fois, c’est ce qu’on me demande. J’ai vraiment de la chance que les gens viennent me voir pour des projets d’une telle ampleur. Je viens de finir un bodysuit et j’en ai quelques autres en cours. C’est vraiment un privilège. Et au delà du côté artistique, le fait de passer beaucoup de temps avec mes client(e)s, de parler avec eux, se raconter nos vies, d’échanger. C’est vraiment ça qui me plaît dans le tatouage. Je ne pense pas que je pourrais être juste un illustrateur à bosser tout seul chez moi. J’ai besoin du contact humain.
Il y a des tatoueurs que tu regardes particulier ?
En ce moment, je regarde pas mal le trad de la jeune école brésilienne. Parmi eux Deneka, Caio Pineiro, Ian Ildet. J’aime bien leur approche, sobre et efficace. Les jeunes Coréens aussi sont hyper forts. Techniquement c’est presque flippant tellement c’est clean, presque trop propre.
Au-delà du tatouage, il y a d’autres domaines de la culture japonaise que tu apprécies ?
J’ai 50 ans et j’ai donc grandi avec les premiers dessins animés japonais qui ont débarqués fin 1970, début 1980 en France. Akira reste une grosse claque. Et j’aime aussi forcément l’univers de Myazaki.
Tu es passionné de musique, tu nous parles de ton groupe Deliverance ?
Je suis effectivement bassiste dans Deliverance (inspiration postblack / sludge / psyché pour les connaisseurs). Notre 3e album est sorti fin 2022. On a fait pas mal de concerts et de festivals en 2022/23, notamment le Hellfest et le Motocultor. On va commencer à bosser sur le 4e album en début d’année avec notre nouveau batteur et continuer à tourner autant que possible.
Ce lien entre le tatouage et la musique il me semble qu’il existe très tôt dans ton parcours. Ton premier tattoo n’était-il pas inspiré de celui de Max Cavalera alors dans Sepultura (groupe de thrash brésilien) ?
Tout à fait. C’était un beau tribal inspiré d’un mélange de celui de Max, mais aussi du chanteur de Testament et du chanteur des Red Hot. Je l’ai fait en 1992/9993. Et effectivement je suis venu au tatouage par la musique. Je dessine depuis tout petit, mon rêve était de devenir dessinateur quand j’avais 5/10 ans. Mais j’ai mis ça un peu de côté quand je me suis fait recadré mon parcours scolaire artistique. Par conséquent, je suis parti sur une formation technologique et non sur une école d’art. À ce moment là je suis tombé dans le métal et le punk rock. Et forcément, le tatouage faisait partie de la panoplie. Je me suis donc remis à dessiner surtout pour les potes, des motifs de t-shirts ou de tatouages, des vestes en jeans, en cuir, des classeurs, etc. La suite logique a été quelques années plus tard de passer des crayons à la machine et me lancer sur la peau. + FEVRIER Sacha @easysacha_mtattooclub Mystery Tattoo Club 13 rue de la grange aux belles 75010 paris www.mysterytattooclub.com